L’auteur est professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Il est notamment expert dans le domaine des politiques énergétiques et des marchés de l’électricité.
Dans le but de combattre la crise climatique, les principaux partis politiques du Québec se livrent à une surenchère de cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2030 : 37,5 % pour le gouvernement et la CAQ, 45 % pour les libéraux et les péquistes, 55 % pour Québec solidaire. Or, ces cibles éclipsent une réalité assez fondamentale : on a raté de beaucoup l’objectif de 2020, qui visait à diminuer les émissions de 20 % sous le niveau de 1990. La raison en est fort simple : les émissions de GES ne descendent pas. Même la pandémie n’a pas réussi à faire baisser celles des grands émetteurs, qui sont stables depuis 2012, ni la consommation de gaz naturel.
Le Québec dispose pourtant d’un très grand potentiel d’efficacité énergétique largement méconnu parce que son exploitation n’a jamais été considérée comme une priorité. Hydro-Québec, par exemple, a déposé très loin des regards, sur le site très obscur de la Régie de l’énergie, ses récentes évaluations du potentiel technico-économique d’efficacité énergétique. Ce sont 24 TWh qu’Hydro-Québec a ainsi comptés, soit l’équivalent de trois fois la production de la Romaine. Selon ce document, il serait possible de réduire la consommation d’électricité du Québec de 14 % sur un horizon de 5 à 10 ans. Ces économies d’énergie pourraient provenir d’améliorations dans le chauffage des bâtiments (7 TWh), dans l’utilisation de l’eau chaude (2 TWh), dans les industries (11 TWh) et dans d’autres usages (moteurs, éclairage, etc.).
C’est majeur, puisque la consommation d’énergie est la source de 70 % de nos GES, comme le montre clairement année après année l’inventaire des émissions de GES du Québec. On aurait pourtant l’embarras du choix pour freiner nos ardeurs : le Québec consomme, par habitant, 40 % plus d’énergie que la Norvège et deux fois plus que l’Allemagne, malgré des climats assez semblables, du moins pour la Norvège.
La taille du Québec n’explique pas grand-chose non plus : les Allemands aiment tout autant que nous leurs BMW, Mercedes et Audi, et les Norvégiens peuvent emprunter une route qui mène, sur près de 2 000 km, d’Oslo à Skarsvåg, dans la pointe nord du pays. Au Québec, il n’y a même pas de route pour faire les 1 600 km qui séparent Montréal de Puvirnituq !
Ces économies d’énergie vont être nécessaires pour minimiser la construction de nouvelles infrastructures de production et de transport d’énergie, alors que le Québec veut électrifier pour décarboner, exporter de l’électricité pour décarboner, et faire venir des industries énergivores pour leur éviter de polluer grâce à notre énergie verte… Il serait beaucoup plus efficace de commencer par tout mettre en œuvre pour réduire notre consommation et libérer de l’énergie.
Par où débuter ?
Si nous consommons beaucoup d’énergie, c’est parce que nous avons acquis de mauvaises habitudes et que nous ne nous donnons pas les moyens de les redresser. Dans tous les secteurs, que ce soit en industrie, en bâtiment ou en transport, notre nonchalance énergétique nous joue de vilains tours. En industrie, très peu d’entreprises canadiennes s’efforcent de se mettre aux meilleures normes de gestion de l’énergie, comme ISO 50001. Une telle approche oblige à se donner non seulement des cibles, mais aussi des plans d’action, et demande des réalisations concrètes, suivies et évaluées. Mais les programmes de subventions du gouvernement visant l’efficacité énergétique en industrie n’exigent rien de tout cela. Ils distribuent l’argent aux entreprises, qui installent des équipements peut-être plus performants, mais sans gérer globalement et méticuleusement les systèmes de consommation. Celle-ci stagne donc.
En bâtiment, on sait très bien qu’il faudra privilégier de nouvelles constructions à énergie zéro le plus tôt possible, comme le dit par exemple l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son rapport sur l’efficacité énergétique de 2021. Il sera aussi nécessaire, selon l’AIE, de rénover chaque année 2,5 % du parc de bâtiments existants pour le rendre à énergie zéro.
Que fait-on au Québec et au Canada ? On entretient la bureaucratie étatique avec des programmes comme Rénoclimat qui permettent de recevoir de l’argent pour changer les fenêtres. Le plus souvent, ces améliorations marginales s’arrêtent là, faute d’ambition de la part des gouvernements et des citoyens. Et les informations recueillies sur la performance thermique des bâtiments restent toutefois inaccessibles pour les analystes.
En transport, s’il est fascinant d’entendre tous les discours sur les véhicules électriques et l’hydrogène, on ne met pas en œuvre les solutions qui pourraient réduire très rapidement, de 50 % à 90 %, la consommation d’énergie — et qui font paraître le 14 % d’Hydro-Québec bien timide.
Ces solutions existent pourtant depuis des décennies ! Prendre le train, enfourcher la bicyclette et faire du covoiturage pourraient ainsi être priorisés et donner des résultats immédiats. Mais au lieu de miser sur ces approches éprouvées et moins coûteuses, le gouvernement préfère distribuer des millions de dollars en subventions (680 millions en huit ans dans le cadre du programme Roulez vert), qui ajoutent des véhicules électriques sur les routes sans ralentir la croissance du parc de véhicules à essence. Ainsi, alors qu’environ 100 000 véhicules électriques contribuent maintenant à la congestion, rien n’a retenu les Québécois d’ajouter plus de 600 000 camions légers au parc de véhicules du Québec durant la même période, pour le grand bonheur des concessionnaires, stations-service et raffineurs. Des projets de transport en commun, comme le REM, voient bien le jour, mais ils sont insuffisants et ne s’attaquent pas directement à la croissance de la taille des véhicules et du parc automobile.
Au lieu de se mobiliser pour l’efficacité énergétique, le gouvernement signe en plein été un décret pour obliger Hydro-Québec à faire des appels d’offres pour l’éolien. On lance des consultations sur l’hydrogène vert et les bioénergies plutôt que de se pencher sérieusement sur les conclusions d’un rapport d’évaluation de l’efficacité énergétique dans les provinces — qui braque clairement les projecteurs sur le potentiel d’amélioration du Québec, en industrie et en bâtiment notamment.
La transition énergétique aura besoin d’éoliennes, d’hydrogène et de toutes les technologies. Mais si nous ne faisons pas de sérieux efforts de réduction de consommation énergétique, non seulement nous diminuerons nos chances d’atteindre nos cibles, mais nous nous appauvrirons. Tout le monde se plaint des prix de l’énergie ! Faisons en sorte d’en acheter le moins possible.
Moins d’auto oui mais ce qui est encore plus important c’est d’avoir moins d’auto nocives.
Vous ne pourrez pas empêcher l’augmentation des autos, ne serait-ce que par la force des choses comme l’augmentation de la population, peut importe votre idéologie.
La mobilité électrique est incontournable et fait partie de la solution.
J’aimerais vous entendre sur la promotion de cette solution au lieu de toujours chercher à stigmatiser le VE pour les mauvaises raisons.
Si les subventions vous indignent Monsieur Pineau, comment pouvez-vous rester calme devant la grossièreté des subventions à coup de Milliards à l’industrie du fossile? La pollution fossile va à l’encontre de toutes les bondieuseries sur la protection de la santé et de l’environnement que vous pouvez imaginer.
Dans un état pétrolier comme le nôtre (qui n’hésite pas à matraquer ses propres citoyens paisibles comme les opposants de Costal Gas Link par la GRC) ça fait longtemps que nos ministres de l’énergie ont perdu toute crédibilité quand il s’agit de concilier l’énergie sale, l’environnement et la santé publique. La crédibilité c’est comme la virginité.
C’est impossible à la retrouver quand on l’a perdu.
Aidez nous à refaire l’image au lieu de lancer des bombes puantes autour du VE et d’enfoncer le clou avec des fausses solutions comme l’H.
L’hydrogène (produit pétrolier) a toujours été utilisée pour retarder les vrais solutions et a perdu sa virginité depuis longtemps, comment pouvez-vous même suggérer que ça fasse parti de la solution?
L’avenir de l’H est un récit fictif et imagé par les communicants du fossile, alors que nous avons les solutions propres qui fonctionnent déjà aujourd’hui, elles sont réelles et moins chères. L’hydrogène est une fiction alors que les EnR et VE sont réelles.
J’attend de voir une Analyse du Cycle de Vie sur l’Hydrogène de la CIRAIG.
Pensez-vous que TOTAL et ARCELOR MITTAL Enbridge ou Énergir (cache-sexe de Gaz Metro) accepteraient de concocter des détails sordides sur l’H comme cela a été fait pour stigmatiser le VE et les EnR? Hmmm j’en doute, l’H ne dérange pas le baril de pétrole, au contraire c’est un produit pétrolier.
Efficacité énergétique et électrolyse pour fabriquer de l’H est un oxymoron. Comment peut-on économiser de l’énergie si on gaspille notre énergie propre à faire de l’H.
Les gens qui ont connu la crise du pétrole en 1973, puis en 1976, et qui étaient alors en France, ont tous vécu la « Chasse au gaspi ». On avait notamment introduit une norme de chauffage à la maison qui était de 19 °C. Je suis convaincu que, pour la plupart des Français de ma génération, cette norme signifie encore quelque chose. Pour ma part, c’est toujours, comme on dit chez Hydro-Québec, ma température de consigne, c’est à dire la température à laquelle est réglé mon chauffage en journée. D’une part on s’y fait très bien, et d’autre-part, rien n’oblige en hiver, à vivre chez soi en tee-shirt. La maîtrise de la consommation d’énergie, ça commence par là. Ça et l’isolation efficace des maisons.
Efficacité énergétique et électrolyse pour fabriquer de l’Hydrogène est un oxymoron.
Comment peut-on économiser de l’énergie si on gaspille notre énergie propre à faire de l’Hydrogène, peut importe la couleur, si c’est utilisé pour faire couler encore plus de pétrole et du gaz méthane?
L’avenir de Gaz Métro dépend de l’accroissement de son réseau de gazoducs alors que l’avenir de l’humanité dépend de la fermeture de ces tuyaux . Ce n’est pas étonnant que Énergir soit intéressé dans l’H payé par nos taxes.
L’hydrogène est un récit de fiction, alors que les EnR et la mobilité électrique sont réelles et fonctionnent déjà à moindre coût partout dans le monde. Si le QC ne commence pas sérieusement à faire partit des solutions du futur nous allons pulvériser les avances que nous avons déjà avec notre énergie propre.
Excellent article. Il est clair que les gouvernements ne voient pas les avantages électoraux à préconiser en premier les économies d’énergie avant de se lancer dans des programmes de subventions tout azimut.
On pourrait commencer par imposer une taxe supplémentaire sur chaque nouvelle VUS. Quand je vois le nombre de ces « camions déguisés » dans nos rues… Combien d’acheteurs en ont vraiment besoin?