Rétroviseur : Anticosti de toute urgence

L’île de Beauté québécoise est désormais protégée contre une exploitation effrénée de ses ressources connues et hypothétiques. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Voyage au temps des prospecteurs d’or noir.

glamstock / Imazins / Getty Images ; montage : L’actualité

Chaque dimanche, le rédacteur en chef adjoint de L’actualité, Éric Grenier, vous invite à lire (ou à relire) dans son infolettre Rétroviseur un des reportages les plus marquants de la riche histoire du magazine. Vous pourrez ainsi replonger au cœur de certains enjeux du passé, avec le regard de maintenant.

Bonjour, les touristes !

En effet, certains d’entre vous ont probablement déjà pris d’assaut la route des vacances. Pour sortir des sentiers battus sans pour autant traverser de mornes plaines sans intérêt, l’extrême est du Québec est sans contredit une terre de prédilection pour provoquer des « oh ! », des « woaaa ! » et des « ma parole que c’est beau ! ». Je pense particulièrement à la Côte-Nord, vaste contrée qui subit un peu l’ombre de sa voisine de l’autre côté de l’estuaire du Saint-Laurent, la populaire Gaspésie. Et pourtant, en matière de paysages capables de rivaliser avec ce qu’il y a de plus spectaculaire dans la moitié orientale du continent, tout ce qui se situe entre Tadoussac et Blanc-Sablon est bien pourvu. Montagnes, falaises, lacs, chutes, mer, forêts…

Ce en quoi la région est moins équipée, c’est en infrastructures de transport en tout genre. Une seule route. Quelques aéroports régionaux accueillant de rares vols à prix exorbitants. Un bateau. Ce qui donne peut-être cette impression que c’est loin. Mais ça ne l’est pas tant que ça : il faut compter 300 km et trois heures de moins que pour aller à Virginia Beach pour rejoindre Sept-Îles depuis le grand Montréal.

Reste que certains secteurs sont en effet difficiles d’accès. C’est le cas de l’île d’Anticosti. Pas facile d’y mettre le pied lorsqu’on est un quidam, mais il y a une dizaine d’années, si vous aviez un projet d’exploration pétrolière en main, c’est tout juste si l’État ne vous déroulait pas un tapis rouge (flottant) de 150 km entre Sept-Îles et Port-Menier pour y accéder. Il y avait à l’époque dans l’air salin de l’Anticoste une odeur de Klondike : quelque 40 milliards de barils de pétrole dormiraient dans le sous-sol friable de l’île, se faisait-on répéter. À un prix de vente de 111 dollars américains le baril à l’été 2013 (l’équivalent de 142 dollars américains aujourd’hui, alors que le même baril se négocie de nos jours à environ 80 dollars américains), il y avait de quoi s’emballer. Même si le potentiel n’était qu’hypothétique et avait déjà été jugé trop faible par une multinationale des années auparavant.

Alors qu’à l’été 2013, des sociétés pétrolières québécoises s’activaient pour bientôt trouer l’île partout, le journaliste Jonathan Trudel s’est senti investi d’une urgence, comme la poignée de touristes qu’il a rencontrés en juillet de cette année-là. « On s’est dit qu’il fallait se dépêcher de venir ici avant que le paysage soit quadrillé de puits de pétrole », lui a confié l’un d’eux. Pour Jonathan et sa petite famille, c’est une révélation. À la fameuse chute Vauréal, entre autres. « C’est comme si nous avions la chute Montmorency à nous seuls. Sans le bruit des voitures sur la route 138, sans pylônes ni motels à proximité. Et bien sûr, sans autocars de touristes. Isolés du monde, au milieu d’une île grande comme la Corse perdue dans le golfe du Saint-Laurent. » Pour eux, c’était un privilège. « Pourquoi si peu de touristes visitent-ils ce joyau du Québec ? » s’est-il demandé. Il a eu sa réponse en cours de périple, meublé à la fois d’émerveillement et d’inquiétude face aux visées mortifères des exploitants d’énergies fossiles. On connaît la suite : quatre ans plus tard, le gouvernement Couillard allait fermer le robinet pour de bon et, avec le gouvernement fédéral, déposer la candidature de l’île pour une inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Bon séjour à Anticosti grâce au reportage du Rétroviseur de cette semaine, publié pour la première fois un an après la visite, en août 2014.

Éric Grenier, rédacteur en chef adjoint

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