Un droit d’accès à la nature pour tous ?

Les grands espaces verts du Québec font l’envie du monde entier, mais ils demeurent fermés à une large majorité de la population. Pistes pour démocratiser l’accès à nos terres communes.

Alice Triquet / Unsplash

D’autres virus viendront. D’autres catastrophes frapperont le Québec. Pas de sitôt, espère-t-on. Mais en tirant des leçons de la dernière — et éprouvante — année, il est possible d’être mieux préparés pour faire face au prochain coup dur qui ébranlera la province. Voici l’un des chantiers à mettre en œuvre afin de ne plus jamais vivre des temps aussi difficiles.

À l’été 2020, les Québécois ont joué des coudes pour prendre l’air. Les parcs nationaux, les plages gaspésiennes et des centaines d’autres lieux naturels ont été envahis par des hordes de visiteurs.

Cette affluence inédite, qui s’est poursuivie cet hiver, met en lumière un paradoxe : nos grands espaces qui font l’envie du monde entier sont de plus en plus inaccessibles. Privatisation des rives, forêts soumises aux impératifs de la foresterie, d’autres morcelées par des constructions immobilières ; le terrain de jeu des Québécois se réduit comme peau de chagrin.

Le Québec a pourtant fait quelques efforts afin d’augmenter son pourcentage d’aires protégées. Le gouvernement Legault a atteint la cible de 17 % en décembre 2020, mais les nouvelles zones protégées de la province, qui couvrent 96 000 km2, soit plus que la taille du Nouveau-Brunswick, se concentrent dans le Moyen Nord et le Grand Nord, complètement inaccessibles, tant ils sont isolés. Peu d’ajouts se situent au sud du 49e parallèle (au sud de Baie-Comeau), où vit 98,5 % de la population, selon les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec.

« C’est extrêmement compliqué de créer des aires protégées au Québec. Plusieurs ministères ont des compétences sur les terres publiques et leurs objectifs s’opposent », explique Isabelle Bérubé, directrice du développement à la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec.

Pierre Gaudreault, directeur général d’Aventure Écotourisme Québec, une organisation qui regroupe les entreprises en tourisme d’aventure, compare la gestion de nos espaces naturels à une maison en colocation sans règles. « Un ministère donne de l’argent afin de créer des sentiers pédestres en forêt publique, puis un autre y autorise des coupes forestières. »

Difficile de préserver les acquis. Les sentiers déjà existants, autant en terre privée qu’en terre publique, subissent la pression des compagnies forestières, des industriels et des promoteurs immobiliers. « Le développement fragilise la qualité de l’expérience partout », déplore Pierre Gaudreault.

Afin de réduire la pression sur les espaces naturels, il faudrait créer de nouveaux parcs nationaux. Or, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) n’a qu’un seul projet à l’étude au sud du 50e parallèle : le parc national du Lac-Walker, situé à une trentaine de kilomètres de Port-Cartier, sur la Côte-Nord, à plus de 10 heures de voiture de Montréal.

Le manque d’action en ce sens se justifie difficilement. Si autrefois on plaidait que la protection d’une forêt engendrait des pertes économiques, cet argument tient moins aujourd’hui. Dans le cas particulier du mont Kaaikop, un relief important des Laurentides, avec ses 840 m d’altitude, soumis à un contrat d’approvisionnement en bois accordé par le MFFP, le spécialiste de l’économie écologique Jérôme Dupras concluait dans une étude que les coupes forestières prévues seraient moins rentables que la préservation, si on prend en compte les services écologiques que rend la forêt de ce massif et les retombées économiques du tourisme.

Quant à la privatisation des espaces naturels, l’exemple viendrait-il de la Suède, où il est permis de marcher et de camper sur n’importe quelles terres privées pourvu qu’on n’importune pas les propriétaires et qu’on ramasse ses déchets ? Ce principe, si cher aux Suédois, s’appelle l’allemansrätt, un droit inscrit dans leur Constitution. « On nous apprend son fondement à l’école, explique Emelie Söderlund Lärkfors, 31 ans, qui habite à Stockholm et a vécu au Québec pendant quatre ans. Lorsqu’on part en week-end, on n’a pas besoin de réserver une chambre. On trouve une place au bord d’un lac et on campe. »

L’allemansrätt pourrait s’avérer une solution… à condition d’un changement de culture et d’approche des Québécois à l’égard de leur environnement. « On vend la nature comme un produit de consommation », argumente Tegwen Gadais, professeur au Département des sciences de l’activité physique de l’UQAM et chercheur dans le domaine de l’intervention éducative en contexte de plein air.

De plus, les Québécois ne feraient pas preuve de la même civilité que les Suédois. « Nombre de campeurs et de randonneurs ne savent pas comment se comporter en nature. Ils laissent leurs déchets sur place et dégradent l’environnement. Il y a beaucoup d’éducation à faire », constate Danielle Landry, fondatrice de De ville en forêt, un organisme qui donne notamment des formations afin de minimiser les répercussions des activités de plein air.

L’envahissement des lieux naturels en région serait aussi moins intense si les centres urbains bénéficiaient de plus d’endroits propices à la contemplation de la nature et aux activités extérieures. « Nos villes ne comprennent pas de ceintures vertes. Les urbains, en s’exilant afin de s’adonner au plein air, surchargent les destinations de proximité », analyse Cyril Frazao, directeur exécutif de Nature Québec.

Les villes ont peu de moyens d’inverser la tendance. Si elles veulent exproprier des propriétaires en vue de protéger un boisé ou un milieu humide, la Loi sur l’expropriation exige qu’elles paient aux propriétaires la valeur marchande de leur terrain en plus d’une pénalité sur le profit théorique que ceux-ci auraient pu faire en le développant. « Ça fait exploser le coût d’acquisition, car les propriétaires déploient vite un plan de développement de grande ampleur pour justifier une expropriation à gros prix », déplore Maxime Pedneaud-Jobin, maire de Gatineau et porte-parole de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) relativement à ce dossier.

L’UMQ réclame une réforme de la Loi sur l’expropriation de façon urgente. Ailleurs, les expropriateurs n’ont pas à payer pour compenser la perte possible des profits. « C’est assurément un obstacle à la protection des milieux naturels », soutient Maxime Pedneaud-Jobin.

Autre constat : les villes n’intègrent pas assez à leur territoire la pratique d’activités extérieures, affirme Patrick Daigle, qui représente la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec au sein de la Coalition plein air, un regroupement d’organismes. « Le potentiel des villes demeure sous-exploité. On pourrait faire du canot sur le lac de l’île Notre-Dame ou faciliter l’accès aux îles au large de l’est de Montréal », dit ce professeur au collège Brébeuf et chargé de cours au programme de 2e cycle en plein air à l’UQAM.

Jouer dehors près de chez soi, pourquoi pas !

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« Privatisation des rives, forêts soumises aux impératifs de la foresterie, d’autres morcelées par des constructions immobilières ; le terrain de jeu des Québécois se réduit comme peau de chagrin. »

Vous avez raison. Et c’est dramatique!

Dire que la forêt québécoise est inaccessible est un euphémisme! Il ne fait pas l’ombre d’un doute que c’est la chasse-gardée des compagnies forestières et même les pourvoyeurs voient leurs territoires à « droits exclusifs » vandalisés pour faire du papier de toilette. Le gouvernement de la CAQ est à la solde des forestières et il n’est pas étonnant que la très grande majorité des aires protégées se trouve si loin au nord qu’elles sont inaccessibles pour le commun des mortels.

Nous sommes aussi dans un contexte colonialiste où les nations autochtones sont confinées dans leurs « réserves » et où la forêt qui les entoure est saccagée par les forestières. Quand j’étais étudiant, j’ai travaillé dans la réserve faunique La Vérendrye et c’était un endroit magnifique avec de très belles forêts, souvent vierges. Je rencontrais nos amis algonquins à Rapid Lake et on me racontait les histoires sur les routes de canot et les portages ainsi que leurs activités de piégeage. Tout cela a été détruit par les forestières au profit d’actionnaires étrangers. Les Algonquins (on les appelle maintenant Achininabés) ont protesté mais comme de raison on les a ignorés et maintenant le cheptel d’orignaux a diminué comme une peau de chagrin, ce qui impacte les activitiés très lucratives de la chasse à l’orignal. Si on avait laissé la gestion aux Autochtones, ils auraient pu avoir une base économique avec la pêche et la chasse ainsi que les activités de plein air en forêt mais on préfère les garder sur l’aide sociale. Rendons-leur leurs territoires et ils sauront les gérer bien mieux que le gouvernement caquiste!

Ce n’est pas tout. Si on a un chien, il est à peu près impossible de trouver un emplacement de camping dans les terrains de la SÉPAQ car le peu qui sont disponibles pour les chiens sont si peu nombreux et accessibles à tout le monde de toutes façons qu’il faut aller voir ailleurs. C’est aberrant dans le contexte où la pandémie a causé bien des gens à se procurer un compagnon canin et ceux-ci se voient refusés les campings de la SÉPAQ. Il faut aller à Parcs Canada qui est plus ouvert pour les chiens et tous les emplacements sont accessibles mais d’une part il y a peu de parcs fédéraux au Québec (3) et les chiens sont interdits dans les sentiers, même en laisse, ce qui implique que si on veut aller marcher en forêt le chien doit rester au camping avec les conséquences qu’on connaît.

Non, le Québec naturel est loin d’être accessible aux Québécois et on se croirait dans une république bananière où le territoire appartient à l’industrie, aux multinationales, et où le natif doit se contenter de rester à la maison…

J’avoue ne pas comprendre ce que vous dites… Je suis Français vivant en France mais je consulte parfois les annonces immobilières du Québec et constate que ce ne sont pas les annonces de vente de terrains qui manquent ! Terrains qui se chiffrent en hectares et à des prix plutôt modiques, qui plus est. Votre situation est enviable, très enviable.

Je crois que le modèle du juste milieu entre le Suédois et le Québécois serait intéressant à explorer.
L’expropriation n’est pas nécessairement requise si la loi oblige toute aire de villégiature privatisée (Un lac) au maintient de x% d’aire publique, comme les nouvelles règles des complexes d’habitation à Montréal, bordure de plage publique jamais privée dans les caraibes, zone non privée (droit de passage) de x mètres le long de tous les lacs et autres cours d’eau.
Pour le camping:
Droit d’usage moyennant rémunération pour le maintien des lieux et amendes / évictions pour délits, malpropreté, dommages à la propriété, coupe d’arbres, etc. Comme la facturation est par carte de crédit seulement+ plaque du véhicule, l’usager est connus et facile à rétro facturer si pas civilisé. Vous connaissez, le concept radar photo. Redevances au propriétaires privés pour l’usage libre accès dans les zones recherchées ou aménagées.
Je voyage beaucoup en milieu nature et j’observe qu’il existe ailleurs une offre alternative importante très absente au Québec, administrés par des privés, soit des aires de loisirs / camping minimalistes en périphérie des grands parcs, villes et autre lieu de villégiature prisées le tout pour faciliter l’accès civilisé et encadré. (Idéal pour la tente, les petits véhicules de visiteurs, les amants d’activités régionales, les sentiers aménagés, vélotourisme, canot, kayak, pêche, etc) Toilette sèche ou Block sanitaire payant si le volume du site le requiert. Offre la proximité de lieux intéressant pour les activités natures et urbaines, sur des terres privatisées, sans le coût associés au maintien et gestion des grands territoires comme les parcs Sépaq. Pourquoi le gouvernement doit faire tout.
Ex: Les BLM américains sans frais, qui sont des terres publiques non commerciales (Emprise de services publics, terres inondables) souvent limitées à 8-10 emplacement pour petit véhicules ou tentes pour locaux et voyageurs de passage. Toilette sèche seulement.
En Australie, il existe des aires réservés dans la majorité des parcs, ou on peut payer pour un emplacement numéroté, comme un parking et oui tu peux corder les tentes dessus, car la séche est inclus, mais block sanitaire payant et oui il y a pas d’hiver.
Au Mexique, on peut camper sur les terrains privés en bordure de mer en payant un droit au proprio. Il faut seulement demander son autorisation. Le civisme est de mise.
Pour un prix entre 10-15$ la nuit, toilette sèche ou block sanitaire central payant selon le volume de visiteurs permis, amendes pour malpropreté rétro facturé, etc. Paiement électronique seulement pour chaque emplacement, comme un parking et bac à rebus sur place.
A ce prix, personne campe dans les aires de loisirs de la ville ou sur un boulevard urbain.
– Ouest canadien, Yukon, Alaska; toutes les aires de camping en nature sont administrés sans aucun personnel attitré (premier arrivé) par simple paiement dans une enveloppe ou une borne comme le parking ou web cellulaire sur carte de crédit seulement. Ticket / éviction à tout contrevenants lors de la ronde de validation effectuée en soirée par le gardien.
Au Manitoba; Parcs de ville pour campement urbains, (Administrés idem) souvent sur le terrain d’une école, aréna et autre lieux délaissés en saison estivales. Les gens se regroupent, feu de camps central pour tous et aire de jeu à proximité.
Au québec on trouve peu de ces emplacement et souvent hors circuit touristique.
Ex: Amos, parc municipal avec lac de baignade, 1km du cetre-ville offre 15 emplacement à moins de 1 km du centre ville.
-Les haltes du terroir, pourquoi ne pas supporter une offre élargie.
Vous connaissez la Fromagerie de St-Elisabeth de Warwick (Village de 350 habitants, 20 maisons dans le village) mais super gros party comme St-Tite de 1000 à 2000 + personnes tous les vendredis soirs en plein air, le tout 100% privé et aire sans services pour stationnement de nuit sur réservation gratuites.
A ce prix, personne ne campe dans les aires de loisirs urbaines comme à Gaspé en 2020 (Offre insuffisante)…
Ce qui limite fortement la disponibilité est que les gouvernements désirent garder l’offre SEPAQ sans faciliter la compétition du privé, (structure de camping obligatoire) alors l’offre est limitée dans les aires aménagées et l’usage des terres non agricoles pas clairement permis comme explicite en Suède.
Prenez en exemple Montréal, Y as t’il un endroit ou accueillir les visiteurs campeurs à proximité autre que le stationnement de la marina de Longueuil? Qui veut planter sa tente sur un terrain de gravelle…
Essayez juste de réserver un emplacement dans le parc des Iles de Boucherville…
Il y as une belle piste cyclable tout le long du fleuve, Voie maritime du St-Laurent, plein de terre inondables abandonnées en friche l’été, terrains urbains non utilisés, qui son simple à exploiter comme aire de repos contrôlées sous gestion privée. (Ex: Stationnement des battures de Longueuil pour les feux d’artifice ou on stationne pour la nuit) Les idées ne manque pas, il faut seulement la volonté de favoriser l’accès à l’offre et les terrains propices seront exploités.
Le camping doit se moderniser, car les villes estivales (OKA) ont moins la cote, donc l’offre doit être élargie.
Et je sais, les exploitants de campings hors de prix pour le petit campeur à 50$ la nuit pour un bout de pelouse que aucune tente ne veut utiliser pousserons de gros cris face à cette compétition.
Suffisamment de contenu pour un bon gros débat à ne pas mettre sur Facebook.

Nous sommes restés des colons et des bûcherons dans l’âme. Les arbres ne sont qu’un produit à exploiter et une belle vue ou la beauté d’un lac, un produit à posséder. Nous sommes contrôlés par des intérêts économiques, des promoteurs amis-amis avec les villes et MRC. On se dépêche à morceler les terrains, pour en faire des développements de maisons toutes pareilles.

Allez donc voir ce qui se fait en Nouvelle-Écosse, une province pourtant pas bien riche mais un Ministère qui a fait le choix de protéger son territoire pour que ce soit accessible à tous. Aidé par les associations du coin, qui entretiennent les sentiers, font la promotion du . Vous pouvez faire des randonnées de 20 km et plus en y allant en bus, canot et portage, camping sauvage, et ce gratuitement.
Une liberté totale où vous décidez le matin même ce dont vous voulez faire.

Vous dites que <C’est extrêmement compliqué de créer des aires protégées au Québec. Plusieurs ministères ont des compétences sur les terres publiques et leurs objectifs s’opposent ». Le développement économique a un prix que l'on ne veut pas voir, entendre ou comprendre. C'est le temps que ça change.
C'est un choix. Un choix pour le bien-être d'une population et relation avec son territoire.

L’un des problèmes majeurs au Québec pour permettre à tous de profiter des forêts, c’est l’incivilité de certains québécois. Certains sentiers pédestres ont été fermés à cause des feux à ciel ouvert que font les gens, dans des forêts ou à des périodes où c’est interdit. Leurs propriétaires en empêchent donc l’accès par la suite.

Pour ce qui est de pouvoir camper partout, c’est encore l’incivilité des gens qui est problématique. Partout où il n’y a personne pour ramasser les déchets, vous trouverez des bouteilles et canettes de bière jetées au milieu des cendres de feux de camp. Tant que le camping sera associé à la bière et aux feux de camp, ce problème subsistera!