Peut-être ferez-vous partie de ceux qui avaleront leur café de travers en constatant la valeur accordée à leur propriété au nouveau rôle d’évaluation foncière. Plus d’une centaine de villes et de municipalités du Québec dévoilent en effet cet automne les nouveaux rôles d’évaluation qui entreront en vigueur au début de l’an prochain. Ce qui pourrait se traduire par une hausse de taxes.
Sachez que vous avez des recours pour contester l’évaluation foncière de votre propriété. Il faut cependant des arguments sérieux pour avoir gain de cause. Et ce n’est pas gratuit. Vous avez donc intérêt à bien estimer les frais à encourir, afin d’être certain que le jeu en vaut la chandelle.
Première étape : assurez-vous de bien comprendre ce qu’est le rôle d’évaluation foncière ; il s’agit d’une liste des évaluations municipales des immeubles situés sur un territoire, qui est renouvelée tous les trois ans. Cette année, c’est au tour des citoyens de l’île de Montréal, de Lévis, de Boisbriand, de Matane ou encore de Bromont de voir la valeur de leur propriété mise à jour en vertu du rôle d’évaluation 2023-2025, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023.
Le rôle d’évaluation de plusieurs grandes villes — dont Montréal — a déjà été déposé, ce qui signifie que vous pouvez le consulter en ligne (les municipalités le rendent généralement accessible sur leur site Web) et ainsi connaître la valeur accordée à votre propriété pour les trois prochaines années. C’est cette valeur multipliée par le taux de taxation qui détermine le montant de taxes municipales et scolaires que vous devez payer.
Deuxième étape : attendre le dépôt du budget de votre municipalité (souvent en novembre ou en décembre) pour connaître les taux de taxation qui seront en vigueur en 2023. C’est à ce moment que vous saurez si l’augmentation de la valeur de votre propriété risque de se traduire par une augmentation de taxes, et si oui de quel ordre de grandeur.
Troisième étape : recevoir votre avis de cotisation, dans les prochains mois.
« Il peut y avoir des erreurs », affirme Unsal Ozdilek, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et spécialiste de l’analyse immobilière. « Un mécanisme existe, il faut l’utiliser au besoin. »
Mais avant d’entamer de telles démarches, assurez-vous d’avoir des arguments solides. Et non, le simple fait de pester face à une hausse de taxes n’est pas suffisant, souligne Pierre-René Perrin, directeur de la fiscalité municipale et associé chez Gamma Gestion de patrimoine, un cabinet de planification financière à Laval. « Malheureusement, c’est ce que je vois souvent : la majorité des demandes de révision sont déposées par des gens en colère au sujet de leur avis de cotisation. Alors que le principal motif de révision devrait être que la valeur au rôle dépasse la valeur marchande réelle de la propriété. »
Si vous croyez qu’une erreur a été commise, la première chose à faire est de contacter le Service de l’évaluation foncière de votre municipalité (ou celui de votre MRC, si vous habitez une petite localité), conseille Unsal Ozdilek. L’évaluateur qui s’est chargé de votre dossier devrait être en mesure de vous indiquer sur quels critères il s’est appuyé pour arriver au montant qui vous fait sourciller.
Demander une révision
Si votre échange avec l’évaluateur ne vous satisfait pas, vous pouvez déposer une demande officielle de révision auprès de l’organisme ou du service municipal chargé de l’évaluation foncière. Dans le cas du rôle 2023-2025, cette demande doit être déposée au plus tard le 30 avril 2023 et des frais pouvant aller de quelques dizaines de dollars à 1 000 dollars s’appliquent en fonction de la valeur contestée. Par exemple, la contestation de l’évaluation d’une propriété montréalaise dont la valeur est supérieure à 500 000 dollars et inférieure ou égale à 2 millions de dollars coûte 300 dollars. En cas de refus, vous pouvez plaider votre cause devant la Section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec et, en dernier recours, interjeter appel à la chambre civile de la Cour du Québec.
Il faut savoir que la valeur d’une propriété établie dans le rôle d’évaluation 2023-2025 correspond en principe au montant que vous auriez été le plus susceptible d’obtenir lors d’une vente de gré à gré le 1er juillet 2021. Afin de contester votre évaluation, vous devez donc vérifier le prix de vente des propriétés comparables à la vôtre pour le mois de juillet 2021. « S’appuyer sur l’évaluation foncière de la maison du voisin, ce n’est pas admissible dans un processus de révision », avertit Me Louis Beauregard, avocat spécialisé en droit municipal et immobilier chez Beauregard Avocats.
Pour trouver des ventes d’immeubles comparables, vous pouvez plonger dans le Registre foncier du Québec. Il faut toutefois s’y inscrire, savoir quelles adresses chercher et payer un dollar par document consulté. Les Montréalais ont également accès à un outil leur permettant de consulter les ventes de propriété de leur secteur. Mais pour donner du poids à vos arguments, l’idéal est d’obtenir l’avis d’un évaluateur agréé. « Devant la cour, sans évaluateur, c’est plus difficile d’avoir gain de cause, à moins d’être un citoyen très bien informé et préparé », affirme Me Beauregard. Un tel expert exige en général 500 dollars pour produire son rapport d’évaluation, selon Unsal Ozdilek. S’il vient témoigner en cour, la facture peut grimper rapidement.
Trouver des arguments béton
Parmi les motifs raisonnables de contester votre évaluation foncière, vous pouvez aussi invoquer l’utilisation d’informations inexactes lors de l’évaluation (superficie, matériaux, etc.) ou encore des nuisances (bruit, pollution) et des défectuosités à votre propriété dont l’évaluateur n’avait pas connaissance.
Par exemple, si les fondations de votre maison sont gravement fissurées, qu’il vous en coûterait 75 000 dollars pour les faire réparer et que vous savez que cette somme devrait être déduite du prix de vente, vous avez sans doute un motif raisonnable. Toutefois, si vous jugez que votre maison vaut moins qu’une autre parce que votre céramique n’est plus au goût du jour, cherchez des raisons plus convaincantes. « Il faut que ce soit un argument qui serait mis sur la table lors d’une négociation pour la vente de votre maison », résume Unsal Ozdilek.
Et vos chances de succès en cas de contestation ? « Si on a une propriété dont l’intérieur est en très mauvais état, on a 75 % des chances d’obtenir gain de cause, étant donné que les évaluateurs inspectent physiquement les propriétés environ aux 10 ans », estime Pierre-René Perrin, de Gamma Gestion de patrimoine. La probabilité de gagner diminue cependant radicalement quand on a une propriété en bon état, précise-t-il.
Patienter jusqu’au budget municipal
Comme c’est au moment du dépôt du budget de votre municipalité que vous connaîtrez les nouveaux taux de taxation, cela peut valoir la peine d’attendre jusque-là avant de faire quoi que ce soit. Certaines municipalités diminuent parfois le taux de taxation pour atténuer la hausse des évaluations foncières. Ou elles étalent l’augmentation de la valeur des propriétés sur trois ans pour éviter une hausse soudaine des taxes.
Plusieurs municipalités tenteront probablement d’atténuer le choc ainsi, pour contrebalancer l’effet de la frénésie immobilière des dernières années qui se reflète actuellement dans les nouveaux rôles un peu partout au Québec. La valeur foncière des immeubles résidentiels de cinq logements et moins a augmenté en moyenne de 35,6 % sur l’île de Montréal ; celle des propriétés unifamiliales de Lévis a fait un bond moyen de 12,2 % et celle des habitations des Îles-de-la-Madeleine, de 25,27 %. Mais rassurez-vous, il serait étonnant que l’augmentation de votre avis de cotisation soit aussi marquée.
Bref, il est préférable de faire preuve d’un peu de patience et de sortir votre calculatrice avant de contester votre évaluation foncière. Si le coût de la demande de révision (au moins 75 dollars dans le cas de Montréal, 40 dollars à Joliette ou aux Îles-de-la-Madeleine), du rapport de l’évaluateur et des possibles honoraires d’avocat en cas de recours devant les tribunaux dépasse le montant de l’augmentation de vos taxes pour les trois années à venir, il vaut sans doute mieux laisser tomber.
Et l’avis de cotisation basé sur la valeur que vous contestez, vous devez le payer quand même, prévient Me Beauregard. Si vous obtenez gain de cause, votre ville ou municipalité vous remboursera les taxes versées en trop, avec intérêts.
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