Difficile de trouver lecture plus rébarbative qu’un contrat. Que ce soit pour obtenir une assurance voyage, louer un véhicule ou consentir au partage de vos données personnelles, le texte juridique vous liant à l’entreprise est souvent un charabia aussi obscur qu’interminable. Reste à signer cette liasse de papiers bourrés de notes en petits caractères. Ou encore à cliquer sur « J’accepte » après avoir fait défiler 72 pages de phrases compliquées.
Au Québec, des lois obligent pourtant les commerçants à faire un effort. La Loi sur la protection du consommateur stipule (depuis 1980 !) qu’un « contrat doit être clairement et lisiblement rédigé ». Le Code civil prévoit aussi qu’un consommateur lésé par une clause incompréhensible peut s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. Et à partir de septembre 2023, chaque fois qu’une entreprise voudra obtenir des renseignements personnels, elle devra vous demander votre consentement « en termes simples et clairs ».
En théorie, les consommateurs québécois devraient donc pouvoir signer des documents limpides. « Dans la pratique, c’est autre chose ! » dit Me Clément Camion, avocat et associé d’En Clair, un bureau de vulgarisation juridique montréalais qui aide les entreprises et les organisations à simplifier leurs documents.
L’étude d’un corpus de contrats en anglais, dont les résultats ont été publiés en juillet dernier dans la revue scientifique Cognition, montre que la bouillie juridique est difficile à digérer. Les 184 volontaires, à qui l’équipe de chercheurs américains a fait lire des extraits de contrats, ont eu beaucoup plus de mal à les comprendre et à se souvenir du contenu qu’après la lecture de textes de journaux et de magazines. Une expérience avec des contrats en français arriverait sûrement à la même conclusion, estime Clément Camion. Car ils contiennent eux aussi les éléments relevés par les chercheurs : plus de jargon et de mots rares, et beaucoup de phrases à la voix passive ou à la syntaxe très compliquée.
Seule différence notable : dans les textes en anglais, des passages entiers sont en majuscules. Aux États-Unis, la jurisprudence exige que les limites de responsabilité soient ainsi mises en valeur. « Ce n’est pourtant pas la meilleure façon de rendre une phrase facile à lire », commente Me Camion. Au Québec, cette pratique est plus rare, sauf à l’occasion dans des contrats de grandes entreprises américaines qui en ont fait la traduction en français, par exemple.
Dans les grandes entreprises, le personnel lui-même trouve souvent ses contrats rebutants. Lors d’un sondage fait en 2017 auprès de 575 membres de World Commerce & Contracting, une association internationale de gens d’affaires, la moitié d’entre eux ont affirmé qu’ils avaient du mal à expliquer leurs propres documents !
Au Québec, quels sont les recours ?
Les contrats sont parfois si compliqués qu’on pourrait penser que les avocats font exprès pour qu’on s’y perde, de façon à mieux protéger l’entreprise. La réalité est tout autre, assure Clément Camion. « Souvent, ils partent de modèles qui ont subi l’épreuve du temps, et ils y ajoutent des clauses pour gérer les risques qui émergent. La complexité survient par sédimentation. Des couches d’informations s’accumulent, jusqu’à ce que ça n’ait plus de sens. »
La Loi sur la protection du consommateur et son règlement d’application exigent pourtant qu’un contrat soit facile à lire, autant par son contenu que par son contenant. L’aspect matériel du document est donc aussi réglementé : un contrat imprimé doit obligatoirement être présenté dans un caractère typographique de taille équivalant au minimum à de l’Helvetica 10 points, et les chiffres, à de l’Helvetica 12 points. Si le document est imprimé recto verso, il doit comporter la mention « VOIR VERSO » en 14 points au bas du recto de chaque feuille.
La longueur excessive du contrat pourrait aussi être invoquée comme argument devant un juge, dit Me Elodie Castonguay, avocate en litige civil chez Verreau Dufresne Avocats, à Lévis. « Si un contrat est long au point d’engendrer des obligations disproportionnées pour le consommateur, ce dernier peut en demander l’annulation », dit l’avocate.
Pour avoir gain de cause, le client doit cependant faire la preuve qu’il a subi un préjudice, précise le Code civil du Québec. Rien ne sert de prétendre que votre contrat de téléphonie est trop complexe simplement pour pouvoir y mettre fin sans pénalité : cela ne convaincra aucun juge ! En revanche, si vous réussissez à démontrer que vous avez subi des dommages en raison d’une clause nébuleuse ou enfouie au bas de la page 36, vous êtes en bonne posture. En cas de litige, l’interprétation du contrat doit se faire en faveur du consommateur, c’est écrit noir sur blanc dans le Code civil.
Difficile de savoir combien de clients mécontents obtiennent gain de cause, car la vaste majorité de ces dossiers se règlent à l’amiable, sans laisser de traces. À moins d’être certain de gagner, un commerçant n’a en effet aucun avantage à se rendre jusqu’à un procès. « Si un juge invalide un modèle de contrat qu’un commerçant utilise depuis des années, cela crée un précédent, explique Me Castonguay. Il y aura un jugement écrit. Et beaucoup de clients pourraient demander réparation eux aussi ! » Le commerçant a donc tout intérêt à négocier un règlement à l’amiable, qui restera confidentiel. La plupart des dossiers défendus par l’avocate se concluent ainsi : elle obtient l’annulation de la clause, voire du contrat en entier, ou encore une compensation.
Si le litige concerne un achat de moins de 15 000 dollars, vous pouvez déposer une poursuite à la Division des petites créances, où vous vous représenterez seul. Des plateformes de services juridiques en ligne, comme OnRègle.com ou Neolegal, permettent d’envoyer une mise en demeure pour une centaine de dollars, sans rien oublier. Vous pouvez aussi très bien la rédiger vous-même, en suivant notre guide.
3 000… ou 50 000 $ ?
Une fois de temps en temps, une affaire se rend devant les tribunaux, comme celle entendue par la Cour supérieure en 2017 opposant Location Caravane Leblanc inc., un locateur de véhicules de Laval, à Jean-François Lebreton, un touriste français ayant loué une autocaravane. Le véhicule ayant été volé, Jean-François Lebreton s’attendait à payer la franchise de 3 000 $ prévue au contrat en cas de vol. Or, le locateur exigeait 48 096,59 $ en invoquant une clause d’exclusion. Selon cette clause, le client doit payer la valeur à neuf de l’autocaravane s’il ne rapporte pas les deux jeux de clés… mais l’un des deux était caché dans le véhicule lorsqu’il a été volé (le vacancier ne voulait pas le perdre dans les glissades d’eau).
La clause en question est « difficile à comprendre et est grammaticalement erronée », a tranché un juge. De plus, elle se trouve au verso du contrat, en petits caractères, et noyée au milieu d’une page 8½ po x 14 po remplie de texte. Le locateur aurait dû attirer l’attention du client sur cette clause au moment de la signature, ce qu’il n’a pas fait. Verdict : Jean-François Lebreton a pu s’en tirer en payant la franchise seulement.
Comment reconnaître un bon contrat
Des phrases simples, des mots usuels, voilà la base pour rendre les contrats plus digestes. Mais il y a bien d’autres éléments à considérer, souligne Clément Camion : « Le design graphique, la structure de l’information et des titres évocateurs permettent de bien naviguer dans le document pour y trouver ce qu’on cherche. » Le contraire d’un pavé de texte qui commence par « Portée et application », des termes que personne ne comprend, à part les juristes.
L’équipe d’En Clair a ainsi déjà épuré des contrats de cartes de crédit, de prêts hypothécaires, des polices d’assurance, entre autres choses, avec des clients comme Desjardins, Hydro-Québec et le Groupement des assureurs automobiles. Et ce ne sont pas les clients potentiels qui manquent.
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