Mon ami Gabriel a fait un saut en voyant l’annonce pour un petit cinq et demie « spacieux » à Montréal, affiché à 1 900 dollars par mois. L’appartement en question, voyez-vous, est celui qu’il quittera le 1er juillet — et le loyer actuel est de 1 500 dollars par mois.
Profiter du départ d’un locataire pour augmenter le loyer de 400 dollars d’un coup, ça ne passe pas aux yeux de Gabriel. Surtout pour un logement tellement mal entretenu qu’il a décidé de s’en aller un an à peine après y avoir emménagé. Il va donc tout faire pour s’assurer que la personne qui prendra sa place le 1er juillet connaîtra la « clause G ».
La section G est une partie méconnue du bail de location. Elle se trouve sur la troisième page, juste au-dessus des signatures à la section H. Les propriétaires doivent, sauf rares exceptions, y indiquer le loyer le plus bas qui a été payé au cours des 12 mois précédents. Et si cette somme est moins élevée que celle qu’on exige de vous, vous pouvez demander au Tribunal administratif du logement (TAL) — autrefois connu sous le nom de Régie du logement — de fixer votre loyer. Et ce, même après la signature du bail.

Dit autrement, vous pouvez demander au TAL de recalculer la hausse, dans l’espoir de faire baisser votre loyer. Vous avez bien lu. Si cela vous semble trop beau pour être vrai, vous n’avez pas tout à fait tort, car il y a des bémols. Pour avoir gain de cause, vous devez prouver, dans les délais fixés par le TAL, que vous avez subi une augmentation abusive. Voici en quoi tout cela consiste.
Hausse abusive
Pour espérer que le TAL réduise substantiellement votre loyer, il faut d’abord que la hausse soit « abusive », explique Jessica Dupuis, avocate en droit immobilier chez Neolegal, qui convient toutefois que ce terme est un peu « flou ».
En gros, cela signifie que l’augmentation entre la somme inscrite à la clause G et votre loyer doit être supérieure au pourcentage obtenu à l’aide de la grille de calcul simplifiée du TAL. Cette dernière est hélas difficile à utiliser pour un locataire, car il ne possède pas plusieurs des informations demandées, tels le coût des assurances pour le bâtiment et le coût des travaux effectués au cours de l’année.
Un autre option consiste à comparer votre hausse à « l’estimation moyenne d’ajustement de base » publiée chaque année en janvier par le TAL. En 2023, l’estimation moyenne était ainsi de 2,3 % pour un logement non chauffé.
Ce chiffre ne tient toutefois pas compte de la hausse de l’impôt foncier — plusieurs propriétaires ont eu droit à une augmentation salée récemment — ni des travaux effectués, deux éléments qui varient grandement d’un immeuble à l’autre et d’une ville à l’autre. Dans un exemple fictif basé sur une hausse de l’impôt foncier de 5 %, le TAL arrive à une augmentation de loyer de 2,9 %. Et si on ajoute à cela des travaux de 5 000 dollars dans le logement, ce serait plutôt 4,5 %.
Bref, avant de conclure à une hausse abusive, informez-vous. Vous pouvez habituellement trouver le compte de « taxes municipales » d’un immeuble sur le site Internet de votre ville ou de votre municipalité afin de calculer la hausse — dans le cas de mon duplex, elle a été de 12 % en 2023 ! Pour les travaux, c’est plus complexe, mais vous pouvez toujours poser la question à votre propriétaire.
Si ni l’impôt foncier ni les rénovations ne semblent justifier votre hausse de loyer comparativement aux pourcentages du TAL, vous entrez possiblement dans la catégorie « augmentation abusive ». Dans le cas de l’appartement de mon ami Gabriel, avec la hausse de 27 % sans travaux ni entretien, je serais extrêmement surpris que ce ne soit pas considéré comme abusif.
Respecter les délais
La deuxième étape, avant d’entreprendre les démarches pour faire fixer votre loyer en vertu de la section G, est de vous assurer d’agir dans les délais.
Si la clause G a été dûment remplie par votre propriétaire, vous n’avez que 10 jours après la signature du bail pour déposer votre demande au TAL. Pour ceux et celles qui déménagent le 1er juillet dans un appartement pour lequel le contrat a été conclu en mars, il est donc trop tard, quelle que soit l’ampleur de la hausse — vous le saurez pour la prochaine fois.
Si la clause G a été laissée vide par le propriétaire, ce qui n’est pas rare, vous avez deux mois à partir de la date du début de la location — et non de la signature — pour faire une demande de fixation du loyer au TAL. Ça vaut donc la peine de jeter un œil à votre section G si vous déménagez bientôt, au cas où elle serait vide.
Finalement, il est possible que le propriétaire ait menti à la clause G, en indiquant par exemple que le dernier loyer payé était de 1 000 dollars, alors qu’il était en réalité de 750 dollars. Il s’agit, dans le jargon, d’une « fausse déclaration ». Si vous êtes victime d’un tel mensonge, vous avez deux mois à partir de sa découverte pour déposer une demande au TAL.
Avoir des preuves
Si vous considérez que la hausse est abusive et que vous respectez les délais, il vous faut maintenant des preuves. Dans le cas où la section G a été remplie honnêtement par le propriétaire — certains ne se cachent pas de faire une grosse augmentation —, c’est facile : c’est écrit noir sur blanc, avec sa signature.
Si la clause G a été laissée vide, ou si vous soupçonnez que la somme inscrite est fausse, il est possible d’entreprendre des démarches, mais ce sera plus compliqué, explique Jessica Dupuis. « Idéalement, il vous faut l’ancien bail ou le témoignage de l’ancien locataire. »
Comment obtenir cela ? Si vous êtes vraiment chanceux, l’ancien locataire aura laissé avant de partir une copie à jour de son bail, avec l’ajout des diverses hausses au fil des ans, quelque part dans l’appartement — c’est ce que recommandent de faire les différentes organisations qui militent pour la défense des droits des locataires.
Si vous n’avez pas de chance, Jessica Dupuis conseille d’être créatif. « On reçoit souvent du courrier destiné à l’ancien locataire. Vous pouvez utiliser le nom qui se trouve sur l’enveloppe pour faire une recherche en ligne. » Mieux encore : demandez les coordonnées directement au propriétaire en lui disant que vous voulez appeler l’ancien locataire pour arranger la collecte des lettres reçues à son nom.
Une autre option, en cas d’échec, consiste à s’informer auprès des voisins. Connaissaient-ils le loyer de l’ancien locataire ? Sinon, auraient-ils ses coordonnées, ou à tout le moins son nom, afin que vous puissiez le contacter ou le retrouver sur les réseaux sociaux ?
Comment lancer les procédures
Vous êtes victime d’une hausse abusive, vous respectez les délais et vous avez des preuves ? Il est temps d’entreprendre les démarches.
La première étape semblera étrange, mais elle est essentielle : continuez de payer le loyer statué dans le bail que vous avez signé ! « On voit souvent des locataires décider de retenir eux-mêmes le loyer », raconte Jessica Depuis. Le problème, c’est que le propriétaire a alors un motif valable pour entreprendre des démarches juridiques contre vous.
La deuxième étape surprend également : essayez d’éviter le TAL. « Le meilleur procès est celui qui n’a pas lieu », rappelle l’avocate. Dit autrement : tentez de trouver un terrain d’entente avec votre propriétaire en expliquant la situation. Après tout, se lancer dans des procédures judiciaires n’est pas la meilleure façon de commencer une relation avec la personne que vous devrez appeler lorsque l’évier coule…
Si l’entente n’est pas possible, ou si vous voulez aller devant le TAL par principe, la première étape consistera à envoyer une mise en demeure au propriétaire, en lui accordant un délai de 10 jours pour diminuer le loyer à un tarif raisonnable — sautez cette étape si vous venez de signer le bail, afin de respecter les délais du TAL. S’il refuse, ou s’il ne répond pas, vous pourrez — enfin ! — déposer une demande en ligne sur le site du TAL. Vous aurez des frais à payer variant de 54 à 84 dollars, selon le coût de votre loyer.
Sachez qu’il est tout à fait possible de se représenter soi-même devant le TAL, dit Jessica Dupuis. « Vous ne voulez pas que ça vous coûte plus cher d’avocat que ce que vous allez récupérer… »
Il y a toutefois des formalités à respecter, faute de quoi votre dossier pourrait être fermé avant même d’être entendu. Surtout, la manière dont vous formulez votre demande est très importante. « Le juge ne peut pas juger sur ce qui n’a pas été demandé », souligne Jessica Dupuis. Par exemple, si vous n’exigez pas d’être dédommagé pour les mois où vous avez payé un loyer trop élevé, vous ne pourrez pas récupérer cet argent.
Le Comité logement du Plateau Mont-Royal a mis en ligne un guide détaillé pour vous aider à déposer votre demande dans les normes. Vous pouvez aussi consulter un avocat — jetez un œil à ces services à frais modiques — afin qu’il vous explique clairement les étapes à suivre. Vous pourrez ensuite déterminer si vous voulez faire le travail vous-même ou si vous préférez confier certaines tâches à l’avocat.
N’hésitez pas non plus à vous informer ou à demander de l’aide auprès du comité logement de votre région. Certains fournissent notamment des exemples de mise en demeure, entre autres services.
À quoi vous attendre
Les délais pour que le TAL entende votre cause varient d’une région administrative à l’autre. « Les demandes de fixation de loyer sont toutefois des dossiers traités en priorité », dit Jessica Dupuis, qui observe une attente de deux à trois mois à Montréal.
Si votre dossier est bien ficelé, sachez que « les tribunaux ne pardonnent pas les hausses abusives en ce moment, ils sont assez sévères avec les propriétaires ». Vous pourriez donc obtenir une baisse de loyer, calculée selon les barèmes du TAL, rétroactive au début du bail. Bref, ça vaut la peine de faire respecter vos droits, surtout si vous avez l’intention de rester longtemps à la même adresse.
Faire un effort
Il vous sera beaucoup plus facile de faire valoir votre clause G si le locataire précédent a transmis toutes les informations nécessaires. Soyez donc bon joueur et faites de même chaque fois que vous quittez un appartement en laissant une copie de votre bail dans un tiroir. Vous pourriez aussi donner vos coordonnées à un voisin de confiance pour qu’il les transmette au prochain locataire.
Mon ami Gabriel a l’intention d’aller plus loin encore afin de s’assurer que la personne qui paiera 400 dollars de plus par mois pour son appartement miteux est au courant de ses droits. Il compte poster une copie du bail quelques semaines après le 1er juillet, au cas où son propriétaire enlèverait celle qu’il aura laissée dans le logement à son départ.
« La crise du logement, c’est le cumul de plein de décisions individuelles », dit Gabriel. Celles des propriétaires, qui exagèrent parfois dans les hausses de loyer. Mais aussi celles des locataires, qui doivent s’entraider et faire valoir leurs droits.
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