Le professeur d’économie James Choi, de l’Université Yale, s’y connaît plus que la moyenne des ours lorsqu’il est question de finances personnelles — ses travaux de recherche ont contribué à augmenter le taux de participation des travailleurs aux régimes de retraite un peu partout sur la planète, y compris au Québec.
N’empêche, lorsqu’il a été mandaté pour donner un cours de finances personnelles, il a jeté un œil aux livres les plus populaires sur le sujet pour s’inspirer. Si Père riche, père pauvre, par exemple, s’est écoulé à plus de 32 millions d’exemplaires, c’est que ces ouvrages doivent bien renfermer quelques bons conseils, s’est-il dit. « En les feuilletant, j’ai réalisé que les recommandations qui s’y trouvent vont souvent à l’encontre des théories économiques », raconte le professeur.
Ces auteurs auraient-ils compris quelque chose qui aurait échappé aux experts économiques avec leurs modèles parfois complexes, ou sont-ils simplement dans l’erreur ? Pour répondre à cette question, James Choi a lu 50 best-sellers de finances personnelles afin d’en décortiquer les conseils. Il a fait part de ses constats à L’actualité.
Qu’espériez-vous apprendre dans ces livres grand public ?
Ces auteurs ont passé le test du marché — des millions de personnes acceptent de leur donner temps et argent pour obtenir leurs conseils. Ils sont donc plus en phase avec la réalité et le grand public que les chercheurs en économie, et j’étais curieux de voir si certains de leurs conseils pratiques ou considérations mériteraient d’être inclus dans les modèles économiques.
« Les livres proposent une règle empirique qui n’est peut-être pas optimale, mais qui fournit au moins une réponse. »
Sur quels éléments les économistes et les auteurs en finances personnelles ne s’entendent-ils pas ?
Les auteurs populaires insistent beaucoup sur la discipline, sur les manières de créer et de maintenir la volonté d’adhérer à un plan financier, puis de le suivre. La plupart encouragent par exemple les gens à épargner dès leur jeune âge, souvent de 10 % à 20 % de leur revenu, afin que mettre de l’argent de côté devienne une habitude. Les économistes, eux, cherchent le taux d’épargne optimal. Leur recommandation est de peu ou pas épargner lorsqu’on est jeune, quand on a un revenu bas, puis d’épargner beaucoup au milieu de sa vie, lorsqu’on a un salaire généralement plus élevé, pour ralentir une fois à la retraite.
La méthode des économistes paraît plus facile à suivre, non ?
D’un point de vue purement hédonique, c’est un conseil facile à suivre, car vous n’avez pas à vous priver quand vous êtes jeune. Mais ce ne sera pas aussi plaisant dans votre quarantaine et votre cinquantaine, lorsque vous devrez vous transformer en super-économe… Je crois que les auteurs populaires réalisent que, d’un point de vue psychologique, c’est extrêmement difficile de changer soudainement de comportement au milieu de sa vie. D’où cette idée de construire cette discipline dès un jeune âge et de la maintenir tout au long de son existence, peu importe son revenu.
Sur quels points les économistes et les auteurs populaires s’entendent-ils ?
Il y a un large consensus sur les fonds d’investissement indiciels, qui sont préférables aux fonds gérés activement [NDLR : les fonds indiciels, aussi appelés fonds passifs, sont investis dans l’ensemble des titres cotés en Bourse afin d’obtenir le rendement du marché ; leurs frais de gestion sont souvent très bas, contrairement à ceux des fonds gérés activement, qui tentent de battre le marché… mais n’y parviennent pas la plupart du temps]. Les données montrent que, en moyenne et à long terme, l’investissement indiciel procure de meilleurs rendements, et que la performance passée d’un fonds actif n’est pas un indicateur de sa performance future. La majorité des auteurs le reconnaissent — à l’exception notable de Peter Lynch, qui a fait sa fortune dans l’industrie des fonds communs actifs.
Vous comparez les conseils des livres de finances personnelles à ceux des bouquins qui proposent des régimes santé. Pourquoi ?
Les gens savent généralement qu’il faut bien s’alimenter et faire de l’exercice régulièrement pour avoir une excellente santé. Or, la plupart d’entre nous sommes incapables de suivre ce mode de vie. C’est pour cette raison que les livres de régimes donnent des conseils non pas optimaux mais accessibles, comme de faire de l’exercice pendant 30 minutes quatre fois par semaine, ou encore de manger des repas moins sains de temps à autre pour être capable de conserver sa discipline le reste du temps. Les auteurs d’ouvrages de finances personnelles s’inspirent parfois de cette approche, notamment pour les dettes. Au lieu de rembourser en priorité le prêt ayant le taux d’intérêt le plus élevé — ce qui, financièrement, est la meilleure décision —, plusieurs suggèrent de commencer par payer la dette la plus petite afin de voir des résultats rapides et de se motiver à s’attaquer au reste. Les économistes, eux, ne font pas ce genre de concession à la nature humaine et à ses faiblesses.
Les conseils des auteurs seraient donc une option de rechange acceptable pour ceux qui trouvent l’approche des économistes trop aride ?
Je reviens à l’exemple du régime : le meilleur est celui que vous parvenez à suivre et à maintenir dans le temps. Cela dit, à ma connaissance, il n’y a aucune preuve que les astuces des livres de finances personnelles permettent réellement d’améliorer sa vie financière. C’est quelque chose que j’aimerais étudier dans l’avenir, car ce sont des questions importantes, d’un point de vue économique, pour monsieur et madame Tout-le-Monde.
Quelle leçon les économistes devraient-ils retenir des livres de finances personnelles ?
Les conseils des auteurs sont faciles à comprendre. Si vous vous demandez quelle part de votre portefeuille devrait être investie dans des actions, ou encore quel pourcentage de votre revenu vous devriez économiser, ils vous donneront une réponse claire. Mais si vous utilisez un modèle économique pour résoudre ces questions, il vous faudra écrire un programme informatique, puis le faire rouler pendant un long moment avant d’obtenir la solution. C’est beaucoup trop complexe. Même les économistes ne font pas cela pour gérer leur propre vie financière. Les livres proposent une règle empirique qui n’est peut-être pas optimale, mais qui fournit au moins une réponse. L’un de mes objectifs est d’élaborer des modèles économiques qui ne tendent pas à la perfection, mais qui offrent plutôt des solutions qui s’en approchent et qui sont assez simples pour être mises en pratique par le grand public.
Quand allez-vous écrire votre propre livre de finances personnelles ?
Pas avant de nombreuses années. Il y a trop de questions, parfois très élémentaires, auxquelles ni mes collègues ni moi ne savons quoi répondre. Par exemple, si vous possédez des économies, que devriez-vous faire : rembourser votre hypothèque plus rapidement ou investir en Bourse ? Personne ne peut répondre à cela avec certitude ! Pourtant, c’est un enjeu auquel doit faire face une part importante de la population. C’est signe que la profession économique devrait rediriger certains de ses efforts collectifs de recherche vers des préoccupations plus pratiques.
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 2023 de L’actualité, sous le titre « Riche d’enseignements ».