
La mort. Voilà la dernière chose à laquelle pensent les Québécois lorsqu’ils achètent un pied-à-terre dans un pays chaud, que ce soit au Mexique, en Grèce ou au Costa Rica. Difficile de les blâmer. Mais quand ils partiront pour le dernier grand voyage, qui héritera de leur coin de paradis ?
« Bien des gens croient que les règles seront les mêmes que chez eux », constate la notaire Julie Loranger, spécialiste de la protection du patrimoine au cabinet d’avocats d’affaires BCF. Or, les lois varient d’un pays à l’autre et parfois d’une province à l’autre, au point que même des juristes en perdent leur latin.
Cela n’a pas empêché les Québécois d’acheter des propriétés à l’étranger pendant des années sans penser à l’avenir. Mais maintenant que les premiers baby-boomers ont 70 ans, ils sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter de ce qu’il adviendra à leur décès.
Il arrive souvent à Julie Loranger de se faire demander un testament « international ». Hélas, un tel document n’existe pas ! Pour faire respecter vos dernières volontés à l’étranger, vous devez d’abord rédiger un testament selon les lois du Québec. Celui-ci sera reconnu en grande partie partout dans le monde.
Il faut cependant s’attendre à ce qu’au décès l’exécution soit plus longue et plus coûteuse, puisque le texte devra passer entre les mains d’un traducteur, puis être validé par les autorités locales.
Plus lourd de conséquences : certaines clauses pourraient être invalides dans le pays où se trouvent vos biens. « En Europe, plusieurs États appliquent une réserve héréditaire, en vertu de laquelle les descendants ont droit à un pourcentage de l’héritage », souligne Julie Loranger. Ainsi, dans le cas où un parent léguerait une maison en France à un ami plutôt qu’à ses enfants, ceux-ci seraient en droit de se tourner vers les tribunaux français pour réclamer leur dû.

Mieux vaut donc, au moment de rédiger son testament, demander à son notaire québécois de consulter un juriste local. Ce dernier confirmera si le document québécois est valide et, si nécessaire, proposera des solutions. Les frais seront plus élevés, mais une telle démarche évitera bien des maux de tête aux héritiers.
Aux États-Unis, un mécanisme permet de faciliter l’héritage, tant pour les Américains que pour les citoyens étrangers : le life estate deed (transfert de droit conditionnel au décès). Au moment de la mort, « ce document transfère automatiquement le bien qui y est rattaché, telle une maison, à la ou les personnes de votre choix », explique Christine Marchand-Manze, notaire et agente de titres à Galaxy Title, une agence d’assurance titres établie en Floride.
Avec le transfert de droit, pas besoin de passer devant un juge ni de payer des frais d’avocat exorbitants. « La procédure dure quelques semaines et coûte moins de 1 000 dollars, indique la notaire. C’est vraiment la solution idéale pour Monsieur et Madame Tout-le-monde qui ont un condo en Floride et une situation familiale simple. » Bien sûr, il faut aussi avoir rédigé un testament pour léguer ses biens situés au Québec.
Dans une succession internationale, le choix du liquidateur importe également. Il faut s’assurer qu’il sera reconnu dans tous les pays où l’on possède des biens. En Floride, par exemple, seuls des résidants de l’État ou des personnes ayant un lien de sang avec le défunt sont autorisés à occuper ce rôle. Deux liquidateurs peuvent être nommés afin de contourner ce problème — un au Québec et un en Floride —, mais mieux vaut solliciter l’avis d’un notaire au moment de rédiger son testament.
Afin de faciliter le travail du liquidateur — et s’assurer qu’une résidence en Argentine n’est pas oubliée —, il faut dresser une liste de tous ses biens… et la tenir à jour. Surtout, pas de cachotteries ! Si vous possédez un compte bancaire en Thaïlande, dites-le. Et mentionnez combien d’argent s’y trouve ! Si le liquidateur doit prélever 15 000 $ à même la succession en frais juridiques et administratifs pour découvrir que le solde est de 4,97 $, vos héritiers seront déçus…
D’ailleurs, il peut être intéressant de rapatrier certains de ses biens au Canada avant son décès. Julie Loranger a déjà vu un liquidateur abandonner 8 000 euros dans une banque en Europe, car récupérer cette somme aurait coûté plus du double.
Une autre tâche qui incombe au liquidateur : payer les impôts. Une fois de plus, la situation varie énormément d’un pays à l’autre.
Les États-Unis appliquent des droits successoraux, qui sont en quelque sorte « un impôt sur la fortune », explique Jacinthe Marquis, spécialiste de la fiscalité américaine au cabinet comptable Richter. Au décès, le liquidateur calcule la valeur marchande de tous les biens, partout sur la planète. Si le total reste en deçà d’un montant précis, qui varie d’année en année, la succession n’a rien à payer. En 2016, cette somme est de 5,45 millions de dollars américains. « Au-dessus, vous pourriez avoir à payer de l’impôt, dépendamment de la situation », dit Jacinthe Marquis. Sachez qu’en plus du gouvernement fédéral certains États prélèvent aussi un droit successoral. Ce n’est toutefois pas le cas en Floride.
Que la succession ait ou non à payer des impôts à l’étranger, le fisc canadien, lui, réclamera son dû. Pour une résidence située hors du pays, les mêmes règles s’appliquent que si elle se trouvait au Canada : le gain en capital s’ajoute au calcul de l’impôt à payer.
Bref, mieux vaut s’entourer des bons professionnels pour éviter de laisser des problèmes derrière soi. « Parlez-en ouvertement avec votre famille », conseille la notaire Christine Marchand-Manze. Peut-être apprendrez-vous qu’un seul de vos trois enfants veut la maisonnette au Costa Rica. Plutôt que d’en faire des copropriétaires, léguez-la à la personne intéressée, et transmettez aux autres un héritage dans votre testament… québécois.
Un citoyen étranger qui vit au Québec (peu importe depuis combien de temps, et peu importe son statut) et rédige son testament peut demander à ce que sa succession soit régie en fonction de la loi de son pays natal. Même si c’est le droit musulman.
« S’il s’agissait d’un Irakien sunnite ou chiite, par exemple, sa conjointe aurait droit à bien peu, tandis que ses fils recevraient le double de ses filles », explique Jeffrey Talpis, professeur de droit et spécialiste des successions internationales à l’Université de Montréal. Aucun cas n’est survenu au Québec à ce jour, mais ce n’est qu’une question de temps, croit l’expert.
À l’inverse, la même personne qui essaierait de léguer un compte de banque en Irak à sa conjointe de fait québécoise « aurait probablement de la difficulté à faire exécuter son testament par les tribunaux irakiens ».