J’écris ces lignes en étant littéralement assis sur 1 500 dollars.
Cette somme, je l’ai trouvée sur un trottoir du centre-ville de Montréal, à côté d’une rangée de poubelles. D’autres passants avaient probablement remarqué cet argent aussi. Mais, comme son ancien propriétaire, ils n’y avaient vu aucune valeur.
Il faut dire que ma trouvaille était en mauvais état. Une fente béante la traversait, assez grande pour que ma main y passe aisément. Et un trésor fendu, c’est peu confortable. Croyez-moi, je l’ai essayé.
Mais au lieu de continuer mon chemin comme les personnes qui m’avaient précédé, j’ai sorti mon téléphone et googlé « comment réparer » 1 500 dollars. La réponse était simple comme tout. J’ai donc ramené le trésor chez moi pour le retaper et en profiter, au grand bonheur de mon postérieur.
Malgré le plaisir que j’en tire, je suis prêt à redonner ce trésor à son ancien propriétaire. Mais il doit d’abord lire ce qui suit.
Obsolescence programmée
Peu de sujets font autant rager que l’obsolescence programmée. Les objets durent moins longtemps qu’autrefois, paraît-il, ce qui nous force à les remplacer plus souvent.
S’il est vrai que certaines entreprises limitent parfois de manière éhontée la réparabilité et la durée de vie de leurs produits, les consommateurs méritent eux aussi une partie du blâme, moi le premier.
Combien de fois ai-je jeté un objet brisé en maudissant sa piètre fabrication sans même considérer l’éventualité de le réparer ? Depuis quelques années, cependant, pour des raisons écologiques et économiques, je remets en question mes réflexes de consommateur moderne. Avant de remplacer un objet, j’essaie de le réparer. Moi-même.
Cela a commencé avec mon iPhone défectueux en 2015. Une aventure, et c’est le bon mot, au cours de laquelle j’ai utilisé une perceuse et un grille-pain en guise d’outils. Vous vous en doutez, j’ai aggravé mon problème au lieu de le régler.
Malgré ce premier essai pénible, j’ai persévéré. Depuis, j’ai réparé une poussette qui ne roulait plus, un congélateur qui coulait, une lampe sur pied qui ne tenait plus debout, un ordinateur au disque dur défaillant et une laveuse qui laissait des dépôts brunâtres sur les vêtements.
Remplacer tous ces objets à neuf m’aurait coûté plus de 5 000 dollars. Faire affaire avec un réparateur, au-delà de 1 000 dollars. Les arranger moi-même a nécessité moins de 200 dollars de pièces, quelques heures de travail et, je dois l’admettre, plusieurs jurons.
L’outil de poche par excellence
N’allez surtout pas croire que je suis une personne manuelle. Je gagne ma vie en tapant sur un clavier. Mon beau-père, un mécanicien, a ri de moi la première fois qu’il m’a vu utiliser une clé à molette. Si je suis parvenu à réaliser toutes ces réparations, c’est essentiellement grâce à un outil extrêmement polyvalent que la plupart d’entre nous traînons dans notre poche : le Web.
Une foule de sites Internet sont consacrés à la réparation. Le plus connu est iFixit, qui fournit gratuitement — et en français ! — des guides ultradétaillés pour réparer téléphones, ordinateurs et gadgets en tout genre, en plus de vendre les pièces et outils nécessaires. Il y a Simply Parts, un fournisseur américain qui offre à peu près tous les morceaux que vous pouvez trouver dans vos électroménagers, du mélangeur à la sécheuse. Et les tutoriels de couture de Repair What You Wear permettent de prolonger la durée de vie des vêtements.
À ces sites spécialisés s’ajoute évidemment YouTube, où vous avez généralement le luxe de choisir entre les conseils de divers amateurs, semi-amateurs et professionnels pour effectuer une réparation. Il existe même des compilations de réparations, musique incluse !
Il y a aussi les différentes communautés sur Reddit, telles Fix It (pour réparer tout et n’importe quoi) et CarTalk (pour la voiture). Et, bien entendu, tous les forums obscurs qui surgissent en googlant « comment réparer X ? ». Une question plus précise, qui inclut le numéro du modèle de l’appareil à réparer et une description du problème, donnera généralement de meilleurs résultats.
Toutes ces ressources s’avèrent utiles non seulement pour s’attaquer à une réparation soi-même, mais aussi pour déterminer à quel moment il est préférable d’appeler un réparateur. Si un projet requiert trop d’étapes, trop d’outils que vous ne possédez pas ou trop de pièces délicates — trois critères qui s’appliquaient d’ailleurs à mon iPhone 4 —, mieux vaut contacter un pro.
Et alors, ces 1 500 dollars ?
Revenons à mes 1 500 dollars. Rendu là, je peux vous dire de quoi il s’agissait : une chaise de bureau ergonomique de la marque Herman Miller. Le modèle Aeron, pour être plus précis, dont la version de base se détaille 1 495 dollars, avant taxes.
Je ne suis pas surpris que les passants qui l’ont aperçue avant moi sur ce trottoir n’aient pas reconnu sa valeur. J’aurais probablement eu la même réaction, n’eût été le fait que je magasinais, au cours de la même période, une nouvelle chaise de bureau. Et la Aeron figure régulièrement dans les classements des meilleurs modèles ergonomiques.
Mais bien avant moi, bien avant tous les passants, une autre personne aurait dû reconnaître la valeur de ce siège sur roulettes : son ancien propriétaire. À moins que cette chaise n’ait été un cadeau, c’est lui qui a réglé la facture lors de l’achat !
Une simple déchirure l’a convaincu de jeter 1 500 dollars à la rue. En moins de 30 secondes, il aurait pourtant pu trouver un site où se procurer une pièce de rechange, un plus d’une vidéo expliquant comment l’installer.
Au total, j’ai payé 144 dollars et 16 cents pour obtenir la pièce, et il m’a fallu une trentaine de minutes pour effectuer la réparation. J’ai même eu le plaisir d’utiliser pour la première fois mon tournevis étoile à six branches, l’un des nombreux outils que mon beau-père m’a offerts à Noël il y a quelques années — probablement pour avoir la chance de rire à nouveau de moi.

En toute honnêteté, j’ai très envie de garder cette chaise, d’autant plus que j’en ai bien besoin. Mais je reste fidèle à ma promesse : si elle vous appartenait, je suis prêt à vous la redonner, à trois conditions.
Un : démontrez-moi d’abord que vous étiez bel et bien le propriétaire, en m’indiquant le moment et l’endroit précis où la chaise a été jetée ainsi qu’en me fournissant une preuve d’achat.
Deux : remboursez-moi les frais de réparation.
Trois : jurez de toujours vérifier à l’avenir s’il est possible de réparer un produit avant de le jeter.
Mise à jour : un an plus tard, j’ai trouvé deux chaises endommagées, mais réparables, exactement au même endroit. Il s’agit de la même marque que la dernière fois. Visiblement, la leçon n’a pas été apprise. Si ces chaises sont à vous, mon offre tient toujours.