La force du silence dans une négociation

Savoir garder le silence au bon moment peut vous donner du pouvoir dans une négociation. Voici comment vous y prendre, et ce que vous avez à gagner.

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Assoyez deux personnes à une table pour qu’elles négocient. Si le silence s’installe, il y a fort à parier que l’une des deux cherchera à le combler. C’est vrai lors d’un entretien d’embauche autant que lors de l’achat d’un meuble.

Apprendre à se taire peut être payant pourtant. J’ai pu l’expérimenter récemment, dans un magasin où je négociais le prix d’un sofa. Rester silencieuse quelques instants m’a fait économiser plus de 200 dollars. Je vous explique comment dans un instant. 

Ce n’est pas qu’une impression personnelle. Une étude sur le sujet confirme que c’est vraiment la chose à faire. Car une négociation qui comporte des moments de silence est plus fructueuse, et les deux parties en ressortent généralement plus satisfaites, révèle un article paru en 2022 dans Journal of Applied Psychology. Ces courtes pauses permettent de réfléchir, de regarder l’offre sous un autre angle et de contre-proposer quelque chose qui fera avancer la discussion. Ultimement, chacun y fait des gains plus intéressants, explique l’équipe de chercheurs américains, chinois et australien, dont le premier auteur est rattaché à l’école de management du Massachusetts Institute of Technology (MIT). 

Ces pauses n’ont pas besoin d’être bien longues. Retenir sa langue pendant trois ou quatre secondes produit déjà des effets positifs. Pour le démontrer, les chercheurs ont recruté près de 1 200 étudiants universitaires américains, qui ont été invités à simuler une entrevue d’embauche deux par deux, selon différentes instructions. Certains d’entre eux avaient reçu la consigne de respecter des moments de silence au cours de la discussion, sans que leur vis-à-vis soit au courant. Plusieurs éléments devaient être négociés, dont le taux horaire, la durée du contrat, un budget discrétionnaire, etc. 

Conclusion : les équipes où les discussions comptaient de fréquentes pauses de 3 à 17 secondes sont en général arrivées à des ententes plus satisfaisantes pour les deux parties, tant en matière de gains qu’au sujet du déroulement de la négociation. 

Cette étude vient confirmer et chiffrer ce que les négociateurs observent sur le terrain, commente Jean Poitras, professeur au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal. « Dans une négociation, il y a une étape qu’on appelle la création de valeur, au cours de laquelle on cherche des idées et on met différents éléments sur la table. Puis, il y a l’étape de la revendication, où on essaie de s’approprier la plus grosse part du gâteau », explique-t-il. 

Poitras enseigne à ses étudiants à observer des moments de silence lors d’une négociation. « Cela permet en quelque sorte de faire un reset dans le cerveau, et de se rendre compte qu’il pourrait être bénéfique de revenir à l’étape de la recherche de solutions avant de poursuivre la discussion », dit-il. C’est exactement la conclusion à laquelle les chercheurs arrivent eux aussi dans leur article publié dans Journal of Applied Psychology. « Les pauses silencieuses sont un outil simple pour aider les négociateurs à changer d’état d’esprit, à passer d’un mode plus combatif à un mode plus réfléchi et collaboratif, qui permet d’explorer des façons de faire grossir le gâteau avant de le partager », écrivent-ils.

Parler et écouter attentivement demandent beaucoup de ressources cognitives, surtout quand on discute de choses sérieuses. Les mini-pauses mentales permettent donc d’analyser adéquatement l’information qui vient d’être donnée, ajoutent-ils.

Le silence permet d’obtenir plus d’information

Demeurer coi permet souvent d’aller chercher des renseignements supplémentaires, comme j’ai pu le constater en achetant mon sofa. Le vendeur me propose d’ajouter, pour 259 dollars, une garantie prolongée contre les bris et les taches. La garantie prolongée ne m’intéresse pas trop, mais un plan antitache, avec deux ados qui ont beaucoup d’amis, ça peut être pratique. 

Devant mon air dubitatif, et avant même que je prononce un mot, le vendeur me dit alors que je peux choisir le plan de protection contre les taches seulement, à 169 dollars. Tiens donc ! J’épargne 90 dollars avec cette option.

Une situation semblable survient ensuite avec les frais de livraison. Ils sont de 60 dollars, comme me l’avait déjà indiqué un de ses collègues. Je réfléchis pendant un moment… J’en suis à me demander si j’ai un ami avec une fourgonnette quand le vendeur m’informe que ce service est gratuit si les livreurs laissent le sofa sur le trottoir devant ma porte, plutôt que dans mon salon. Ke-ching ! Je viens d’économiser 60 dollars de plus, donc 150 dollars en tout, en gardant le silence deux fois pendant moins de 15 secondes. 

Le silence comme arme 

Traditionnellement, le silence était plutôt utilisé comme une façon de mettre de la pression sur l’autre pendant une négociation. Si notre homologue fait une offre et que l’on garde le silence, il y a de fortes chances qu’il se sente déstabilisé et que son réflexe soit de faire une meilleure offre, explique le professeur Jean Poitras. « Le silence crée un malaise et amène l’autre à dévoiler ou à concéder davantage », dit-il.

J’ai ainsi pu épargner encore plus sur mon sofa… En inspectant le meuble de démonstration en magasin, déjà en réduction, j’ai vu que la fermeture éclair d’un des coussins était défectueuse et j’ai pensé que je ne perdais rien à le souligner. « Qu’est-ce qu’on peut faire pour ça ? » ai-je demandé au vendeur avec un sourire candide, sans rien ajouter. Intérieurement, je me suis dit que ma couturière pourrait sûrement la changer pour 25 dollars ou moins. 

Quatre secondes plus tard, j’avais ma réponse. « Je vous baisse le prix de 100 dollars », a dit le vendeur. Ke-ching !  

S’entraîner à se taire

Pour la consultante Lucie Turcotte, présidente du cabinet-conseil Lavigne, à Laval, qui offre des formations sur les techniques de négociation et le leadership, le silence est un outil à maîtriser, même si c’est un peu contre nature au début. « Quand on pose une question et que l’autre n’y répond pas immédiatement, on a tendance à y répondre soi-même ou à poser une autre question. Mais si on avait laissé passer trois, quatre ou cinq secondes, l’autre aurait complété sa réflexion. On a peut-être perdu des informations intéressantes », souligne la consultante, coautrice du livre 95 tactiques de négociation (Béliveau éditeur, 2018).

Bien souvent, on répond aussi rapidement aux questions qui nous sont posées, pour montrer que l’on est confiant et que l’on connaît la réponse, alors que prendre son temps pourrait être salutaire parfois. « C’est une bonne chose d’expliquer que l’on va réfléchir un instant afin de trouver la meilleure entente. Cela désamorce l’idée que l’on n’est pas bien préparé », précise Kevin Hill, professeur à HEC Montréal.

En Amérique du Nord, la plupart des gens sont mal à l’aise avec le silence, et pas seulement en affaires, observe Kevin Hill. « Dans d’autres cultures, au Japon notamment, c’est normal d’avoir de longues pauses lors de discussions, surtout vers la conclusion d’un accord. Cela signale à l’autre partie qu’il n’y a pas d’autres informations à ajouter. Et que l’on se donne un moment de réflexion avant la prise de décision. » 

On gagnerait à faire la même chose en Occident. J’en ai maintenant la preuve.

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