La retraite à 40 ans, ça vous dit ?

Épargner la majeure partie de ses revenus pour prendre sa retraite le plus rapidement possible : c’est la stratégie des frugalistes, qui poussent à l’extrême le concept de simplicité volontaire. 

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Avec le confinement total au printemps et le reconfinement partiel depuis septembre, bien des Québécois se sont placés en « simplicité involontaire », redécouvrant les vertus du « fait soi-même » et de l’« épargne extrême ». Pas pour rien que, dans les premiers mois de 2020, une vidéo du chef Ricardo Larrivée sur la confection de pain maison a été partagée 1,3 million de fois. « On n’avait jamais vu des chiffres comme ça avant ! » dit Maude Bourcier-Bouchard, directrice du contenu et de la création chez Ricardo Media. En avril, la recette en ligne du pain blanc de Ricardo avait été consultée 30 fois plus souvent qu’à la même date en 2019 !Advertisement

Certains poussent le concept de simplicité volontaire un cran (ou deux ou trois) plus loin : les frugalistes. Et ils n’ont pas attendu la pandémie pour s’y mettre. 

« Il y a un monde de différence entre les mesures d’urgence qui nous obligent à économiser dans l’immédiat et les habitudes d’économie à long terme », affirme Jean-Sébastien Pilotte, 42 ans, chef spirituel du frugalisme au Québec, dont le blogue Jeune retraité est fréquenté par 10 000 personnes par mois. Avec sa conjointe, Van-Anh Hoang, Jean-Sébastien Pilotte a pris sa retraite à 39 ans grâce à un style de vie entièrement organisé autour de l’épargne, qu’il décrit dans son bouquin La retraite à 40 ans : Comment déjouer le système pour atteindre la liberté financière (Les Éditions de l’Homme). 

La simplicité volontaire (du titre du livre du Montréalais Serge Mongeau publié en 1985) propose un programme de renoncement aux tentations de la société de consommation. Les adeptes de la décroissance, eux, visent à travailler et consommer moins, réduire la taille de l’économie, produire moins de GES et sauver la planète. Alors que le frugalisme prône l’épargne extrême avec un discours antisystème appuyé.

Le système économique capitaliste, soutiennent les frugalistes, encourage la surconsommation : les gouvernements en profitent parce qu’elle sert la croissance économique ; les entreprises privées, parce qu’elle leur permet de faire des affaires d’or ; et les institutions financières, parce qu’elle favorise une maximisation de leurs profits aux dépens des consommateurs. Les frugalistes, eux, veulent sortir de cette spirale. « Moi, je déjoue le système en sous-consommant, en gardant mes revenus pour moi, en épargnant intensivement, explique Jean-Sébastien Pilotte. Je place tout en Bourse pour bâtir un capital, un “fonds de liberté”. Quand on atteint l’indépendance financière, on peut choisir de faire ce qu’on aime dans la vie. C’est ça, déjouer le système », dit-il.

Pilotte, qui a fait carrière en marketing, gagnait 55 000 dollars par an ; sa conjointe, qui était pharmacienne à temps partiel, préfère ne pas préciser son revenu. Ils ont maintenu un mode de vie hyper-frugal pendant une douzaine d’années avant d’arrêter de travailler, en 2017. C’est ce qui leur a permis d’amasser un capital — le couple refuse de dévoiler le montant de son « fonds de liberté » — dont le rendement annuel suffit à payer ce dont ils estiment avoir besoin (à deux) pour vivre. « Sur la base d’un rendement moyen de 4 %, ça procure les 30 000 dollars par année nécessaires pour couvrir nos vrais besoins », dit Jean-Sébastien Pilotte, qui profite de son temps libre pour jouer au soccer, faire des randonnées, aider bénévolement de jeunes entrepreneurs et s’occuper d’une belle-sœur autiste.

On peut estimer que le capital du couple atteint au moins 750 000 dollars : c’est ce qu’il faut pour générer un revenu de 30 000 dollars par an (plus ou moins libre d’impôt) sans travailler, selon la règle des 4 % de rendement qu’applique Jean-Sébastien Pilotte. « Un couple qui voudrait des placements plus prudents produisant 3 % de revenus, ça veut dire 990 000 dollars », précise-t-il.

C’est sa conjointe, Van-Anh Hoang, élevée dans la tradition vietnamienne, où l’on épargne 26 % de son revenu, qui a été sa première inspiration. « Au lieu de magasiner, de jouer au golf et de manger au restaurant, dit-elle, on répare, on randonne et on pique-nique. On fait presque toute notre cuisine nous-mêmes, à partir d’ingrédients de base. On prépare même notre propre lait de soya », souligne-t-elle. Dernièrement, le couple a réparé son robot culinaire. « On l’a tout démonté. Ça nous a coûté 12 dollars, alors qu’un nouveau modèle en aurait valu 400 ! » 

Un frugaliste, par définition, fait tout lui-même, contrairement à bien des gens qui confient la gestion de leurs affaires à un consultant — un planificateur financier, un comptable, un agent immobilier —, explique Jean-Sébastien Pilotte. Ce diplômé du MBA de HEC Montréal a choisi la Bourse comme véhicule pour produire le rendement sur ses placements. « Pour certains, c’est l’immobilier, mais je n’y connais rien. La Bourse fonctionne mieux pour moi. »

Assurer le suivi, documenter ses dépenses… Le frugaliste doit devenir le « PDG de sa vie ». « L’entreprise dans laquelle on devrait mettre toute notre énergie, c’est notre vie ! La santé est autant financière que physique. C’est la base de tout », selon Jean-Sébastien Pilotte.

Vivre avec un revenu familial de 30 000 dollars par an, même sans enfants, ça ne se fait pas dans l’opulence. « C’est le but que l’on se fixe qui nourrit la motivation de s’attaquer aux dépenses inutiles. L’objectif n’est pas d’éliminer ce qui nous apporte du bonheur, mais de couper le superflu : ce qui n’apporte rien de plus dans la vie », explique-t-il.

Le but du couple Pilotte-Hoang, c’était la retraite à 40 ans. Pour d’autres, c’est démarrer une entreprise, pour d’autres encore, travailler moins. 

« Si tu enlèves toutes les bébelles inutiles, il en faut finalement assez peu pour vivre », soutient Steve Bouchard, 30 ans, qui s’est fixé le même objectif de prendre sa retraite avant 40 ans. 

« La pandémie a simplement accentué notre frugalisme », ajoute ce chauffeur de camion minier en Abitibi, dont la conjointe occupe le même type d’emploi. Disposant d’un salaire annuel combiné de 200 000 dollars, ils parviennent à mettre dans leur bas de laine les trois quarts de leur revenu net. Et lorsqu’ils ont vu les marchés boursiers baisser énormément au début de la pandémie, ils en ont profité pour « mettre un peu de vent dans [leurs] voiles » : ils ont vendu leur maison de 350 000 dollars à Palmarolle, à 50 km au nord de Rouyn-Noranda, pour en racheter une plus modeste à Villebois, 40 km plus au nord. Et hop ! 255 000 dollars de plus dans le bas de laine !

Sans avoir une vie monacale, les deux mènent une existence rangée : ils ne se déplacent pas en voitures de l’année — une Toyota Corolla 2005 et une Kia Rio 2011 —, vont rarement au restaurant et surveillent les prix. « On ne se prive de rien, mais quand on voit un paquet de quatre chandails pour 20 dollars au Costco, on est preneurs ! » dit Steve Bouchard.

Pour résister aux tentations, Jean-Sébastien Pilotte suggère de cultiver notre indépendance d’esprit, de façon à pouvoir ignorer ce que les gens pensent de nous, et de faire fi des critiques. « Par exemple, mes parents m’ont toujours dit qu’il fallait acheter une maison, parce que louer un logement, c’était jeter son argent par les fenêtres. » Or, ce n’est pas tout le temps le cas. L’Autorité des marchés financiers propose ainsi un outil en ligne pour déterminer quel choix convient le mieux à chacun, selon le contexte. « Il faut savoir vivre pour soi-même et pas en fonction du regard des autres, même des proches, poursuit Jean-Sébastien Pilotte. Ça ne vient pas du jour au lendemain. Mais une fois qu’on acquiert cette indépendance de vue, le reste devient assez mécanique. »

À ceux qui désirent emprunter la voie du frugalisme, il offre quelques conseils, outre celui de se libérer de l’idée très judéo-chrétienne que l’argent, c’est mal. « Il faut comprendre la valeur de l’argent dans le temps. »

Même les habitudes de consommation à première vue insignifiantes ont d’énormes effets à long terme. « Le café et le beigne qu’on achète chaque matin, le resto quotidien à 10 ou 15 dollars, ça représente des milliers de dollars par an si on économise cet argent. Et si on place cette économie, ça en fait encore plus avec les années. »

C’est le principe de l’intérêt composé appliqué à une vie entière, en quelque sorte. « Ce sont les choix qu’on fait tôt dans la vie qui ont le plus d’incidence », dit Jean-Sébastien Pilotte. Par exemple, les 30 000 dollars que consacre un jeune diplômé à l’achat d’une voiture neuve « généreraient peut-être 500 000 dollars s’il les investissait pendant 30 ans. Mais il choisit d’hypothéquer sa santé financière, sa liberté à long terme. Le café qu’on achète tous les jours représente 15 000 dollars sur 10 ans. C’est le concept le plus important à comprendre : le gain qu’entraîne la renonciation ».

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