Après s’être attaqué à la consommation dans son best-seller En as-tu vraiment besoin ?, puis à l’indépendance financière dans Liberté 45, Pierre-Yves McSween prend une nouvelle cible : le couple.
Pour La facture amoureuse (Guy Saint-Jean Éditeur, 2022), le comptable tout sauf brun s’est adjoint son ami de longue date Paul-Antoine Jetté — un autre comptable ! — afin d’exposer les factures émotionnelles et financières qui s’accumulent, souvent à notre insu, lorsqu’on décide de former un couple.
Compte conjoint, infidélité financière, mariage, séparation, satisfaction financière : le duo aborde sans filtre tous les aspects de la vie à deux, dans l’espoir de faire comprendre aux Québécois les conséquences financières, fiscales et légales de leurs choix amoureux. Ensuite, libre à chacun de suivre son cœur comme bon lui semble ; l’important est de le faire « en toute connaissance de cause », plaident les auteurs.
L’actualité s’est entretenu avec les deux comptables afin de savoir pourquoi parler d’argent en couple « est une véritable preuve d’amour ».
L’actualité : Qu’est-ce qui donne le goût à deux comptables dans la quarantaine d’écrire un livre sur le couple et l’argent ? Êtes-vous aussi des experts en amour ?
Pierre-Yves McSween : Ce livre ne donne pas de recette. Ce serait prétentieux de dire aux gens comment vivre leur vie amoureuse. Mais il y a des principes fondamentaux qui concernent tous les couples, et c’est de ça qu’on parle. Voici les règles légales, fiscales, économiques et financières qui s’appliquent à la vie en couple. Maintenant que vous avez les bases, faites vos choix en toute connaissance de cause.
Paul-Antoine Jetté : Prends la mort. Si ce n’est pas géré comme il faut pendant le vivant, les conséquences peuvent être désastreuses. Ta descendance va se ramasser à payer des frais qui auraient pu être évités. Tu appauvris ceux que tu aimes !
P.-Y.M. : Voici un exemple simple : des conjoints de fait avec deux enfants mineurs — un cas classique au Québec. Le gars tombe du toit en le déneigeant ; il meurt. Il n’avait pas de testament parce qu’il avait 38 ans et que la mort, ça lui semblait bien loin. Dans une situation semblable, les enfants deviennent copropriétaires de la maison avec la mère. La personne qui gère l’actif des mineurs d’ici leurs 18 ans va lui dire : soit tu vends la maison et tu me donnes l’argent qui revient aux enfants, soit tu rachètes la part des enfants à la valeur du marché. La mère est légalement forcée de s’appauvrir, tout ça parce que son chum n’a pas fait de testament.
Un des conseils du livre qui fait beaucoup réagir est de vérifier les antécédents financiers — dossier de crédit, bilan bancaire, avis de cotisation à l’impôt — de son amoureux ou de son amoureuse lorsqu’une relation devient sérieuse. Vous avez fait ça ?
P.-Y.M. : Notre exemple ne veut rien dire, parce que ça dépend où tu es rendu dans la vie. Quand tu rencontres une personne à 20 ans, que vous commencez dans la vie et que vous n’avez rien, pas besoin. Mais quand tu as 60 ans et que tu te mets en couple avec une personne de 50 ans, vous avez 30 ans de passé financier derrière vous. Vous n’avez pas d’autre choix que de vérifier ! Tu me demandes si on l’a déjà fait… Indubitablement, Paul-Antoine et moi, on a des preuves que la santé financière de nos relations personnelles est correcte ; on est comptables ! Est-ce que j’ai déjà vu les actifs et les passifs de ma blonde ? Ben oui ! Est-ce que j’ai déjà vu la déclaration de revenus de ma blonde ? Ben oui !
P.-A.J. : C’est sûr que je la vois, c’est moi qui la fais !
Vous auriez pu conseiller plutôt aux gens de faire preuve de transparence et de dévoiler leur passé financier à leur nouvelle conjointe ou leur nouveau conjoint. Ça aurait peut-être moins fait réagir que de proposer de faire un genre d’enquête de crédit…
P.-Y.M. : Ce qui est un comportement mature, c’est de se dire : « On a 45-50 ans tous les deux, on s’en va vers la retraite, j’ai le droit de savoir s’il va falloir que je te subventionne. » Peut-être que tu vas être d’accord avec l’idée de subventionner l’autre, mais il faut que tu le saches.
P.-A.J. : Je suis de ceux qui veulent s’engager en toute connaissance de cause, mais je veux également que l’autre s’engage en toute connaissance de cause. Ouvrir ses livres, même s’il y a des petites taches, c’est une vraie preuve d’amour. Je te fais assez confiance pour te les montrer, et si tu me prends, ça vient avec.
P.-Y.M. : Pas rien que ça ! Tu veux qu’on ait une vie commune, tu veux qu’on se bâtisse un mode de vie ensemble. Il faut que je sache ce que tu es capable de payer, quels sont tes actifs, quels sont tes passifs. Je connais des gens qui sont arrivés chez le banquier pour avoir un prêt et qui ont appris que le score de crédit du conjoint était ordinaire. Si tu es le moindrement à ton affaire, tu le sais que ton dossier n’est pas reluisant. Les finances, si tu n’en parles pas, ça prend du temps avant que ce soit apparent ; il y a plein de mécanismes de contournement. Mais quand tu caches ça à ta blonde ou à ton chum, qu’est-ce que tu penses qui va arriver quand l’autre va découvrir ça ? C’est un turn-off !
Certains vous reprochent justement le fait que parler d’argent en couple, ça n’a rien de très excitant…
P.-Y.M. : Moi j’ai envie de leur demander : comment vous vous en sortez ? Si vous n’en parlez pas et ne réglez pas les questions d’argent, est-ce que ça veut dire que vous êtes prêts à assumer la facture fiscale, financière et légale que vous allez finir par recevoir dans la face ?
Pourquoi avoir ressenti le besoin d’avoir un coauteur pour ce livre, Pierre-Yves ?
P.-Y.M. : C’est un sujet tellement complexe, sur lequel on a tous nos biais personnels. C’est pour ça qu’il fallait être deux. Je ne pouvais pas faire ça tout seul. Sinon, ça aurait été la vision biaisée de Pierre-Yves McSween des finances de couple. Tandis que là, c’est une vision biaisée de Pierre-Yves McSween et de Paul-Antoine Jetté, donc amortie de chaque bord pour arriver à un idéal commun. Paul-Antoine était réviseur pour mes deux premiers livres. Là, je lui ai dit : ça te tente-tu de prendre le risque avec moi ? En plus, c’est avantageux pour lui d’être coauteur plutôt que d’être payé comme réviseur, parce qu’il va avoir droit à la déduction pour droits d’auteur.
Même s’il y a deux auteurs, ça reste le même ton, le même personnage McSween que dans les deux livres précédents.
P.-A.J. : Quand tu lis ça, c’est comme si McSween te parlait. On te tutoie, toute la patente. On utilise des mots un peu durs, un peu cyniques, pas pour te choquer, mais pour te brasser un peu, te faire réagir. Si on avait fait un livre drabe avec nos exemples plates l’un en dessous de l’autre, ça aurait été un ouvrage de fiscalité. Aussi bien lire la loi sur l’impôt. McSween, avec sa sauce un peu…
P.-Y.M. : … désinvolte, baveuse…
P.-A.J. : … exact, c’est un personnage qui est utile sur le plan pédagogique.
Le livre se termine avec une copie d’une lettre envoyée par Pierre-Yves McSween à son député fédéral Alexandre Boulerice, dans laquelle il critique une incohérence fiscale au fédéral qui désavantage les payeurs de pension alimentaire. Avez-vous eu une réponse ?
P.-Y.M. : Jamais. Ben, j’ai reçu le message politique automatique : « Nous avons bien reçu votre courriel, veuillez noter que les cas urgents sont traités en priorité et blablabla. » Je ne veux pas prendre en grippe Alexandre Boulerice. Nos deux paliers de gouvernement font la sourde oreille au fait qu’il y a plein de mécanismes fiscaux et légaux qui ne collent pas et qui sont biaisés lorsqu’il est question de couple. Moi, je trouve ça bizarre qu’un gars séparé avec des enfants qui gagne 50 000 dollars par année et qui paie une pension alimentaire ne puisse pas demander le crédit pour personne à charge au fédéral, alors qu’un gars séparé avec des enfants qui gagne 100 000 dollars mais qui ne paie pas de pension, lui, peut demander ce crédit. Ça ne va pas avec la progressivité de l’impôt.
P.-A.J. : Ce crédit-là, ce n’est pas un gros montant à la fin. Quelques centaines de dollars par année.
P.-Y.M. : Mais je les veux, moi !
P.-A.J. : L’affaire, c’est que quelques centaines de dollars, pour une famille recomposée, ça peut faire une grosse différence.
P.-Y.M. : Et ça, c’est un exemple abécédaire, parmi plusieurs autres incohérences, pour dire aux politiciens : « Vous êtes dans le champ, faites de quoi ! »