L’arbre aux dollars

Posséder sa forêt, c’est un peu comme investir dans un REER. Mais c’est pas mal plus de travail !

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Photo : Martin Laprise
Photo : Martin Laprise

Bien que les chiffres mentionnés dans cet article n’aient pas été mis à jour depuis sa publication, les conseils demeurent valides.

L’argent ne pousse pas dans les arbres, croyez-vous ? Pas si certain. Pour nombre de propriétaires de terrains boisés privés, la forêt constitue un placement sûr : la croissance des revenus est directement proportionnelle à celle des arbres.

Ils sont 130 000 au Québec à posséder leur parcelle de forêt. Environ 40 000 d’entre eux récoltent le bois et le vendent, certains de façon régulière, d’autres pas. Si, pour la vaste majorité, la sylviculture demeure un loisir, pour d’autres, la vente d’arbres représente une importante part de leurs revenus.

C’est le cas pour Yvon Desrosiers, 56 ans. Ce passionné de la forêt a acheté son premier terrain boisé il y a plus de 30 ans. » Je travaille mes forêts comme on cultive un jardin, dit-il. Mais il faut que cela rapporte. » Aujourd’hui propriétaire de 545 hectares en Estrie, il tire environ 50 % de ses revenus de ses arbres, dont il prend le plus grand soin. Alléchant ?

Yvon Desrosiers doit régulièrement faire l’inventaire de chaque hectare. Il doit nettoyer, aérer, récolter. Il doit aménager des chemins d’accès, s’occuper du drainage, gérer la rotation des coupes. Il doit négocier avec les acheteurs, embaucher du personnel. Bref, c’est du boulot.

En partant du principe que plus l’arbre est gros, plus il a de la valeur, on comprend que cette activité exige une patience à toute épreuve. » Il ne faut pas penser à un rendement de l’investissement avant au moins 25 ans « , prévient l’ingénieur forestier Sylvain Rajotte, directeur général d’Aménagement forestier et agricole des Sommets, en Estrie. » Mais les revenus provenant de la vente des récoltes pourront servir à payer le fonds de terre [le sol sur lequel poussent les arbres], dont la valeur croît deux fois plus rapidement que celle de la forêt. «

Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune donne aussi un coup de pouce aux petits producteurs privés, grâce au Programme d’intensification de la sylviculture, lancé il y a quatre ans. Ce programme consiste, entre autres, en un crédit pouvant équivaloir à 85 % des taxes municipales et scolaires payées sur le fonds de terre.

Pour être considérée comme propriétaire d’un terrain boisé au Québec, une personne doit posséder au moins quatre hectares de forêt, soit l’équivalent d’environ quatre terrains de football. Mais pour vivre de la vente des arbres, il faut posséder au moins 400 hectares. Coût d’achat ces années-ci : environ un million de dollars ! » Une forêt privée, cela se bâtit avec les années, comme une ferme laitière « , estime Sylvain Rajotte.

Et encore. Yvon Desrosiers ne considère pas que ses 545 hectares suffisent à lui assurer un gagne-pain décent. Les bonnes années, il peut vendre pour 90 000 dollars de bois. Une fois soustraits les frais d’exploitation et de mise en marché, il reste autour de 30 000 dollars. Moins les paiements hypothécaires ainsi que les taxes municipales et scolaires. Il ne reste donc pas grand-chose. » Il faut une âme de missionnaire « , dit Yvon Desrosiers.

Le reste de ses revenus proviennent des immeubles d’appartements qu’il possède en Estrie. Selon lui, le seul véritable moyen de vivre des fruits de la forêt est de la recevoir en héritage. » De cette façon, on n’aura à payer que pour l’entretien « , dit-il.

Sylvain Robert, de Saint-Alexis-des-Monts, en Mauricie, a hérité des 40 hectares de forêt de son père, il y a quelques années. Et c’est sa passion pour le bois qui le pousse à y consacrer entre 12 et 15 heures chaque semaine. Car les revenus qu’il tire de la vente de ses arbres n’ont rien d’alléchant : environ 4 000 dollars par année. » Je fais ça pour m’amuser « , dit ce grand mince aux cheveux noirs.

Heureusement, car cette année, les revenus seront encore moins élevés. C’est un désastre, estime ce bûcheron de 50 ans. » Je ne suis pas capable de vendre mon bois « , dit-il en regardant une pile de billots qui n’ont pas trouvé preneur.

La récession, la force du dollar et la chute de la demande de papier journal font mal aux petits producteurs privés. La demande de bois devrait diminuer de moitié en 2009 par rapport à la moyenne des dernières années, passant de huit millions de mètres cubes à moins de trois millions de mètres cubes. » Les propriétaires de forêt privée vivent actuellement des moments difficiles « , dit Sylvain Rajotte. Mais c’est temporaire. » La foresterie est une industrie cyclique, et nous sommes dans un creux. «

Aux États-Unis, ils sont plus de neuf millions à en vivre. Là-bas, c’est une affaire de gros sous. Selon Harry Haney, professeur de gestion forestière à la Virginia Polytechnic Institute and State University, aujourd’hui à la retraite, investir dans l’achat d’une forêt est un placement sûr. » La valeur de l’investissement peut augmenter de 8 % chaque année, souligne-t-il. Les placements qui offrent des rendements aussi élevés ne sont pas monnaie courante. «

La situation du Québec ne peut se comparer à celle des États-Unis. » On trouve, surtout dans les États du Sud, des forêts privées plus vastes, où poussent des arbres qui valent beaucoup plus cher, des feuillus de grande qualité, comme le chêne, le caryer et le noyer « , explique l’économiste forestier Luc Bouthillier, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt, de l’Université Laval. » Et beaucoup de ces forêts ont été semées [lire : créées de toutes pièces] et sont cultivées. Le climat y est plus favorable, les arbres croissent plus vite, donc les forestiers récoltent plus souvent. «

D’autre part, dans le sud des États-Unis, 75 % du territoire forestier appartient au secteur privé. Le Québec ne compte que 11 % de forêts privées (et une sur dix appartient à l’industrie forestière). » Pour pouvoir vivre de la foresterie au Québec, une personne devrait être propriétaire d’une superficie énorme. Ce qui est quasi impossible, dit Luc Bouthillier. Difficile donc de s’y bâtir un capital suffisant pour en faire son principal gagne-pain. «

Voilà peut-être ce qui explique qu’au Québec aucun » gentleman-forestier » n’a la prétention de tirer la totalité de ses revenus de la forêt. C’est du moins ce qui ressort d’une étude sur le profil des propriétaires de terrains boisés menée par le Service canadien des forêts et la Fédération des producteurs de bois du Québec. Seulement un peu plus de 30 % des propriétaires souhaitent en tirer un revenu d’appoint. Les autres n’y voient qu’un loisir.

Un loisir qui n’est pas sans risques. Invasion d’insectes et feux de forêt peuvent tout ravager d’un seul coup, anéantissant le travail d’une vie. Sans compter que depuis 10 ans, un nouvel ennemi menace : le verglas. » La dernière fois, j’ai été épargné, dit Yvon Desrosiers, mais je connais des propriétaires de terrains boisés qui ont tout perdu. Nous en sommes restés marqués. «

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