Le drôle d’effet des assurances sur le cerveau humain

Vous avez peur qu’un malheur ne vous frappe ? Des chercheurs ont constaté que le simple fait de vous assurer pourrait faire diminuer votre anxiété… et vous faire croire que le malheur n’arrivera pas. Voici pourquoi.

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Une police d’assurance revêt pour certaines personnes un pouvoir aussi puissant que celui d’une amulette. À tel point qu’elles croient qu’une catastrophe risque moins de s’abattre sur elles une fois qu’elles ont signé le contrat. Ce phénomène est différent de la simple superstition, soutiennent des chercheurs américains, qui proposent de le nommer « effet talisman » des assurances. 

Pour prouver son existence, ils ont mené différentes expériences en ligne auprès de 2 000 sujets et en ont présenté les résultats dans un article paru en 2022 dans Personality and Social Psychology Bulletin. Les signataires, dont l’auteur principal Robert M. Schindler, professeur à l’École de commerce de l’Université Rutgers, au New Jersey, y avancent une hypothèse sur l’origine du phénomène. « L’assurance réduit l’anxiété, ainsi que les pensées répétitives au sujet d’un possible incident, expliquent-ils. Comme on l’a moins en tête, l’incident finit par sembler moins susceptible de se produire. »

Cet effet n’est pas si étonnant quand on sait comment fonctionne le cerveau humain, commente Janie Brisson, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM et spécialiste des processus cognitifs. « L’effet talisman semble venir de nos manières rapides et intuitives d’évaluer les probabilités », dit-elle. Quand nous faisons face à une question complexe, comme estimer la probabilité qu’un accident survienne, le cerveau n’arrive pas à en faire une évaluation complète et objective. Il a alors tendance à prendre des raccourcis. 

L’un de ces raccourcis intellectuels s’appelle le biais de disponibilité. Plus un tel événement est facilement disponible dans notre mémoire, plus il nous semble probable qu’il survienne à nouveau. Au moment de décider si on devrait assurer ses biens contre le feu, si on a frais à l’esprit des incendies rapportés dans les journaux, on se dira sans doute que ce risque est bien réel et que cela vaut la peine de s’assurer. « Et ça fonctionne la plupart du temps, parce que les événements probables sont saillants à l’esprit. Beaucoup d’exemples nous viennent alors en tête », dit Janie Brisson. 

Sauf que, comme tous les raccourcis, celui-ci comporte des pièges. Un événement récent, spectaculaire ou émotionnellement significatif marque l’esprit, même s’il risque peu de se reproduire. Ainsi, si un de nos proches a été victime d’un cambriolage, on croira peut-être qu’on pourrait en subir un aussi.

Ce biais cognitif de disponibilité (aussi appelé « heuristique de disponibilité » en psychologie), solidement démontré dans la littérature scientifique depuis des décennies dans toutes sortes de situations, n’avait pas encore été beaucoup étudié dans le domaine des assurances. Robert M. Schindler et ses collègues ont donc tenté d’en mesurer l’importance, et surtout de distinguer son rôle de celui d’autres raccourcis intellectuels qui pourraient être à l’œuvre, comme le fait d’être superstitieux. 

Ils ont donc soumis des questionnaires en ligne à des volontaires. Ils leur ont d’abord demandé de penser à un bien d’une centaine de dollars auquel ils tiennent — par exemple un bijou ou un équipement sportif — puis d’imaginer que cet objet devait être confié à une compagnie de transport pour un déménagement. La moitié des volontaires se sont fait dire qu’ils bénéficiaient d’une couverture d’assurance complète contre la perte ou les dommages. L’autre moitié n’a eu aucune information à ce sujet. Puis les chercheurs leur ont demandé d’évaluer le risque couru par leur précieuse possession. Résultat : les participants qui avaient pensé au scénario « avec assurance » ont estimé que ce risque était plus faible, en comparaison avec les autres. 

Les chercheurs ont également demandé aux gens d’évaluer leur niveau d’anxiété par rapport aux scénarios présentés. Ils ont ainsi pu démontrer que l’effet talisman survient parce que l’assurance réduit le niveau d’anxiété. « Les pensées répétitives au sujet d’un possible incident diminuent alors elles aussi », expliquent-ils. Le biais de disponibilité fait que la probabilité qu’un événement fâcheux se produise paraît plus faible, tout simplement parce que cette possibilité est moins présente à l’esprit.

Tout cela semble bien plausible aux yeux du professeur Marcelo Vinhal Nepomuceno, chercheur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la prise de décision du consommateur. « Quand on souscrit une assurance, c’est bel et bien pour ne plus avoir à s’inquiéter, souligne-t-il. Et l’assurance offre vraiment une protection financière après un accident ! L’erreur de logique, c’est que le fait de détenir une police n’a pas d’incidence sur la probabilité que l’accident arrive. »

Martin Boyer, également professeur à HEC, expert en assurances et en comportement du consommateur face à l’incertitude, trouve la démonstration des chercheurs américains intéressante. « Mais pour démontrer cet effet hors de tout doute, il faudrait maintenant faire venir des volontaires en laboratoire, et cerner leur profil psychologique avant de les soumettre à l’expérience. Car il est fort probable que d’autres éléments entrent en ligne de compte, comme le niveau d’anxiété des individus et leur tolérance au risque », souligne-t-il. L’effet talisman se manifesterait-il surtout chez les personnes anxieuses, qui ont moins peur d’une catastrophe potentielle une fois dûment assurées ? Les paris sont ouverts. 

Comme les chercheurs le notent eux-mêmes, dans la réalité, plusieurs facteurs s’entremêlent et influencent les gens lorsqu’ils décident de s’assurer. Chose certaine, non seulement l’assurance a un effet calmant sur certaines personnes, mais elle offre une protection nettement meilleure… qu’une patte de lapin.

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