
Mise à jour : le programme Réno-Maître, qui est mentionné dans cet article, s’appelle désormais « Certifié APCHQ ».
On peut dire que j’ai toujours eu la rénovation heureuse. En 20 ans, j’ai survécu à une demi-douzaine de chantiers. Les deux plus gros : la transformation d’un duplex en maison individuelle et l’ajout d’une annexe. J’ai aussi réalisé des travaux plus « petits » : aménagement du sous-sol, réfection du toit, transformation complète du logement de la locataire, alouette ! Et au théâtre des rénovations, j’ai tenu tous les rôles : entrepreneur général, surveillant de chantier, plâtrier, électricien, plombier, charpentier, ferblantier, manœuvre, comptable et infirmier. J’ai organisé des équipes, et je me suis fait « organiser ».
Remarquez que je ne parle pas de rénovation joyeuse. Chaque « réno » est unique par son ampleur et sa nature, mais toutes viennent avec des imprévus, de la saleté, des contraintes budgétaires, des choix douloureux à faire… et toutes constituent une grande épreuve dans la vie d’un couple ! Je dis rénovation heureuse parce que j’ai toujours su éviter le malheur suprême : le chantier-qui-ne-finit-jamais ! Un de mes amis a passé 10 ans dans des travaux qui devaient à l’origine durer trois mois.
Au Québec, où l’âge moyen des maisons est d’environ 45 ans, bien peu de propriétaires échappent à la corvée des rénovations. Ceci explique cela : sur les 17 000 entreprises inscrites à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), à peine 2 000 font exclusivement de la construction neuve. Les 15 000 autres travaillent surtout dans la rénovation. Et sur les 26 milliards de dollars que représente le secteur de l’habitation au Québec, 16 milliards viennent de la rénovation et des réparations.

Les spécialistes consultés pour ce reportage s’entendent sur les trois règles de base du rénovateur averti : 1) planifier ; 2) embaucher les bonnes personnes ; 3) contrôler.
Toute rénovation heureuse suppose une bonne planification. En rénovations, les « on verra » précèdent toujours les « j’aurais donc dû ». Et les « tant qu’à faire » font rapidement éclater les prévisions budgétaires. Mieux vaut donc prévoir un poste pour les « extras ».
Pour planifier mes deux principaux chantiers, j’ai embauché des architectes. Leurs services coûtent environ 10 % du budget des travaux. Et j’en ai eu pour mon argent, notamment une vingtaine de pages de plans, dessins et devis détaillés. Ils ont remis en question certains a priori — « pourquoi déplacer l’escalier ? » — et m’ont fourni d’excellents conseils sur le permis, le budget, l’échéancier, l’embauche du personnel et la surveillance du chantier.
Selon l’ampleur des travaux, le recours à un architecte ne sera pas essentiel. « Un designer d’intérieurs fera l’affaire si c’est juste une question de décoration. Pour déplacer un mur porteur ou refaire la structure du toit, un ingénieur suffit », dit Guy Giasson, directeur général intérimaire de l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC).
Un bon plan permet d’expédier plus rapidement la préparation de la demande du permis. Chaque municipalité, chaque arrondissement a ses règles, mais en gros, le permis coûte environ 1 % du budget des travaux. Si vous êtes tenté d’en faire l’économie, sachez que vous risquez qu’un inspecteur ordonne la fermeture du chantier — risquer de devoir payer les ouvriers à ne rien faire, ça vous tente ?
Le plan est incontournable lorsqu’on veut financer les travaux avec un emprunt hypothécaire. Pour mes deux plus gros chantiers, j’ai obtenu 40 000 dollars de financement hypothécaire la première fois, et plus de 80 000 dollars la deuxième.
Un plan réaliste et structuré est par ailleurs susceptible de vous éviter des ennuis avec votre assureur, pour qui rénovation égale aggravation du risque. Le plan réalisé par des professionnels montre que vous savez où vous allez, et donc que vous n’augmentez pas indûment le risque. Il importe de toujours aviser l’assureur avant le début des travaux, recommande Line Crevier, responsable des affaires techniques au Bureau de l’assurance du Canada (BAC). « Si vous contactez l’assureur au milieu des travaux alors que les ouvriers ont provoqué un dégât d’eau ou un incendie, il pourrait conclure que vous avez indûment aggravé le risque et annuler votre contrat. »
Un plan bien ficelé facilitera aussi le choix de l’entrepreneur et l’embauche des ouvriers — étapes cruciales. N’hésitez pas à demander des noms à vos amis et à votre architecte. Sur le site de l’APCHQ, vous pouvez établir une liste, parmi les 17 000 entrepreneurs titulaires d’une licence de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), en spécifiant la région où se dérouleront les travaux et la spécialité recherchée.
L’APCHQ offre une autre liste, plus restreinte : celle des quelque 700 entrepreneurs Réno-Maître, dont les compétences techniques sont validées chaque année. « Nous vérifions aussi leur crédit et nous faisons enquête sur leur service à la clientèle », précise Ronald Ouimet, directeur du service Réno-Maître et garantie rénovation.
Ce service est particulièrement utile si vous décidez d’agir vous-même comme entrepreneur général, ce que la loi autorise pour une maison individuelle — c’est alors à vous qu’incombe la tâche de coordonner tous les corps de métier.
Régie du bâtiment, APCHQ, ACQC et autres organismes spécialisés, tous recommandent le même processus de sélection. Choisissez trois entrepreneurs auxquels vous demanderez une soumission détaillée, des références de clients récents et une preuve d’assurance — eh non, l’assurance n’est pas un préalable à la licence de la RBQ ! Vérifiez également si les entrepreneurs ont fait l’objet de plaintes à la RBQ et à l’Office de la protection du consommateur (OPC). À la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ), vous pourrez vérifier s’ils ont fait l’objet d’un jugement.
L’étape suivante est celle de la rédaction du contrat détaillé. Derrière une rénovation calamiteuse se trouve trop souvent un contrat vague, du genre : « Refaire le deuxième étage : 40 000 dollars. »
« Tout devrait figurer dans le contrat, dit Ronald Ouimet, de l’ACQC. Le détail de chaque opération, les matériaux employés, qui est responsable du chantier, à quelle heure la famille doit libérer les lieux, les échéances, les dates de versement, tout. »
Le contrat prévoit aussi l’échelonnement des paiements, dont une réserve de 10 % payable à la fin des travaux, réalisés à la satisfaction du client. Cette disposition vous protège au cas où l’entrepreneur ne paierait pas ses fournisseurs.
C’est qu’une disposition du Code civil, appelée « hypothèque légale », permet à un fournisseur impayé d’ordonner la vente de votre propriété pour être rétribué ! Il y a eu 2 500 hypothèques légales publiées dans le secteur de la construction en 2014, soit le quart de toutes les hypothèques légales produites au Québec, selon JLR Solutions foncières, une société d’analyse des transactions foncières située à Montréal.
Éducaloi fournit de nombreux conseils pour prévenir ce genre de situation, dont le plus simple consiste à demander à l’entrepreneur la preuve que ses fournisseurs ont tous été payés.
Si vous ne connaissez pas grand-chose à la construction, si l’idée de devoir traiter avec des ouvriers vous intimide, si vous ne savez pas lire un plan ou si vous n’êtes pas en mesure de visiter le chantier une ou deux fois par jour, les spécialistes recommandent d’embaucher un surveillant de chantier. Il s’agit bien souvent d’un ancien entrepreneur d’expérience, d’un technologue ou d’un ingénieur. « Même si vous vous y connaissez, vous devriez confier un mandat de surveillance pour les aspects plus techniques que vous ne maîtrisez pas », recommande Guy Giasson, de l’ACQC. La plupart des entrepreneurs sont compétents, honnêtes et capables de reconnaître quand ils se sont trompés, ajoute-t-il.
« Chaque projet de construction est un prototype : ce n’est pas une production à la chaîne, c’est de l’artisanat », dit l’architecte Paul Bernier, qui a signé les plans de ma première maison. « Les difficultés d’un chantier ne viennent pas toutes de l’entrepreneur, mais parfois des circonstances et de la malchance — qu’il faut accepter. » Il y a les imprévus comme la météo et les mauvaises surprises cachées sous le « prélart ».
L’architecte Colleen Lashuk — qui a fait les dessins de ma deuxième maison — conseille d’inscrire au contrat la tenue d’une réunion hebdomadaire avec l’entrepreneur. « C’est une très bonne pratique pour connaître ce qui suit, parer aux imprévus, discuter de l’échéancier, prendre des décisions. »
En cas de travaux mal faits, incomplets, voire non réalisés, vous pourriez être indemnisé en tout ou en partie grâce au cautionnement que la RBQ et l’APCHQ exigent désormais des entrepreneurs inscrits. Il existe un cautionnement similaire du côté de l’OPC pour certains types d’entreprises, comme celles qui se spécialisent en toitures, en portes et fenêtres ou en mobilier de cuisine, considérées comme des « vendeurs itinérants ». Mais ces cautionnements comportent des limites quant à la somme que vous pouvez réclamer.
Dans les cas vraiment litigieux ou qui excèdent la valeur du cautionnement, les tribunaux devront trancher. Mais selon mon expérience et celle de toutes les personnes interrogées, la meilleure protection est encore d’agir de façon préventive et de corriger chaque problème avant qu’il devienne une montagne.
C’est le secret de la rénovation heureuse.