Commis dans une quincaillerie du lundi au vendredi et homme à tout faire la fin de semaine. Programmeuse informatique le jour et conceptrice Web à son compte le soir. Que ce soit pour faire face à la hausse du coût de la vie ou pour économiser davantage, il peut être tentant d’occuper deux emplois en même temps. Mais il faut faire attention à plusieurs facteurs. Les horaires sont-ils compatibles avec votre vie familiale ? Les emplois entrent-ils en concurrence ? Et, surtout, vous restera-t-il véritablement plus d’argent en poche à la fin de l’année, une fois les impôts payés ? Avant de cumuler deux jobs, il faut réfléchir aux considérations humaines, fiscales et légales, préviennent les experts. L’actualité s’est entretenu avec un fiscaliste, une avocate en droit du travail et une conseillère en orientation, pour obtenir leurs recommandations.
En septembre dernier, 194 000 Québécois occupaient plus d’un emploi selon les données de Statistique Canada, un nombre deux fois plus important qu’au début des années 1990. Dans la majorité des cas, la décision d’occuper deux emplois est liée à des raisons financières, a constaté la présidente de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, Josée Landry, au cours de sa carrière.
C’est alors d’autant plus important de s’assurer qu’on en aura pour son argent.
Enjeux fiscaux : gare aux mauvaises surprises
L’un des principes les plus importants à retenir sur le plan fiscal concerne les retenues à la source. « Chaque employeur a l’obligation d’agir comme s’il était le seul employeur », explique Jonathan Lefrançois, directeur en fiscalité chez Moquin Amyot, à Boucherville. Pour l’employé, cela signifie qu’indépendamment du revenu total gagné à la fin de l’année, les cotisations et les retenues à la source — Régime des rentes du Québec (RRQ), Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), assurance-emploi, etc. — sont obligatoirement prélevées sur la paye pour chacun des emplois.
Par exemple, un travailleur qui a un seul emploi en 2022 cesse de payer des cotisations à l’assurance-emploi lorsque son revenu annuel atteint 60 300 dollars. Or, un travailleur qui cumule deux emplois lui rapportant annuellement 35 000 dollars chacun paiera des cotisations à l’assurance-emploi sur chacun de ses chèques de paye, sans plafond, sur un revenu total de 70 000 dollars. « L’employé a certes une belle surprise lorsqu’il se fait rembourser sa portion versée en trop en produisant sa déclaration de revenus l’année suivante. Toutefois, la réalité est qu’en période inflationniste, certains auraient besoin d’une paye nette plus élevée pour les aider à payer l’épicerie hebdomadaire », affirme Jonathan Lefrançois. Selon son revenu, cela peut représenter des centaines, voire des milliers de dollars par année.
Attention également au calcul des impôts, note-t-il. En 2022, un employé commence à en payer lorsque ses revenus annuels dépassent 14 398 dollars au fédéral et 16 143 dollars au provincial, en vertu de ce qu’on appelle le crédit d’impôt personnel de base. Sauf qu’un employé qui a deux emplois ne peut pas demander ce crédit d’impôt deux fois. Concrètement, si vous acceptez un second emploi, assurez-vous de remplir les formulaires TD1 (Agence du revenu du Canada) et TP-1015.3 (Revenu Québec) et d’y indiquer que vous n’avez pas droit au crédit d’impôt. Vous devez ensuite les remettre à votre deuxième employeur, pour qu’il calcule correctement les retenues à la source.
Gardez aussi en tête que, si vous avez deux emplois qui vous rapportent 35 000 dollars chacun, chaque employeur prélèvera des impôts comme si votre revenu annuel était de 35 000 dollars, sans tenir compte du taux d’imposition plus élevé pour les revenus dépassant 46 295 dollars. Résultat : vous devrez payer de l’impôt au gouvernement à la fin de l’année. Pour régler le problème, vous pouvez demander à vos employeurs d’augmenter les retenues à la source sur chacune de vos payes.
Il faut être encore plus prudent lorsqu’on démarre sa propre entreprise. Le travailleur autonome doit garder en tête qu’il aura des impôts à payer à la fin de l’année — et des acomptes provisionnels à verser quatre fois l’an par la suite, si l’impôt à payer dépasse 1 800 dollars. Si ses revenus de travailleur autonome dépassent 30 000 dollars, il devra aussi facturer des taxes à la consommation à ses clients et les remettre aux gouvernements fédéral et provincial. « Ça peut faire mal au budget si le travailleur n’a pas prévu le coup et qu’il n’a pas mis l’argent de côté », explique Jonathan Lefrançois.
Le fiscaliste invite les travailleurs à faire des calculs — ou à consulter un comptable ! — pour déterminer s’ils sont réellement gagnants. Surtout pour les familles, dont les allocations gouvernementales et crédits d’impôt varient selon le revenu du ménage et qui doivent débourser de l’argent pour faire garder les enfants. « Des personnes pourraient être surprises de constater qu’elles sont loin de s’enrichir à la hauteur du temps et de l’argent investi [pour occuper ce deuxième boulot] », dit-il.
Enjeux légaux : loyauté et honnêteté
De manière générale, un travailleur qui a deux emplois n’a pas l’obligation d’en aviser ses employeurs, à moins que ses contrats de travail ne l’exigent, affirme Me Marie-Michelle Savard, avocate en droit du travail et de l’emploi et associée au cabinet Verreau Dufresne, à Québec. « Un contrat de travail peut prévoir qu’un employé qui veut occuper un autre emploi doit aviser l’employeur et obtenir son autorisation », précise-t-elle.
Il faut aussi lire attentivement ses contrats de travail (si on en a signé au moment de l’embauche), pour voir s’ils contiennent des clauses particulières : la clause d’exclusivité interdit en général à l’employé d’exercer une autre activité rémunérée, tandis que la clause de non-concurrence prévoit habituellement que l’employé ne peut pas travailler ou devenir actionnaire chez un concurrent, pendant l’emploi et pendant une période suivant la fin de l’emploi. Un contrat de travail verbal a aussi une valeur au Québec : si votre employeur vous a dit que vous ne pouviez pas travailler pour un concurrent, cela est valide sur le plan légal. Il pourrait le faire valoir devant un tribunal si vous avez un litige à ce propos. Sans contrat écrit prévoyant l’exclusivité ou la non-concurrence, sa cause serait cependant plus difficile à défendre.
Si de telles clauses n’apparaissent pas dans les contrats de travail et n’ont pas fait l’objet de discussions, un employé peut occuper deux emplois, que ce soit dans des entreprises du même secteur d’activité ou dans des domaines complètement différents. La seule condition est « d’agir avec loyauté et honnêteté », comme prévu à l’article 2088 du Code civil du Québec. Cela n’oblige pas un travailleur à aviser son patron qu’il travaille pour quelqu’un d’autre, mais simplement à agir de bonne foi.
« Il n’y a pas de balises formelles pour déterminer si deux emplois sont compatibles, explique Me Savard. C’est une analyse au cas par cas. »
Enjeux humains : respecter ses limites
Même si l’on occupe deux emplois pour des raisons financières, l’argent, ce n’est pas tout, rappelle la présidente de l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, Josée Landry. L’équilibre travail-famille et le maintien d’une bonne santé mentale et physique ont aussi leur importance. On doit « prendre une décision en fonction de ces critères-là également ».
Josée Landry conseille de réfléchir à toutes les variables de l’équation, qu’il s’agisse des horaires de travail, du temps de déplacement ou encore des dépenses particulières à considérer, comme un stationnement payant. « Il est important que la personne évalue également ses capacités et en parle avec sa famille et ses proches, parce que c’est une décision qui peut avoir des répercussions sur l’entourage », ajoute-t-elle.
Son conseil : si le stress augmente, que la satisfaction au travail diminue et que le sommeil est difficile à trouver, il est peut-être temps de revoir son emploi du temps… quitte à remettre sa démission à l’un de ses patrons.
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