Depuis que je tiens cette chronique sur le droit, je tombe sans cesse sur des expressions et des formules obscures. Or, le droit n’est pas comme la physique, le génie ou l’informatique : nous sommes tous appelés à lire des textes de nature juridique, comme des contrats, pour essayer de comprendre notre situation. Quand il ne s’agit pas d’interpréter des actions, demandes ou sentences de tribunaux. L’hermétisme du langage juridique pose donc de très nombreux problèmes.
J’en ai discuté en long et en large avec deux avocats d’Éducaloi, Guillaume Rondeau, expert en communication claire, et Francis Barragan, chef, affaires juridiques et conseil stratégique. Après tout, la communication claire du droit, c’est la mission de cet organisme qui vient de célébrer ses 20 ans.
« Le droit n’a pas besoin d’être obscur », dit Guillaume Rondeau, qui raconte être allé en cour municipale pour observer comment étaient rendus les jugements de façon orale. « C’était un tel charabia que la personne concernée ne comprenait pas. À la fin, elle devait demander au juge si elle était acquittée ou coupable. »
Francis Barragan insiste néanmoins sur le fait que le vocabulaire n’est pas la seule source de confusion. « Les écrits juridiques, les jugements et les lois ont un gros problème d’organisation des idées, de phrases longues, de raisonnements mal expliqués et de surabondance de détails. Et c’est ce que nous voulons corriger avec la communication claire. » C’est d’ailleurs un des principaux mandats d’Éducaloi, qui en plus d’ateliers sur la compréhension du droit offre même des formations aux juges sur la rédaction claire, entre autres activités.
Les deux spécialistes m’ont dressé une liste de termes universellement mal compris — à laquelle j’en ai ajouté quelques autres repérés dans mes lectures.
La machine juridique
Un bon nombre de termes difficiles à comprendre concernent le fonctionnement de la machine juridique, et on trouve là-dedans du vieux latin de cuisine.
Prescription, comme dans « vous ne pouvez déposer de poursuite, car il y a prescription ». Aucun rapport avec vos médicaments. Il s’agit du délai dont vous disposez pour contester (la propriété d’un autre, par exemple) ou pour qu’une accusation criminelle puisse être déposée. Dans le cas d’une poursuite civile, ce délai est généralement de trois ans, mais il existe de nombreuses exceptions. Le délai varie selon le type de cause, et il vaut mieux entreprendre des démarches dès qu’on s’aperçoit qu’on a été lésé.
Entendre, comme dans « le tribunal entendra l’expert ». Nous avons tous appris qu’entendre, ce n’est pas écouter. Sauf en cour. Quand la cour vous entend, c’est qu’elle écoute votre témoignage ou la cause qui vous concerne.
Compétence, comme dans « la cour n’est pas compétente dans ce dossier ». Si le tribunal auquel vous vous êtes adressé se déclare non compétent, cela n’a rien à voir avec un manque de connaissances ou d’expérience. Cela signifie simplement qu’il n’a pas l’aptitude reconnue légalement à traiter un dossier, à en juger ou à accomplir un acte. Autrement dit, vous devez consulter un autre tribunal.
Affidavit, comme dans « la cour a reçu des affidavits ». Du latin affidavit (« il attesta »). Il s’agit d’une déclaration écrite faite sous serment. Mais pas n’importe quel serment : reçu et attesté par un commissaire à l’assermentation (une des personnes désignées par le ministère de la Justice pour prêter serment).
Citation, comme dans « vous êtes cité comme témoin ». Si la cour vous cite, ce n’est pas pour la brillance de vos propos ou de vos écrits. Il s’agit d’une sommation à comparaître.
Subpœna, comme dans « vous recevrez un subpœna ». Prononcé « subpéna », ce mot d’origine latine signifie « sous peine de ». Il s’agit d’un ordre d’un juge par lequel vous êtes assigné à témoigner. Le « subpœna duces tecum » vous cite à comparaître avec vos documents. Si vous ne vous présentez pas, vous pourriez être arrêté et mis à l’amende, voire emprisonné.
Confusion généralisée
Plusieurs notions fondamentales du droit sont très mal comprises et produisent des attentes démesurées, au point de susciter la polémique. Par exemple:
Appel, comme dans « faire appel d’un jugement ». Cela consiste à demander qu’un raisonnement juridique soit reconsidéré. Ce n’est que la révision d’un jugement, et non la tenue d’un nouveau procès. Le tribunal d’appel ne peut donc pas recevoir de nouvelles preuves ni rejuger une cause. Sa seule responsabilité consiste à juger le droit. Devant des faits nouveaux qui remettent en cause un jugement, un juge d’appel ne peut que demander un autre procès.
Effets au quotidien
Divers concepts de droit ont toutes sortes de répercussions dans le quotidien, notamment en ce qui a trait à l’interprétation des testaments et des contrats de mariage ainsi qu’aux décisions quant au patrimoine familial ou à la pension alimentaire.
Aliments, comme dans « pension alimentaire ». Ce concept ne se limite pas à la nourriture. Il concerne tout ce qui répond aux besoins d’une personne, donc aussi les vêtements, le logement et même l’accès à Internet.
Meuble, comme dans « bien meuble ». Contrairement à un bien immeuble, le bien meuble peut être déplacé. Les « meubles » vont très au-delà de votre mobilier. Une voiture ou les papiers de votre oncle Gérard sont des meubles, tout comme les biens intangibles, tels que l’argent.
Sur l’utilité du jargon
On peut accuser les avocats et les tribunaux de jargonner à outrance, mais certaines nuances sont utiles, voire nécessaires au bon fonctionnement de la justice — ce que reconnaissent d’ailleurs les spécialistes de la communication claire en droit.
Par exemple, pour mettre fin à un contrat, vous pouvez employer différents mots (résiliation, résolution, annulation) dont les définitions ont été établies par le droit et qui ne sont pas exactement synonymes parce que les conséquences ou les causes divergent. C’est un peu comme les médecins, qui connaissent toutes les nuances entre les virus, les bactéries, les rétrovirus et les parasites, mais qui n’utilisent jamais le mot « microbe », sauf pour s’adresser à des enfants ou à des gens qui ne saisissent pas ces subtilités.
Résiliation. S’applique au contrat à exécution successive ou continue, comme un bail ou un abonnement, où les obligations sont échelonnées dans le temps. La résiliation n’a pas d’effet rétroactif : le contrat cesse d’exister pour l’avenir seulement.
Résolution. Cela concerne un contrat à exécution simultanée ou instantanée (par exemple un contrat d’achat, où le transfert du bien et le paiement se font d’un seul coup), comme pour l’achat d’une voiture ou d’un autre bien. Une partie peut demander la résolution si l’autre partie ne respecte pas ses obligations contractuelles ou si plusieurs conditions n’ont pas été remplies (il manque des morceaux, seul le premier versement a été reçu). La résolution a un effet rétroactif : le contrat est réputé n’avoir jamais existé et ce qui a été payé peut devoir être remboursé en tout ou en partie.
Annulation. Son effet est semblable à celui de la résolution, mais la cause est différente. L’annulation suppose un vice de consentement au moment de conclure le contrat, alors que la résolution concerne le non-respect des obligations contractuelles. Un contrat sera annulé si, par exemple, le vendeur vous a trompé ou n’avait pas, en tant que mineur, personne sous tutelle ou étranger, la capacité légale pour conclure le contrat. Et si votre fils vend votre tableau de Rembrandt pour se payer un voyage à Cancún, il devra vous rembourser à défaut de pouvoir vous restituer un bien qu’il a vendu et qui ne lui appartenait pas.
Ces nuances existent pour de bonnes raisons, explique Guillaume Rondeau. Une avocate qui rédige un document pour la cour doit utiliser les termes techniques appropriés afin d’assurer le bon fonctionnement du système. « Par contre, lorsque cette même avocate parle avec son client, de telles nuances ne sont pas toujours nécessaires, et le client peut parfois se contenter de savoir que la cour a mis fin à son contrat et qu’il sera remboursé. » Bref, pour le juriste, la règle de communication claire consiste à se mettre au niveau de son interlocuteur.
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