Pourquoi l’assurance vie permanente n’est pas toujours une bonne affaire ?  

À en croire votre cousin devenu conseiller en sécurité financière, l’assurance vie permanente est indispensable. Mais l’est-elle vraiment ? Fabien Major démystifie ce produit financier et explique en quelles circonstances il en vaut réellement la peine.

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Bien dépenser
Famille et couple
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Fabien Major est planificateur financier et animateur du populaire balado de finances personnelles Le planif. Il est conseiller en gestion de patrimoine depuis 1998.

Un petit frisson d’horreur parcourt ma colonne quand j’entends parler de jeunes de moins de 40 ans qui déboursent des centaines de dollars par mois pour une assurance vie permanente… malgré des cotisations inutilisées aux REER, REEE et CELI.

Pourquoi miser autant sur sa mort tout en négligeant l’épargne de son vivant ? Immanquablement, on me répond que c’est un investissement. Certains produits d’assurance vie constituent en effet une option de diversification intéressante pour les nantis. Lorsque les comptes REER, CELI et REEE sont garnis à ras bord et qu’il reste des surplus budgétaires, le recours à des stratégies de planification de patrimoine avec une police d’assurance peut être valable. C’est le cas des produits d’assurance vie permanente, aussi appelée assurance vie entière, qui, en plus du versement d’une somme aux bénéficiaires lors du décès, comportent un volet épargne. 

C’est ce volet épargne, appelé valeur de rachat, que votre cousin conseiller vous a peut-être vanté : l’argent qui y est déposé fructifie à l’abri de l’impôt, et les héritiers n’ont pas à en payer non plus au moment du versement de la prestation de décès. Votre cousin a peut-être surtout fait valoir la possibilité d’encaisser la portion épargne de votre vivant. On peut en effet se servir de ce volet de la police d’assurance pour obtenir une rente à la retraite ou sortir une grosse somme d’un coup.

Tout cela est charmant sur papier, mais rien ne peut égaler les déductions d’impôt immédiates des REER, l’accumulation libre d’impôt des CELI et les subventions et incitatifs des REEE (les gouvernements y versent des sommes qui correspondent à 30 % de nos cotisations). De toute évidence, il manque des boutons à la calculette du cousin. S’il prétend que l’assurance vie remplace les produits et régimes d’épargne, soyez méfiant. Et posez des questions.

Avant toute chose, demandez-vous pourquoi vous voulez une assurance vie. La plupart du temps, c’est pour payer des dettes ou des dépenses futures, afin de ne pas laisser vos proches dans le besoin. Ça peut être l’hypothèque, les soldes des cartes de crédit, voire l’ardoise des agences du revenu ou les études supérieures de vos enfants et petits-enfants. Généralement, une assurance vie temporaire fait très bien l’affaire. Elle offre une protection pour une période limitée, comme 10 ou 20 ans, le temps que les enfants grandissent, alors que l’assurance vie entière ou permanente fournit une protection durant toute la vie. Le conseiller en sécurité financière a l’obligation de bien évaluer ces besoins et surtout de les arrimer au budget des vivants. La prime d’un produit d’assurance permanente est en effet plus chère que celle d’une assurance temporaire. 

Le choix de Théo

Récemment, j’ai rencontré Théo, un homme de 35 ans dont je vais taire la véritable identité. Il est titulaire d’une police d’assurance vie entière de 373 000 dollars qui lui coûte 500 dollars par mois, soit 6 000 dollars par an. C’est un produit d’assurance qu’il peut conserver toute sa vie et qui procurera à ses héritiers, à sa mort, une rondelette somme. 

Le volet épargne pourra gonfler le capital au décès ou lui fournir une rente à la retraite. Ou encore servir à créer un compte de réserve qui fera le paiement des primes à sa place ; après avoir accumulé du capital pendant 15 ans, par exemple, Théo pourrait ainsi cesser de puiser dans ses poches pour payer sa police. Évidemment, pour cela, il faut que le magot, la fameuse « valeur de rachat », soit très gros. 

S’assurer ou investir ?

Sur papier, à 60 ans, Théo devrait avoir au moins 132 753 dollars en valeur de rachat intégrée à sa protection de 373 000 dollars s’il décède. Cette valeur de rachat est garantie : il pourrait alors mettre fin à la police et récupérer cette somme. Est-ce une bonne affaire ?

Pour le savoir, on calcule le total versé en primes pour une assurance temporaire pendant 25 ans, ainsi que les valeurs engendrées par un investissement plus traditionnel comme un fonds négocié en Bourse (FNB) ou un fonds commun. Cette comparaison peut se faire aisément. En demandant une soumission sur une plateforme de courtage regroupant des centaines d’assureurs canadiens, j’ai déniché une protection en cas de décès de 373 000 dollars, « temporaire 25 ans », pour un homme non fumeur, au coût mensuel de 37 dollars.

Théo débourse présentement 500 dollars par mois pour son contrat d’assurance ; supposons qu’il investisse la différence, soit 463 dollars, dans un produit de placement composé d’actions internationales. Aux fins de comparaison, je prends le CELI. Comme avec la police d’assurance, il y aura un accroissement de l’épargne libre d’impôt. 

Pour faire mon choix de produit, j’ai utilisé la base de données de Morningstar. J’ai pu y trouver des centaines de fonds communs ayant au moins 25 ans d’existence. Il a aussi été facile de repérer des dizaines de fonds affichant un rendement moyen historique annuel de plus de 8 % (semblable aux grands indices boursiers). Ce rendement n’est pas garant de l’avenir, mais il peut servir d’indicatif. 

Au bout de 25 ans de dépôts mensuels de 463 dollars, la croissance du capital et des intérêts composés correspond à une valeur totale de 423 570 dollars. Toute une différence par rapport à ses 132 753 dollars en valeur de rachat garantie à 60 ans par son contrat d’assurance. Même un rendement de 4 % donne une somme plus élevée, soit 236 368 dollars.

Il faut dire que l’assurance permanente est très coûteuse, puisqu’elle protège toute la vie, sans augmentation de la prime. Des 500 dollars déboursés mensuellement par Théo, c’est plus que 37 dollars qui servent à payer l’assurance. L’assureur verse donc moins que 463 dollars dans des véhicules d’épargne, ce qui limite l’accroissement. 

De plus, pendant ces années où on accumule la valeur de rachat, les sorties de fonds sont pénalisées dans de nombreux contrats. Alors que l’argent placé dans un CELI peut être retiré à tout moment.

Donc, dans le cas de Théo, l’option de souscrire une assurance temporaire et de placer la différence serait beaucoup plus avantageuse. Pour que l’assurance vie entière soit plus intéressante, il faudrait que Théo décède prématurément, avant l’âge de 50 ans.

Plusieurs utilisations de l’assurance vie entière ou permanente me semblent discutables, dont celles-ci :

  • Se servir de ce véhicule pour remplacer les REER, CELI et REEE ;
  • Y consacrer plus de 25 % de l’épargne disponible ;
  • S’assurer pendant qu’on est jeune pour « protéger son assurabilité » et le tarif ;
  • En faire sa stratégie principale de planification de la retraite.

En revanche, se procurer une assurance vie entière peut être judicieux si l’on sait que l’on aura besoin d’une assurance toute sa vie et qu’on a les moyens de se l’offrir. Si on détient, par exemple, des actifs immobiliers importants, il peut être intéressant de disposer d’une assurance qui permettra aux héritiers d’avoir des liquidités au moment du décès, sans devoir vendre des immeubles de façon précipitée. 

Mais pour en être certain, exigez toujours une évaluation comparative qui présente la valeur finale si on avait souscrit une police d’assurance temporaire (beaucoup moins coûteuse) et qu’on avait investi la différence de la prime dans des placements traditionnels libres de contraintes au rachat.

La vie étant ce qu’elle est, c’est-à-dire changeante et assortie d’épreuves, plusieurs titulaires se voient obligés de piger dans la valeur de rachat de leur police lors d’un revers de fortune… annulant du même coup toutes les belles promesses. Il est donc sage de limiter ses « investissements » dans des polices d’assurance. Y verser de 5 % à 10 % de ses actifs m’apparaît raisonnable. 

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