Au restaurant, au salon de coiffure ou chez le dentiste, si on vous demande de payer des frais pour un rendez-vous manqué ou une réservation non respectée, c’est légal ou pas ? Réponse courte : ça dépend !
Réponse longue : vous devez d’abord savoir si la personne qui veut vous refiler la facture est un commerçant, un professionnel ou un artisan. C’est son statut qui détermine si elle a le droit ou pas de vous imposer des frais. Voici comment s’y retrouver.
« Non » pour les commerçants
Quand il est question d’un commerçant qui offre des biens ou des services, c’est la Loi sur la protection du consommateur (LPC) qui s’applique. Et ce, peu importe qu’il s’agisse d’une entreprise à but lucratif, d’une coopérative ou d’une organisation sans but lucratif.
Un article bien précis de cette loi — l’article 13, pour les curieux — prévoit qu’un commerçant ne peut pas déterminer à l’avance des frais à payer si vous ne respectez pas le contrat conclu avec lui. Le « contrat » dont il est question ici peut être une entente écrite ou verbale, comme une réservation faite sur Internet ou par téléphone pour un repas ou une teinture. « Ce qui est interdit, c’est de fixer à l’avance, par écrit ou verbalement, une somme qui serait due si le client n’honore pas le contrat », résume le porte-parole de l’Office de la protection du consommateur (OPC), Charles Tanguay. Cela signifie par exemple qu’un restaurant, un salon de coiffure ou un spa ne peut pas vous prévenir que vous devrez payer 20 dollars si vous ne vous présentez pas à votre rendez-vous ou à l’heure de votre réservation.
L’Association Restauration Québec (ARQ) aimerait d’ailleurs que les choses changent, car le nombre de tables laissées vides par des clients qui font faux bond est en augmentation, selon un sondage mené auprès de ses membres. Ces restaurateurs affirment perdre de 600 à 1 200 dollars par semaine en moyenne, puisqu’ils engagent des frais (achat de nourriture, personnel) en fonction du nombre de réservations prévues.
Cela ne veut cependant pas dire que les commerçants n’ont aucun recours dans l’état actuel de la loi. « Un commerçant ne peut pas prévoir le montant du dommage, explique Me Sylvie De Bellefeuille, avocate et conseillère budgétaire chez Option consommateurs. Mais si, par son comportement, le consommateur cause un dommage au commerçant, celui-ci peut avoir un recours pour le dommage réellement subi. » Comme le restaurateur doit vous poursuivre pour obtenir compensation, ce genre de recours est surtout utilisé lorsqu’il essuie une grosse perte.
Prenons un exemple : un restaurateur vous réserve toutes ses tables un samedi soir pour des retrouvailles familiales et vous ne vous présentez pas. Il n’a pas le droit de vous imposer des frais prédéterminés, mais il peut vous réclamer ses pertes réelles (nourriture achetée, salaire des employés, etc.) en vertu du Code civil. D’abord en vous envoyant une mise en demeure, puis en vous poursuivant devant un tribunal (aux petites créances pour les causes de 15 000 dollars ou moins), si nécessaire.
Un commerçant a par ailleurs le droit de prendre en note votre numéro de carte de crédit et d’exiger un dépôt lors de la signature d’un contrat. Il n’a cependant pas le droit de facturer ses pertes directement sur votre carte sans votre accord.
L’ARQ a interpellé le gouvernement Legault pour qu’il modifie la Loi sur la protection du consommateur (ou qu’il passe par un projet de règlement) afin de permettre aux restaurateurs de facturer des frais prédéterminés aux clients qui ne se présentent pas à l’heure de leur réservation (ce qu’on appelle des no-shows dans le milieu).
L’OPC analyse aussi ce dossier et fera ses recommandations au gouvernement, affirme son porte-parole, Charles Tanguay.
« Oui » pour les professionnels et les artisans
Vous avez oublié votre rendez-vous chez le dentiste et il vous avait avisé que des frais de 30 dollars seraient appliqués en cas d’absence ? Il a le droit de vous les facturer. Les professionnels ne sont en effet pas soumis à la Loi sur la protection du consommateur.
Pour comprendre pourquoi un dentiste peut vous imposer des frais pour un rendez-vous manqué, mais pas un salon de coiffure, il faut remonter au XIXe siècle, explique Me Claudia Bérubé, avocate et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke, spécialisée notamment en droit de la protection du consommateur. Dans ce temps-là, presque chaque village avait ses « professionnels » (médecin, notaire, etc.) et ses « artisans » (cordonnier, ébéniste, etc.). « On ne considérait pas qu’il s’agissait de commerçants parce qu’ils étaient présents pour la survie du village. On disait à l’époque qu’ils n’avaient pas un but de profit, précise-t-elle. La jurisprudence a maintenu cette distinction historique lorsqu’il est question de la Loi sur la protection du consommateur. »
Pour ce qui est des professionnels, ils sont faciles à reconnaître. Vous en avez un devant les yeux s’il est représenté par un des 46 ordres professionnels encadrés par le Code des professions. C’est le cas des acupuncteurs, des dentistes, des vétérinaires, des psychologues ou encore des physiothérapeutes, entre autres. De manière générale, le code de déontologie de chaque profession détermine les frais pour les rendez-vous manqués, et ces frais doivent habituellement être mentionnés à l’avance et raisonnables, note Me Bérubé. Vous pouvez vous informer auprès de l’ordre professionnel concerné pour en savoir plus.
Les artisans, comme les ébénistes, ne sont pas non plus soumis à la Loi sur la protection du consommateur. Mais il est un peu plus complexe de déterminer qui fait partie de cette catégorie. Un ébéniste avec qui vous avez rendez-vous pour discuter de la fabrication d’un meuble sur mesure pourrait par exemple vous imposer des frais si vous n’honorez pas ce rendez-vous.
Mais qu’en est-il d’une coiffeuse, d’une massothérapeute ou d’une esthéticienne qui travaille à son compte (dans son sous-sol, par exemple) ? Si cette personne est travailleuse autonome et n’est associée à aucune entreprise, elle répond à la définition d’artisan établie par la jurisprudence, précise Me Bérubé. La massothérapeute qui travaille chez elle à qui vous posez un lapin peut donc vous imposer des frais prédéterminés, estime-t-elle.
En revanche, si vous avez rendez-vous avec une massothérapeute employée d’un spa, le commerce ne peut pas vous imposer une pénalité prédéterminée.
Que faire en cas de frais illégaux ?
Si vous considérez qu’on vous a facturé des frais illégaux, quelques options s’offrent à vous, affirme Me Sylvie De Bellefeuille. S’ils ont été prélevés sur votre carte de crédit sans votre autorisation, vous pouvez demander à votre institution financière de les annuler.
Si ça ne fonctionne pas, vous devez emprunter la voie légale et envoyer une mise en demeure — ce texte vous dit comment faire et des modèles sont proposés sur le site de l’OPC. Expliquez-y que vous invoquez l’article 13 de la Loi sur la protection du consommateur, et si le litige perdure, portez votre cause devant les tribunaux.
Pour ouvrir un dossier aux petites créances, vous devrez payer des frais variant entre 112 et 223 dollars (tarifs de 2023), mais que la partie adverse devra généralement vous rembourser si vous obtenez gain de cause. Gardez également en tête que, de son côté, le commerçant pourrait faire valoir devant le juge les pertes réelles engendrées par votre absence, comme expliqué plus haut. Et elles pourraient être encore plus élevées que ce qu’il vous a réclamé. « Le fait de poursuivre aux petites créances peut donc être un couteau à double tranchant », prévient Me Claudia Bérubé.
Au-delà des considérations juridiques, Me Sylvie De Bellefeuille, d’Option consommateurs, rappelle que la meilleure façon d’éviter les frais d’absence est de vous présenter à votre rendez-vous ou, si ce n’est pas possible, d’aviser de votre absence dans les délais fixés. « C’est une question de civisme élémentaire, dit-elle, même si ce n’est pas prévu dans la loi. »
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