Votre patron insiste pour que vous retourniez au bureau ? Les plus récentes conclusions d’études scientifiques pourraient vous donner des arguments de poids pour le convaincre de vous laisser télétravailler tranquille, au moins quelques jours par semaine.
Ces études ont permis de mesurer les effets sur la productivité du travail hybride — quelques jours au bureau, quelques jours à la maison —, qui tend à s’imposer dans beaucoup d’organisations depuis la fin de l’urgence sanitaire.
Des chercheurs de la Harvard Business School ont par exemple observé le rendement d’une centaine de travailleurs du Bangladesh Rural Advancement Committee, l’une des plus grosses ONG au monde, pendant neuf semaines en 2020. Les employés ayant obtenu les meilleurs résultats (notamment en nombre de courriels envoyés et de destinataires joints) sont ceux qui effectuaient du télétravail de façon modérée — de 23 % à 40 % du temps au bureau, le reste à la maison. Leur productivité était plus élevée que celle des employés qui étaient soit presque toujours à la maison, soit presque toujours au bureau, selon leur article, publié en mars dernier.
Un professeur du Département d’économie de l’Université Stanford, Nicholas Bloom, a pour sa part dévoilé en juillet les résultats d’une expérience réalisée en Chine, au sein de Trip.com (une filiale de l’agence de voyages Ctrip, auprès de laquelle il avait déjà mené une étude phare sur le télétravail en 2014). Plus de 1 600 employés des services d’informatique, des finances et du marketing y ont pris part. Parmi ses principales conclusions, le chercheur a noté que le nombre de lignes de code entrées par les ingénieurs informatiques ayant accepté de travailler de la maison deux jours par semaine pendant six mois avait été plus élevé de 8 % par rapport à la performance des employés au bureau à temps plein. Le mode hybride avait par ailleurs fait augmenter la satisfaction au travail et aidé à la rétention des employés, puisque le taux de départ de la main-d’œuvre avait diminué de 35 %. À la fin de l’étude, l’entreprise a décidé d’étendre le mode hybride à tous ses travailleurs.
Lors de l’expérience réalisée en 2014 au sein de Ctrip, Nicholas Bloom et ses collègues avaient d’abord demandé aux employés du centre d’appels de se porter volontaires pour faire du télétravail. Ils avaient ensuite assigné aléatoirement ces volontaires à la maison ou au bureau. Après neuf mois, les chercheurs ont constaté que la productivité des télétravailleurs avait surpassé de 13 % celle des employés installés au bureau, les gains étant calculés en minutes travaillées par jour et en appels effectués par minute. Ctrip a ensuite offert l’option du télétravail à ses 16 000 employés.
Les raisons de cette efficacité
Selon une revue de la littérature publiée en 2019 par des chercheurs anglais, cette productivité accrue en contexte de télétravail s’explique de plusieurs façons. De nombreuses études ont démontré qu’en évitant les déplacements vers le bureau, les employés consacrent généralement plus d’heures à leur travail. Soit parce qu’ils ont simplement plus de temps, soit parce qu’ils sentent le besoin de prouver à leur employeur que la flexibilité qu’on leur accorde est justifiée.
D’autres recherches ont conclu que les employés sont plus productifs en travaillant de la maison parce qu’ils sont moins distraits qu’au bureau, ou encore parce qu’ils sont libres de travailler au moment qu’ils préfèrent. En contrepartie, certains chercheurs sont arrivés à la conclusion que le télétravail peut créer de l’isolement et nuire à la qualité des relations entre collègues.
Le contexte du Québec
Arriverait-on à des conclusions similaires si on reproduisait les plus récentes études dans un contexte québécois ? « Oui, absolument », avance Tania Saba, professeure à l’Université de Montréal et titulaire de la chaire BMO en diversité et gouvernance. Puisque chaque contexte de travail est différent et que la productivité est difficile à mesurer dans certains secteurs, de telles études ne fournissent cependant pas de réponses universelles, applicables à tous les domaines, nuance-t-elle. À sa connaissance, aucune étude québécoise ou canadienne n’a jusqu’à maintenant permis de mesurer objectivement les possibles gains de productivité liés au télétravail ou au travail hybride.
Son équipe et elle se sont plutôt concentrées sur la perception des employés qui font du télétravail. Parmi les quelque 29 000 personnes sondées depuis avril 2020 au Canada, mais également en France, en Australie et aux États-Unis, environ 8 répondants sur 10 ont dit être aussi, plus ou beaucoup plus productifs en travaillant de la maison plutôt que du bureau. Un résultat semblable avait été observé auprès des 7 000 premiers répondants (un rapport mis à jour est à venir).
Une étude de Statistique Canada dévoilée en avril 2021 pointe dans la même direction : 9 nouveaux télétravailleurs canadiens sur 10 ont déclaré accomplir autant ou plus de travail chaque heure en restant à la maison.
Télétravail à la pièce
« Quand les gens veulent faire du télétravail, ils ne sont pas moins productifs. Ça, c’est évident », confirme la professeure à la TÉLUQ Diane-Gabrielle Tremblay, qui suit de près les nouvelles formes d’organisation du travail.
Ils perdent toutefois en efficacité s’ils sont en télétravail à temps plein, surtout dans les secteurs où la créativité et le travail d’équipe sont importants. Faire un remue-méninges sur Zoom, ce n’est pas exactement comme en tenir un en personne. Sans compter toutes les discussions informelles contenant parfois de précieuses informations, moins nombreuses à distance. « Rares sont les employés qui vont vous dire qu’ils sont pleinement efficaces en travaillant seulement de la maison. L’efficacité d’une partie de leur travail dépend aussi de leur présence au bureau », précise Mme Saba.
Si le télétravail a des avantages d’un point de vue individuel, ses répercussions sur la santé des organisations demeurent cependant un sujet à explorer. Tania Saba compte par exemple mener des études pour déterminer si la capacité d’innovation des entreprises fait les frais de l’éparpillement de leurs employés.
En attendant, Diane-Gabrielle Tremblay a un conseil pratique si vous voulez plaider la cause du télétravail auprès de votre patron : plutôt que de lui présenter un horaire rigide des jours passés au bureau et à la maison, misez sur une organisation du travail en fonction des tâches. Vous pourriez ainsi lui faire la proposition suivante : travailler de votre cuisine pour écrire un rapport sans vous faire déranger, puis être présent dans la salle de réunion de l’entreprise lors du prochain remue-méninges. « Je pense que c’est surtout comme ça qu’on peut vendre le télétravail à son employeur », estime la professeure.
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