Sophie Stival est analyste financière. Elle a travaillé à la trésorerie d’une grande banque canadienne, où elle supervisait une équipe d’arbitragistes de taux d’intérêt. Elle est aujourd’hui journaliste indépendante spécialisée en finance et investissement.
Quinze heures ou moins par semaine. C’est la quantité idéale de travail rémunéré pour un jeune qui fréquente l’école, selon le Réseau réussite Montréal, qui vise la réussite scolaire des jeunes. Au-delà, l’activité nuit aux études, d’après les recherches de ce regroupement de partenaires de la région métropolitaine — dont les centres de services scolaires, les universités et la chambre de commerce. La fin du secondaire, quand le jeune atteint 16 ans mais n’a pas encore son diplôme, est la période la plus à risque pour le décrochage, souligne la directrice générale du Réseau réussite Montréal, Andrée Mayer-Périard.
Or, avec la pénurie de main-d’œuvre actuelle, les employeurs sont prêts à offrir bien des heures aux ados. Et de nombreux patrons augmentent les salaires, ce qui a le potentiel d’attirer davantage de jeunes sur le marché du travail, selon une étude de Statistique Canada publiée en juillet dernier. La présence d’employés de 13 ou 14 ans dans un nombre grandissant d’entreprises a même incité le Conseil du patronat à consulter ses membres — le sondage est encore en cours — pour connaître leur position sur cette nouvelle main-d’œuvre.
Près de la moitié des étudiants à temps plein occupent un emploi, souligne une étude approfondie sur la conciliation travail-études réalisée par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et le Réseau réussite Montréal, en partenariat avec le Regroupement des cégeps de Montréal, en 2019. Les auteurs s’inquiétaient alors déjà pour la persévérance scolaire dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre : environ la moitié des jeunes qui ont participé à l’enquête se sont dits prêts à abandonner leurs études s’ils recevaient une offre d’emploi bien rémunéré !
Faire travailler les étudiants n’est pas une mauvaise chose en soi, selon Annie Harvey, porte-parole de l’organisme Alloprof. « En plus de rehausser l’estime personnelle, cela les rend plus débrouillards », dit-elle. Tout est une question de dosage. Ainsi, les jeunes avec un petit boulot ont plus de succès à l’école que ceux qui sont sans emploi, révèle une des études du Réseau réussite Montréal.
Lorsque notre enfant entre sur le marché du travail, on peut l’aider à déterminer le nombre d’heures qu’il consacrera à son emploi. « Un étudiant avec un déficit d’attention ou des difficultés d’apprentissage ne devrait possiblement pas travailler plus de cinq heures par semaine durant ses études, voire pas du tout », estime Annie Harvey. Même raisonnement si ce dernier pratique un sport de compétition.
Un bon truc pour trouver le juste équilibre : inscrire à l’agenda les heures de cours et celles liées au travail afin de visualiser le temps occupé dans la semaine du jeune, qu’il soit au secondaire, au cégep ou à l’université. Le transport pour le boulot et l’école doit également être noté, tout comme les plages horaires pour étudier, faire les travaux d’équipe et préparer les examens de fin de session. Sans oublier le sport et les loisirs. « Et on rappelle, si nécessaire, que l’autobus n’est pas un endroit adéquat pour étudier ! » dit Annie Harvey.
Certains signaux devraient nous alerter. Notre enfant étudie-t-il régulièrement la nuit pour compenser un horaire trop chargé ? Son attention et ses notes à l’école risquent d’en souffrir. Idem si notre ado peine à se lever le matin, qu’il saute des repas, devient irritable ou anxieux. « Dans tous ces cas, une discussion franche et constructive s’impose. On cherche des solutions afin de prioriser à nouveau les études », suggère la porte-parole d’Alloprof.
Certains adolescents travaillent pour payer leurs études postsecondaires ou s’affranchir de l’autorité parentale. À nous de leur rappeler que l’ultime indépendance viendra avec l’obtention d’un diplôme et, surtout, le choix plus tard d’un boulot valorisant et, oui, plus lucratif. Au besoin, cette statistique-choc peut les faire réfléchir : au cours de sa carrière, une personne qui a achevé ses études secondaires gagnera environ 500 000 dollars de plus que si elle ne les avait pas terminées, selon les calculs de l’économiste et collaborateur à L’actualité Pierre Fortin, mis à jour en 2019 par le cabinet-conseil Aviseo.
Les entreprises ont un rôle à jouer dans la réussite éducative des jeunes. Bien des patrons ont d’ailleurs compris que les encourager à obtenir leur diplôme est la meilleure façon de régler le problème de rareté de la main-d’œuvre qualifiée ! Certains, par exemple, font partie du mouvement québécois Employeurs engagés pour la réussite éducative ou affichent publiquement leur ouverture aux étudiants en permettant une flexibilité d’horaire. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, on décerne même le titre d’Ambassadeur de la persévérance scolaire aux employeurs les plus méritants. Mentionner ces éléments à notre enfant peut l’inciter à envoyer son CV à un employeur qui respecte la conciliation travail-études en faisant des gestes concrets.
L’entrevue d’embauche est une belle occasion de poser des questions : les heures supplémentaires sont-elles limitées ? Consulte-t-on les employés avant de faire les horaires, ou encore le travail de nuit est-il exclu ? Les employés de 16 ans et moins bénéficient de certaines protections en vertu de la Loi sur les normes du travail. Ils ne peuvent travailler pendant les heures de classe et leur horaire doit leur permettre d’être à la maison de 23 h à 6 h, à quelques exceptions près — comme être moniteur dans un camp de vacances ou garder des enfants. L’employeur doit obtenir le consentement écrit du parent si le jeune a moins de 14 ans.
Pourquoi ne pas profiter de cette pénurie de main-d’œuvre pour rappeler à nos ados qu’ils ont le gros bout du bâton ?
Ce texte vous a plu ? Recevez chaque samedi nos astuces pour faire de l’argent et économiser en vous inscrivant à l’infolettre Dollars et cents. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇