2020 : année de toutes les incertitudes

Pour notre collaborateur Jean-Martin Aussant, la crise sanitaire, sociale et politique que nous vivons devrait inciter les marchés à la prudence bien plus qu’à l’optimisme.

Jean-Martin Aussant (crédit : L'actualité)

Nous voici donc à mi-chemin de 2020, que l’on pourrait déjà qualifier  d’annus horribilis avec la pandémie et ses conséquences sanitaires, sociales et économiques que l’on analysera encore longtemps. La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir, dit le proverbe. Tenter de prédire ce que feront les marchés financiers dans la deuxième moitié de l’année tient de l’impossible et, dans le contexte que l’on connaît, un mot devrait s’imposer plus que tout autre : prudence.

Si l’audace peut parfois être la seule forme de prudence convenable, pour paraphraser René Lévesque, l’incertitude omniprésente actuelle donne envie d’inverser la formule de ce dernier. La prudence pourrait bien être la seule forme d’audace convenable face à l’euphorie boursière récente. Il ne s’agit absolument pas d’être pessimiste ou sans espoir pour la suite, mais simplement de regarder les faits bien en face :

  • Selon plusieurs analystes, les valorisations boursières étaient déjà trop élevées historiquement, et ce, bien avant l’arrivée de la pandémie.
  • Le coronavirus a partout forcé les États à fermer volontairement de grands pans de leur économie. On en découvre encore les contrecoups.
  • Les gouvernements ont rapidement mis en place des mesures d’aide accompagnées de montants records (pensons entre autres à la Prestation canadienne d’urgence, à la subvention salariale d’urgence et au programme d’aide d’urgence pour le loyer commercial). Les diverses mesures représentent globalement des milliers de milliards en fonds publics pour soutenir les entreprises et les millions de nouveaux chômeurs. Les fonds publics, c’est nous. Il faudra un jour rembourser collectivement ces emprunts.
  • Pendant ce temps, les places boursières ont connu tour à tour un sommet historique, suivi de l’une des chutes majeures les plus rapides, puis d’un rebond spectaculaire totalement déconnecté de la réalité économique (nous y reviendrons dans un autre billet).

La première moitié de l’année a aussi donné lieu à un événement inédit lorsque le prix du pétrole est descendu en territoire négatif sur le marché des contrats à terme à la fin avril. Vous avez bien compris : on payait pour se débarrasser de barils de pétrole ! (Mais hélas, on ne nous payait pas pour faire le plein.) Autre phénomène inusité, les autorités monétaires ont tellement baissé les taux d’intérêt pour tenter de redémarrer l’activité économique qu’ils sont maintenant négatifs au Japon et en Europe (ils flirtent sérieusement avec cette zone chez nous). Cette volonté des banques centrales d’établir des taux sous zéro vise à relancer les investissements, puisqu’un taux négatif signifie qu’il faut payer pour déposer des fonds. L’efficacité d’une telle mesure ne fait pas encore consensus chez les économistes.

Et nous voici maintenant de retour à des valorisations historiquement très élevées pour la plupart des places boursières en regard de la rentabilité escomptée des entreprises cotées. Tout cela arrive au moment où l’incertitude reliée au coronavirus est encore bien présente. L’indice de volatilité VIX, qui mesure en quelque sorte l’incertitude perçue par les marchés, a atteint des sommets inédits au pire de la crise et se maintient encore aujourd’hui au double de ce qu’il était avant la pandémie.

Une question de confiance

De nombreux économistes s’entendent pour dire que c’est la confiance des consommateurs qui sera la pièce maîtresse de toute reprise économique durable. Or, comment retrouver une tranquillité d’esprit quand la pandémie s’accélère aux États-Unis et dans plusieurs autres pays, faisant craindre une deuxième fermeture des économies ?

Par le passé, il a fallu en moyenne deux ans pour récupérer pleinement les pertes subies dans les 10 derniers contextes de marché baissier (un bear market en jargon financier). Plus près de nous dans le temps, la reprise faisant suite à l’éclatement de la bulle technologique aura duré 53 mois, et la crise financière de 2008 aura nécessité 47 mois pour revenir au niveau d’avant-crise. Dans cette optique, ne serait-il pas pour le moins étonnant que le présent épisode arrive à effacer durablement toutes les pertes en l’espace de quelques semaines malgré le niveau d’incertitude sans précédent que génère la composante sanitaire d’un virus encore incontrôlé ? La recherche pour un vaccin se mène à un rythme effréné, mais les principales percées ne sont pas encore concluantes.

Sur le plan gouvernemental, les aides massives finiront par s’interrompre, précarisant ainsi des milliers de ménages qui jouissent actuellement de revenus artificiellement gonflés. Quant au leadership politique mondial nécessaire pour gérer une crise qui aurait grand besoin de collaboration et de coordination, il n’a rien pour nous faire jubiler, avec les trois grands leaders actuels. Aux États-Unis, The Donald polarisera autant qu’il le pourra l’opinion à des fins électorales; en Chine, le parti unique confirme au monde entier qu’une dictature ne pourra jamais être un bon partenaire; et en Russie, Poutine se dote en pratique d’une présidence tsarienne à vie.

Tous ces facteurs devraient au minimum modérer l’enthousiasme des plus optimistes d’entre nous quant à la suite des choses sur le plan économique et, par ricochet, sur le plan de l’investissement dans des actifs plus risqués. Pour être justifiées, les évaluations boursières actuelles auraient besoin d’une reprise économique rapide et soutenue. On ne la voit pas poindre pour l’instant.

Au cœur d’une incertitude encore omniprésente, la prudence demeure donc bel et bien la meilleure audace face à la tentation universelle du fameux FOMO (fear of missing out), cette peur de manquer le train de la hausse boursière (nous y reviendrons aussi dans un autre billet).

Joindre la bulle de l’euphorie ou attendre que le ciel s’éclaircisse de nouveau ? C’était quoi son autre formule déjà ? « À la prochaine fois ! »

Les commentaires sont fermés.

Article très intéressant, vous avez une vision globale facile à comprendre et je retiens, prudence! Vos citations sont très drôles et pertinentes. J’attends la suite. Merci M. Aussant

Merci pour votre article. Enfin un propos réaliste et pertinent qui ne jette pas de la poudre aux yeux . La prudence est de mise pour tous, espérons que les politiciens le retiendront.

Bon article. J’ai aimé vos expressions genre Thé Donald et présidence starienne. J’ai hâte de vous lire sur le FOMO.
Merci.

Le Japon a plutôt bien survecu à la deflation …

Taux d’intéret près de Zéro quand nous considerons l’endettement du boomer moyen … Un baume qui compense le perte de rendement sur les capitaux qu’il n’ont de toute façon pas investis ?

May you live in interesting time disait l’autre …

Sur l’échelle globale j’avoue que la Pandemie est loin d’avoir finie de faire mal … Et encore une fois ce sont ceux qui ont le moins qui paieront le plus les choix économique des pays riches …imprimer des dollars ne fera pas seulement mal au economie Canadienne et Américaine …

Soyons positif ! Tout va bien allez si on porte un masque partout et en tout temps ! 😉