Entrepreneuriat: où sont les femmes?

Année après année, seule une poignée de femmes figurent dans le palmarès de L’actualité des entreprises à plus forte croissance du Québec. Mais où sont donc les entrepreneures?

Photos: Jean-François Leblanc/Agence Stock Photos; Denis Beaumont/La Presse Canadienne; Christian Blais; Maude Chauvin

Cet article est paru en 2015… et son contenu est toujours aussi d’actualité.

Le palmarès des Leaders de la croissance de L’actualité, un classement des 20 PME québécoises qui connaissent l’expansion la plus spectaculaire, met en vedette presque exclusivement des hommes, année après année. La créatrice de bijoux Caroline Néron s’est déjà hissée en première place, en 2013. Mais en 2015, une seule femme a figuré dans le top 20. Une.

Cette absence n’est pas passée inaperçue, ni dans l’équipe de rédaction du magazine ni parmi nos lecteurs. Le cas s’est même retrouvé à la une de Décider entre hommes : cet observatoire répertorie avec humour, sur ses pages Facebook et Twitter, de nombreux exemples de listes, groupes d’experts et autres lieux de pouvoir où les femmes sont minoritaires, voire inexistantes. « Mon objectif est de cultiver cette conscientisation pour qu’un jour, dans les salles de rédaction, parmi nos élus et nos décideurs, on acquière le réflexe de remarquer l’invisibilité des femmes et de dire non, ce n’est pas normal », m’explique Marie-Ève Maillé, responsable de cette savoureuse initiative lancée en août dernier, et professeure associée à l’UQAM.

En octobre, elle épinglait L’actualité avec ce commentaire : « Sachons-le, les Leaders de la croissance, selon L’actualité, ne sont pas des femmes. Ben coudon. » Touché.

L’actualité publie un tel palmarès depuis une vingtaine d’années, en collaboration avec le magazine anglo-canadien Profit (également propriété de Rogers). Ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui posent leur candidature, puis le classement est établi en fonction d’un critère objectif, la croissance de leur chiffre d’affaires au cours des cinq dernières années. Profit détermine les 500 meneurs au pays ; de ce nombre, L’actualité retient les entreprises québécoises — il y en avait 60 cette année — et prend les 20 meilleures pour former son propre palmarès des Leaders de la croissance.

Cette année, seules 5 PME québécoises sur les 60 en lice avaient une femme comme présidente ou fondatrice, dont une s’est qualifiée parmi les 20 premières : l’organisateur d’activités promotionnelles Promo-Staff s’est classé au 14e rang ; le cabinet d’avocats Delegatus, au 22e ; le distributeur de produits robotiques RobotShop, en 39e place ; le fabricant de vitrines réfrigérées MTL Technologies est arrivé 48e ; et AFI Expertise, un centre de formation en technologies, bureautique et gestion, 50e.

Ce palmarès masculin à 95 % est le reflet d’une réalité plus profonde : malgré les bonds de géant accomplis ces dernières décennies, rares sont les femmes qui osent se lancer dans les affaires. Et celles qui le font doivent affronter des obstacles encore plus redoutables que ceux qui attendent les hommes.

Seulement 16 % des PME canadiennes appartiennent majoritairement à des femmes, et ces PME font montre, dans l’ensemble, d’une croissance plus lente que celles appartenant à des hommes. C’est notamment le manque de ressources financières qui est en cause. Selon de récents rapports d’organismes publics et de la Banque Royale du Canada, les entrepreneures ont plus difficilement accès au crédit et aux capitaux que leurs homologues masculins, problème qui constitue un frein majeur à l’expansion de leurs entreprises.

Dans un portrait de l’entrepreneuriat féminin publié en 2010 par le ministère canadien de l’Industrie, on apprend que les femmes chefs d’entreprise se voient plus souvent refuser un prêt que les hommes. (En 2007, le taux d’approbation pour du financement par cartes ou marges de crédit, par exemple, était de 77 % pour les PME appartenant à des femmes, con­tre 94 % pour celles appartenant à des hommes.) Dans le cadre de leur demande de prêt, elles doi­vent aussi fournir une documentation plus complète que ce qu’on exige de leurs confrères. Et les sommes qu’elles obtiennent sont beaucoup plus modestes : en 2007, le prêt moyen accordé aux PME des femmes était presque 2,5 fois plus faible que celui consenti aux PME des hommes.

Ce déséquilibre a quelque chose à voir avec le type d’entreprise que les femmes choisissent de créer. Leurs PME sont en général plus petites que celles des hommes (elles comptent moins d’employés et possèdent un actif moins important) et elles sont concentrées dans des secteurs à plus haut risque, comme le commerce de gros et de détail, les services professionnels, les soins de santé, les arts et le divertissement, le tourisme, l’hébergement et l’alimentation. Ces caractéristiques expliquent en partie pourquoi les institutions financières se montrent plus pingres à leur égard.

Mais les entrepreneures subis­sent aussi de la discrimination sur la seule base de leur sexe. C’est ce qu’indiquent de récents travaux universitaires sur les jeunes entreprises innovantes, communément appelées start-ups : celles qui sont dirigées par des femmes sont moins sus­ceptibles d’attirer des investisseurs… juste parce que ce sont des femmes !

Alison Wood Brooks, professeure à la Harvard Business School, et ses collègues ont publié une étude fort révélatrice à ce sujet dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, en mars 2014. Les chercheuses ont d’abord remarqué que dans les concours d’entrepreneuriat, aux États-Unis — des activités publiques où des entrepreneurs ont cinq minutes pour convaincre des investisseurs d’injecter des fonds dans leur projet —, les concurrents masculins ont 60 % plus de chances d’obtenir du financement que les concurrentes féminines. Mais comment savoir si les hommes qui participent à ces compétitions ne sont pas tout simplement plus qualifiés, et leurs propositions objectivement plus intéressantes ?

Pour en avoir le cœur net, les auteures ont conçu une ingénieuse expérience. Elles ont montré à des volontaires la vidéo d’une présentation d’affaires, où l’on voyait défiler des images tandis que l’entrepreneur décrivait son projet en voix hors champ, sans toutefois se montrer. Tous les participants ont vu les mêmes images et entendu le même texte, à un détail près : dans certains cas, la vidéo était narrée par une voix d’homme, dans d’autres, par une voix de femme. Résultat : les sujets se sont dits plus désireux d’investir lorsque le projet était présenté par une voix masculine que lorsque le projet (le même !) était narré par une voix féminine. Et ils trouvaient la proposition plus « persuasive », « factuelle » et « logique » si c’était un homme qui parlait plutôt qu’une femme.

À toutes ces embûches sur la route des entrepreneures, ajoutons le défi de concilier leurs responsabilités familiales avec le dévouement total qu’exige le démarrage d’une entreprise ; le manque de réseaux d’entraide ; la rareté des mentors. Et la pénurie de modèles inspirants, notamment dans les médias, qui pourraient faire naître les vocations. « Les jeunes femmes se reconnaîtront davantage dans des femmes d’affaires qui ont réussi que dans des hommes, dit Marie-Ève Maillé, de Décider entre hommes. Ça peut contribuer à éveiller des carrières naissantes. Il faut permettre aux gens de s’imaginer devenir des Leaders de la croissance. »

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Une entreprise à forte croissance force certainement l’admiration. À quand un palmarès d’entreprises les plus « durables »? Est-ce que les femmes se retrouvent moins dans cette notion de profit à tout prix? Je suis une femme et je dirige un centre de recherche qui a connu une croissance de 450% en cinq ans. Je pense bien faire mon travail mais mon objectif est plutôt l’utilité des produits et services pour mes clients et la durabilité de mon organisme plutôt que l’accent sur le profit.

Excellente suggestion! Je suis de plus en plus persuadée que la croissance à tout prix, glorifiée par des palmarès comme celui ci, est en fait néfaste pour la société en général, et pour l’environnement encore plus. Un palmarès des entreprises les plus stables serait certainement très instructif!

Comme vous le dites si bien, démarrer une entreprise demande beaucoup d’heures à y consacrer. Qui peut s’occuper des enfants durant ce temps ? Le conjoint ? C’est vrai dans le cas des hommes, pas dans le cas des femmes, à mon avis. Ou alors, il faut choisir de ne pas avoir d’enfants, si on est une femme.

Tiens L’actualité recycle en repassant ses vieux articles comme le font Radio-Canada, RDI, ARTV de nombreuses de ses émissions qui ont déjà été diffusées et rediffusées et re-rediffusées et en plus ils les diffusent et rediffusent et re-rediffusent encore et encore sur une des ses chaînes ce qui à la première diffusion était diffusé que sur une chaîne n’en ayant qu’une. Ces derniers en plus changent souvent les dates de productions, et je n’en serais pas surpris reçoivent des subventions quelconques comme si c’était une nouvelle émission.
À votre crédit vous nous prévenez que c’est le même article qui a déjà été publié en 2015.
Malgré cela, vous précisez: « et son contenu est toujours aussi d’actualité. ».
Dans l’ensemble peut-être mais encore ça resterait à vérifier!
Qui le fera?
Il faut vous croire sur parole.
Sauf que ce qui saute aux yeux d’un seul coup d’oeil, c’est: « La créatrice de bijoux Caroline Néron s’est déjà hissée en première place, en 2013. » que vous mentionnez très tôt dans votre article, dans les faits dans le premier paragraphe et qui plus est, elle est la seule que vous montrez en exemple.
Le problème c’est que comme vous dites: « et son contenu est toujours aussi d’actualité. » déjà au premier paragraphe vous citez en exemple positive un évènement qui a été positif mais d’une femme dont on ne sait plus si elle doit toujours encore être montrée en exemple et déjà là me questionne sur la pertinence du reste de votre article. Et puis il est certain que son actualité juste comme femme d’affaires n’est plus ce qu’il était et n’est donc pas d’actualité, c’est certain! Et on peut se poser la question suivante, à savoir si son histoire de ce qu’on en connait maintenant et des questionnements qu’elle soulève lui aurait méritée ses louanges dont elle a bénéficié et ce prix?
Recycler des articles ou des émissions sans en faire un rafraîchissement est souvent hasardeux… Ici déjà à cause de ce seul point que je souligne soulève des questions, mais il y en aurait d’autres.
Et donc que faut-il penser de L’actualité?
Pour ma part j’affirme que L’actualité, le magazine, comme d’autres n’est plus ce qu’elle était. C’est peut-être que tout simplement qu’avant j’avais moins de temps pour m’attarder sur ce qui me titillait?
Je ne voudrais tellement pas être de ses ti-vieux qui dit dans mon temps tout était tellement mieux.
Je ne voudrais pas un retour dans le temps, dans mon temps, dans le fond qui n’existe pas et n’a jamais existé, tout compte fait, trop de possibilités sont offertes aujourd’hui pour le rêver ce retour.
Mais la rigueur est importante et l’a toujours été mais pas souvent véritablement présente avant ou maintenant lorsqu’on est vigilant un tant soit peu, et affirmer: « et son contenu est toujours aussi d’actualité. » manque ici de rigueur!
On peut faire mieux!

Je travaille auprès des entrepreneurs et particulièrement auprès des entrepreneures depuis plusieurs années et malheureusement votre article soulève une vraie problématique d’accès au financement aux femmes entrepreneures . C’est l’elephant dans la pièce . Tout le monde dit appuyé les femmes entrepreneures mais sur le net les chiffres réels ne bougent que très peu . C’est en grande partie dû à la quasi absence de capital de démarrage dans les secteurs dits «  mou «  tel que le commerce de détails , les services aux personnes et aux entreprises , secteurs où se retrouvent la majorité des femmes entrepreneures . On cherche à inciter les femmes à lancer ou reprendre des entreprises en technologie ou dans le secteurs manufacturiers là où à la base le financement ne manque pas . Alors il n’y a rien d’etonnant à ce que l’on rate la cible à chaque fois .