Quatre questions se posent au sujet de la prochaine récession au Canada : 1) y en aura-t-il une ? ; 2) quand surviendra-t-elle ? ; 3) d’où proviendra-t-elle ? ; 4) comment pourrons-nous en sortir ?
Oui, il y en aura une. Il y en a toujours eu. Mais on ne sait pas quand. Nos quatre dernières récessions ont eu lieu en 1980, 1982, 1992 et 2009. L’écart entre une récession et la suivante a varié de 2 à 17 ans. Difficile aussi de prévoir d’où la prochaine surgira : de l’éclatement d’une bulle immobilière, d’un nouveau dérapage des marchés financiers américains, des retombées du Brexit en Europe, d’une guerre commerciale mondiale ou d’un écrasement soudain de l’économie chinoise ?
Mais comment nous sera-t-il possible d’en sortir ? Nous disposons de deux grands moyens d’intervention : la politique monétaire et la politique budgétaire. Du côté monétaire, la Banque du Canada peut ressusciter l’emploi si elle fait diminuer les taux d’intérêt suffisamment pour relancer la dépense. Du côté budgétaire, Ottawa et les provinces peuvent activer la reprise en accélérant leurs dépenses (par exemple, en infrastructures) ou en réduisant leurs impôts (par exemple, la TPS et la TVQ) pendant quelque temps.
Des doutes étaient parfois émis au sujet de la capacité de la politique budgétaire de combattre une récession. Mais ils ont été effacés par les nombreux travaux de recherche, y compris ceux du Fonds monétaire international, qui ont récemment mis en lumière le rôle déterminant joué par les budgets gouvernementaux à l’issue de la récession de 2009. Les pays qui ont opté pour l’expansion budgétaire, comme le Japon, la Suède et l’Allemagne, s’en sont tirés prestement. Ceux qui sont restés englués dans l’austérité, comme la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne, ont mis beaucoup plus de temps à remonter la côte.
S’il veut combattre efficacement la prochaine récession, le Canada devra résoudre deux difficultés. La première est que la marge de manœuvre dont la Banque du Canada va disposer pour abaisser les taux d’intérêt et relancer l’économie sera très étroite. Le graphique montre que son taux d’intérêt directeur n’a pas cessé de diminuer depuis 1992. Il avoisine présentement 1,7 %. On prévoit généralement qu’il restera proche du plancher de 0 % encore très longtemps. Or, dans les six récessions précédentes, la Banque a dû réduire son taux d’intérêt directeur en moyenne de 7,5 points de pourcentage pour ranimer l’économie. Il serait donc présomptueux de croire qu’une latitude de 1,7 point (voire un peu plus) suffira pour enclencher une reprise digne de ce nom.
Si la politique monétaire ne suffit pas, est-ce que la politique budgétaire d’Ottawa et des provinces pourra compenser et sortir le pays de la récession ? Pas sûr. C’est là que la seconde difficulté apparaît. Pour que la croissance économique redémarre, il faudrait que les gouvernements absorbent des déficits budgétaires appréciables pendant quelque temps. Mais une telle situation est peu probable, pour deux raisons.

D’une part, plutôt que de réfléchir à la question budgétaire avec intelligence et pragmatisme, comme l’ont fait, par exemple, les ministres des Finances du Québec Monique Jérôme-Forget et Raymond Bachand en 2009 et après, bon nombre d’élus à Ottawa et dans les provinces réagissent de façon quasi hystérique à la moindre mention du mot « déficit ». Ils pourraient vouloir éliminer sans délai les déficits engendrés par la baisse de leurs revenus fiscaux pendant la récession. Le problème ici est que réduire les dépenses et opter pour l’austérité creuserait davantage la récession plutôt que de l’éliminer.
D’autre part, il y a danger que la politique budgétaire d’Ottawa et celle des provinces s’annulent mutuellement. Pour que la politique budgétaire sorte le pays de la récession, il faudrait éviter qu’un palier de gouvernement choisisse l’austérité en même temps que l’autre opterait pour l’expansion. La coordination des deux paliers en faveur de l’expansion sera essentielle.
Bref, contrairement au passé, la Banque du Canada ne disposera fort probablement pas de la marge de manœuvre lui permettant de réduire les taux d’intérêt suffisamment pour sortir l’économie de la prochaine récession. Elle aura absolument besoin de l’appui d’une politique budgétaire pragmatique et bien coordonnée qui acceptera d’être expansionniste pendant quelque temps plutôt que d’être aveuglément opposée à tout déficit. Cet élément est fondamental pour l’avenir de l’économie et de l’emploi au Canada. Et au Québec, bien sûr.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de novembre 2019 de L’actualité.
Monsieur le professeur Fortin, fait référence à la crise de 2008 et la récession qui en a suivi. Il remarque que les pays qui ont opté pour l’expansion budgétaire s’en sont sortis mieux que les autres et mentionne que ceux qui sont restés englués dans l’austérité ont mis beaucoup de temps à remonter la côte. Il prend en référence : la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne.
Ce que monsieur Fortin ne mentionne pas. C’est que ces pays ne pouvaient pas se permettre une politique d’expansion budgétaire. C’est en premier lieu vrai pour la Grèce qui était mise sous tutelle par la troïka, à savoir : la Banque centrale européenne, la Commission européenne et le Fonds monétaire international. Même si le Portugal était en moins mauvaise posture que la Grèce, il faisait face à un ratio d’endettement dette/PIB trop élevé et était contraint par le FMI à adopter des mesures d’austérité.
L’Italie et l’Espagne qui avaient un taux d’endettement trop élevé et un déficit public supérieur aux normes de l’Union Européenne, n’avaient pas d’autre choix (au risque de sanctions) que de réduire leur déficit.
Un autre point non développé par monsieur Fortin, ce sont : les taux d’intérêts et intrinsèquement les cotes accordées à chaque pays par les agences de notation (on peut penser à Moody’s notamment), cette cote affecte considérablement la capacité d’emprunter à taux concurrentiels de plusieurs pays. Comme les taux d’emprunts sont composites : il y a le taux et la majoration du taux en fonction du risque.
Les experts estiment que lorsqu’un pays emprunte à un taux supérieur à 4%, cela compromet la capacité d’un pays à honorer ses engagements. Ce genre de problématiques sont très présentes encore actuellement dans plusieurs pays d’Amérique du sud. Il faut penser évidemment au Venezuela mais encore à l’Argentine qui maintenant embrasse une crise chronique de plusieurs décennies. Ces effets nocifs des taux de crédits élevés ou de l’impossibilité de trouver du financement ont des effets sur le taux d’inflation et peuvent conduire même à l’hyperinflation comme au Venezuela.
Heureusement avec son outrageuse cote AAA, le Canada peut se permettre d’emprunter sur les marchés aux meilleurs taux, le ratio dette/PIB est contrôlé en sorte qu’en cas de récession le gouvernement fédéral peut sans problème avoir recours au déficit pour maintenir les emplois dans la fonction publique (et toutes sortes d’emplois indirects) et conserver les services offerts à la population sans devoir augmenter l’impôt.
Cependant les bas taux directeurs de la Banque du Canada favorisent bien sûr la consommation, mais assez peu (faut-il le rappeler ?) l’épargne populaire. Or un pays peut très bien avoir recours à l’épargne populaire pour financer en partie ou en totalité son déficit public. Ce sont d’ailleurs ces voies privilégiées entre autre par le Japon et l’Allemagne qui permettent l’expansion budgétaire. Ainsi les Allemands et les Japonais achètent-ils la dette publique contre rémunération. Une voie également employée par Israël notamment.
Je finirai ces commentaires par un questionnement : Est-il vraiment utile d’avoir un déficit public lorsque les entrées financières de l’État sont suffisantes (voire excédentaires) à moins de vouloir financer de nouveaux programmes « absolument fondamentalement » essentiels comme de subventionner les campeurs pour aller camper dans les Parc nationaux…?