Des coupes au ministère de la Famille qui freinent l’envol des tout-petits

Pour réaliser des économies de quatre millions de dollars, la ministre de la Famille a annoncé qu’elle couperait dans les services préventifs en petite enfance. Voilà un exemple parfait de décision myope qui n’améliorera l’état de nos finances publiques qu’à très court terme, dit Alexis Gagné.

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Photo : Getty Images

Imaginez un bambin québécois de deux ans dont les deux parents sont des analphabètes fonctionnels — ce qui n’est pas si rare, considérant, selon certaines sources, que 49 % des adultes québécois ne savent pas lire adéquatement. Imaginez-le qui entre à une garderie dans son quartier défavorisé.
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Ses parents, qui ont une certaine peur des livres, ne lui ont jamais lu quoi que ce soit. On peut donc supposer que son niveau de langage ne soit pas le même que celui d’un autre enfant de son âge.

Pour réussir à rattraper son retard par rapport à un enfant de Ville Mont-Royal, par exemple, ce bambin aurait besoin des services d’un orthophoniste… des services que ses parents ne peuvent se permettre de lui offrir.

Voilà exactement le genre de services que la ministre de la Famille, Francine Charbonneau, a annoncé qu’elle couperait pour les jeunes qui fréquentent les garderies en milieu familial dans les quartiers défavorisés.

Pour réaliser des économies de quatre millions de dollars à l’intérieur de son budget, elle a décidé de circonscrire non seulement les chances de notre bambin fictif, mais aussi, plus réalistement, de milliers de véritables petits enfants âgés de zéro à cinq ans.

Cette coupure est l’exemple parfait d’une décision myope qui n’améliorera l’état de nos finances publiques qu’à très court terme.

Car, suivant notre exemple, qu’arrivera-t-il à notre petit ami trois ans plus tard, lorsqu’il entrera à l’école ? Il sera évidemment toujours en retard. Or, la recherche le démontre depuis longtemps : plus on attend, plus ce retard est difficile à rattraper.

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Source : James J Heckman, Skill Formation and the Economics of Investing in Disadvantaged Children, 2006 (traduit par Agir pour l’école)

Les deux ou trois heures par semaine, pendant un an, de services spécialisés dont il avait besoin à l’âge de deux ans sont devenues, à cinq ans, trois ou quatre heures par semaine pendant deux ans — et ce, s’il est chanceux (et s’il y a des livres à lire à son école). S’il n’est pas suffisamment chanceux, il ne recevra pas les services dont il a besoin. Son retard s’accumulera tout au long de son primaire et de son secondaire, et autour de 16 ans, il décrochera, étant lui-même un analphabète fonctionnel (comme ses parents).

Croyez-vous alors que l’État est gagnant à long terme dans l’un ou l’autre de ces scénarios ? Bien sûr que non ! Dans le meilleur des cas, le coût des services que l’enfant doit recevoir au primaire sera beaucoup plus élevé que celui des services dont il avait besoin à l’âge de deux ans. Les quatre millions épargnés aujourd’hui par la ministre de la Famille deviendront donc, dans quatre ans, dix millions de dépenses supplémentaires pour le ministère de l’Éducation.

Dans le deuxième scénario, l’État sacrifie un montant immense en impôts supplémentaires que représente un diplômé comparé à un décrocheur. De plus, la société n’a pas rempli ses obligations envers ce garçon, qui sera condamné à une vie beaucoup plus difficile, étant donné qu’il n’a pas eu les mêmes chances que les autres.

Personne n’en mourra, diront certains. Cela est malheureusement faux.

Dans une monographie publiée en 2010, une chercheuse de chez Eurostat a étudié l’espérance de vie selon le niveau d’éducation dans 13 pays de l’Union européenne. Elle a trouvé que la différence d’espérance de vie entre une personne sans diplôme universitaire et une autre qui détient un diplôme varie de 4 à 18 ans chez les hommes et de 1 à 10 ans chez les femmes.

Ainsi, dans plusieurs pays, une année supplémentaire d’éducation complétée équivaut à une année supplémentaire d’espérance de vie.

Je suis parfaitement d’accord avec l’idée qu’il faille couper dans les dépenses publiques, mais comme dans toute situation, on trouve de bonnes coupures, de moyennes coupures, de mauvaises coupures… et, tout au bas, les coupures dans les services préventifs en petite enfance.

Or, ces bambins avec des besoins particuliers — tout comme leurs parents surchargés et pauvres —, on ne les verra pas nécessairement manifester dans la rue…

* * *

Alexis Gagné est analyste stratégique à la Fondation Chagnon, qui vise à prévenir la pauvreté en misant sur la réussite éducative des enfants du Québec. Les opinions exprimées ici sont purement les siennes.

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Une autre mauvaise nouvelle! Suite à ma lecture de l’article «Des coupes au ministère de la Famille qui freinent l’envol des tout-petits» par Alexis Gagné, je dois dire que suis fortement en accord avec l’opinion qu’elle traite. On coupe sur des problèmes fondamentaux qui sont directement liés au futur des générations grandissantes. Il est dommage de voir que les enfants qui grandissent dans des quartiers défavorisés au Québec, devront surmonter davantage d’épreuves à cause d’une mauvaise décision de la part de la ministre de la famille. Étudiant moi-même dans le domaine des CPE, éducatrice en service à l’enfance, c’est très désolant d’apprendre une nouvelle comme celle-ci. Le développement global des enfants devraient être dans les priorités de la ministre puisque c’est l’avenir de nos enfants qui est en jeu. L’aide apporté aux enfants dans le besoin minimisait au bout de la ligne, à des décrochages scolaires. L’auteur de l’article démontre bien par des statistiques que le problème touche beaucoup plus de gens que l’on pourrait imaginer… 49% des Québécois ne savent pas lire adéquatement… où devrait être nos priorités?

Je suis tout a fait d’ accord avec M. Gagné. J’ai eu une petite entreprise par le passé, et certains ouvriers, qui étaient très intelligents soit dit en passant, avaient une gêne face aux difficultés à remplir certains rapports, certains, non sans honte,demandaient l’aide de la secrétaire. Imaginer vivre toute une vie avec cette difficulté. Je suis certain que la ministre ne prend pas ces décisions seule sans conseiller
. Je trouve dommage que mes impôts et mes taxes servent à payer des gens si peu compétents. Dommage, je ne peut rien y faire, seulement rêver que dans les années qui viennent cela va changer. Certain vont me dire: Tu peux toujours rêver.