Le bitcoin et la technologie qui a permis sa création — la chaîne de blocs — ont été inventés en 2009 par Satoshi Nakamoto, un Japonais de 43 ans. Du moins, c’est le pseudonyme de la personne ou du groupe derrière ces avancées révolutionnaires. Satoshi Nakamoto s’est impliqué dans la mise au point du bitcoin jusqu’en décembre 2010, puis a disparu du Web sans laisser de traces. De multiples médias ont depuis tenté de découvrir sa véritable identité, et une poignée de noms ont circulé — dont celui d’Elon Musk, fondateur de Tesla —, mais le mystère persiste.
Une chose est toutefois certaine : Satoshi Nakamoto est, sur le papier, extrêmement riche. Il possède près d’un million de bitcoins, dont la valeur dépasse 7 milliards de dollars au moment d’écrire ces lignes. Aucun n’a été vendu ou utilisé depuis le départ de leur créateur.
Les principales cryptomonnaies
Bitcoin // 163 milliards
Malgré une concurrence croissante, le bitcoin demeure, et de loin, la principale cryptomonnaie. Il est même accepté dans des commerces ayant pignon sur rue.
Ether // 51,8 milliards
Cette cryptomonnaie permet aux développeurs de créer des applications basées sur Ethereum, une chaîne de blocs programmable. (Oui, c’est compliqué.)
Ripple // 27 milliards
Le ripple a été créé en 2012 pour faciliter les paiements interbancaires… mais n’a jamais été adopté par les banques. Cela n’a pas empêché son cours de flamber en 2017.
Bitcoin cash // 16 milliards
Une fourche a été formée dans la chaîne de blocs du bitcoin en 2017 pour créer le bitcoin cash. Tous ceux qui possédaient alors un bitcoin ont obtenu un bitcoin cash.
Litecoin // 8,7 milliards
Grâce à sa capacité d’exécuter plus de transactions par seconde que le bitcoin, le litecoin a récemment gagné en popularité sur les marchés noirs du Web invisible — l’un des rares endroits où les cryptomonnaies servent à acheter des biens et services plutôt qu’à spéculer.
Les causes de la fièvre
La fièvre des cryptomonnaies est en bonne partie causée par un nouveau mode de financement utilisé par les jeunes pousses : l’initial Coin Offering, ou « première émission de cryptomonnaie » (PEC). Une PEC s’apparente à une campagne de financement participatif, à la différence que les contributeurs sont récompensés au moyen d’une nouvelle cryptomonnaie, qui prendra ensuite de la valeur… ou pas. Selon le site ICOdata, plus de 7,6 milliards de dollars ont été récoltés au cours de 885 PEC en 2017. Dans 11 cas, des jeunes pousses ont recueilli plus 100 millions de dollars, parfois en quelques heures seulement.
Depuis l’été 2017, l’Autorité des marchés financiers considère les PEC comme des offres en valeurs mobilières, au même titre que l’émission d’actions ou d’obligations. Les entreprises québécoises qui lancent une PEC sans effectuer les démarches légales nécessaires s’exposent donc à des poursuites.
2,56 millions
Nombre de bitcoins perdus — soit 15 % de tous ceux mis en circulation depuis 2009 —, parce que leurs propriétaires ont oublié leur existence… ou le code pour y accéder. Hélas, avec les cryptomonnaies, il n’existe pas d’option « mot de passe oublié ».
359 milliards
Valeur totale des quelque 1 600 cryptomonnaies créées à ce jour.
Une monnaie qui frappe
« Sur le coup, ils ont paniqué. »
Voilà comment l’entrepreneur montréalais Paul Allard résume sa présentation à l’Autorité des marchés financiers, en février 2017. Au fil des rencontres, les arguments du PDG de 53 ans ont rassuré l’organisme, si bien que l’impak coin est aujourd’hui la seule cryptomonnaie dont la PEC a obtenu l’aval de l’AMF.
L’impak coin a été conçu pour l’achat de biens et services dans des entreprises qui appliquent des valeurs sociales et environnementales — pensez commerce équitable ou produits biologiques. « L’objectif est de stimuler l’économie d’impact, de mettre la finance au service de la société », explique Paul Allard.
Le concept a charmé plus de 2 200 investisseurs, qui ont versé 1,4 million de dollars en échange de 1,7 million d’impak coins au cours d’une PEC, l’été dernier. Cette cryptomonnaie sera officiellement lancée à Montréal et à Paris en septembre 2018. Si l’engouement est au rendez-vous, ce sera ensuite au tour de Toronto, New York et Londres.
Contrairement au bitcoin, dont le cours peut varier de plus de 10 % en une journée, l’impak coin a été conçu pour être stable : c’est un comité indépendant élu par les utilisateurs qui en déterminera la valeur tous les trois mois. Paul Allard espère que ce mécanisme mettra l’impak coin à l’abri de la spéculation et incitera les gens à l’utiliser plutôt qu’à l’accumuler.
Des bitcoins dans votre REER
Fini la cravate et la chemise pour Fred Pye. Sous son veston, ce vieux routier de la finance porte désormais un t-shirt arborant le logo du bitcoin. Même lors de ses rendez-vous d’affaires pour son entreprise, la torontoise 3iQ, qui a lancé cet hiver le premier fonds de placement canadien en cryptomonnaies.
Dans ce fonds commun, qui a obtenu l’aval des Autorités canadiennes en valeurs mobilières, les actions et les obligations sont remplacées par des bitcoins, des ethers et des litecoins, trois cryptomonnaies bien établies. « Les gens ne peuvent pas passer à côté de cette classe d’actifs, assure Fred Pye. C’est Internet sur les stéroïdes ! »
Le produit est toutefois réservé aux institutions et aux investisseurs qualifiés — c’est-à-dire fortunés. Pour le commun des mortels, 3iQ compte créer des fonds admissibles au REER et au CELI plus tard en 2018. « Ce sera beaucoup plus sûr que d’acheter des cryptomonnaies sur le Web », souligne le PDG. Mais le risque financier, lui, demeurera extrêmement élevé.
Et si la bulle éclatait ?
Même si la valeur du bitcoin — comme celle de la plupart des cryptomonnaies — a dégringolé depuis décembre dernier, étant passée de 20 000 à 7 500 dollars américains, la spéculation continue de faire rage. Aux États-Unis, des gens ont même hypothéqué leur maison pour acquérir des bitcoins !
La folie est telle que la plupart des experts ne se demandent pas s’il s’agit d’une bulle, mais plutôt quand elle éclatera. Heureusement, les cryptomonnaies sont déconnectées de l’économie réelle. Un effondrement de leur valeur toucherait essentiellement ceux qui y ont mis de l’argent.
L’arnaque québécoise de 15 millions de dollars américains
Un couple de Québec est devant les tribunaux, au Québec et aux États-Unis, pour avoir créé et vendu une cryptomonnaie, le plexcoin, en la présentant comme un investissement.
Juin 2017
Dominic Lacroix annonce une première émission de cryptomonnaie (PEC) pour le plexcoin, promettant des rendements allant jusqu’à 1 354 % en 29 jours.
20 juillet 2017
L’Autorité des marchés financiers (AMF) obtient une ordonnance obligeant Dominic Lacroix à cesser toute sollicitation liée au plexcoin, car cela contrevient à la Loi sur les valeurs mobilières.
7 août 2017
La PEC du plexcoin est lancée partout dans le monde, sauf au Québec, au prix de 0,13 $ US l’unité.
Septembre 2017
La conjointe de Dominic Lacroix aurait utilisé près de 130 000 dollars de la PEC pour payer des rénovations dans la résidence familiale. L’AMF obtient le gel des actifs canadiens du couple.
Octobre 2017
Fin de la PEC. Selon les estimations des autorités américaines, 15 millions de dollars américains ont été récoltés et 81 millions de plexcoins ont été émis.
Novembre 2017
Début des transactions sur des sites d’échanges, où le plexcoin bondit de 0,13 $ US à 0,80 $ US, puis dégringole à moins de 0,05 $ US — une fluctuation normale pour une cryptomonnaie.
4 décembre 2017
La Securities and Exchange Commission, aux États-Unis, obtient le gel des actifs américains du couple et intente des actions judiciaires pour obtenir le remboursement des participants de la PEC.
8 décembre 2017
Dominic Lacroix est condamné à deux mois de prison et 10 000 dollars d’amende. Le jugement a été porté en appel. Dominic Lacroix se dit innocent, affirmant que l’AMF n’a pas l’autorité nécessaire pour réglementer les cryptomonnaies. Le fond de la cause sera débattu plus tard en 2018.
Février 2018
À cause de la chaîne de blocs, personne, pas même ses créateurs, ne peut arrêter le plexcoin. Il se négocie toujours sur certains sites, où sa valeur est d’environ 0,03 $ US.
Conseil de l’AMF: « Faites preuve de prudence lorsque vous négociez ou effectuez des transactions avec une cryptomonnaie. Vous vous exposez à des pertes potentielles. »
À toutes les sauces
Partout sur la planète, entreprises, geeks et États veulent tirer parti des possibilités de la chaîne de blocs et l’appliquent à tout et à n’importe quoi. Voici quelques exemples.
A +
- Golem: Ce réseau mondial d’ordinateurs, auquel quiconque pourra ajouter son propre appareil, sera bientôt loué à des entreprises désireuses d’effectuer des opérations informatiques nécessitant une grande puissance de calcul, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Les participants seront récompensés en cryptomonnaies.
- Fizzi : Une assurance pour les retards d’avion offerte par la multinationale française AXA. Grâce à la chaîne de blocs, l’indemnité est versée automatiquement dès qu’un vol a plus de deux heures de retard, quelle que soit la cause. Fini les réclamations et les exceptions.
- Provenance : Comme son nom l’indique, cette chaîne de blocs permet d’enregistrer l’origine des produits. Vous vous demandez si ce t-shirt est réellement fait de coton biologique ? La réponse fournie par Provenance se veut plus fiable que celle qui se trouve sur l’étiquette.
C –
- Bananacoin: Cette cryptomonnaie a été lancée par deux entrepreneurs russes pour financer une plantation de bananes au Laos. Après la première récolte, les investisseurs pourront échanger leurs bananacoins contre de l’argent ou des bananes.
- LegalFling: Avec cette application mobile, enregistrez le consentement sexuel de votre partenaire dans la chaîne de blocs. Les créateurs, deux hommes, disent avoir été inspirés par le mouvement #moiaussi.
- Petro: La dernière solution du président vénézuélien à la crise économique qui frappe son pays : créer et vendre des petros, une cryptomonnaie dont la valeur repose sur les réserves de pétrole de l’État.
Au cœur de la mine
L’ancienne usine de tapis, à Farnham, est plongée dans la pénombre. Il n’y a ni marchandises ni machinerie et le chauffage ne fonctionne pas. Mais le bâtiment, grand comme 35 patinoires de hockey, n’est pas inoccupé. Il suffit de pousser une porte, tout au fond, pour se trouver devant 6 600 « mineurs ».

C’est ainsi que se nomment les processeurs ultraperformants qui, jour et nuit, tournent à plein régime pour effectuer les calculs nécessaires au fonctionnement des chaînes de blocs. Un dur labeur pour lequel leur propriétaire, la société québécoise Bitfarms, est récompensé en cryptomonnaies.
« J’ai commencé en 2015 dans ma maison, raconte le cofondateur et président de 34 ans Pierre-Luc Quimper. C’était rentable, mais le panneau électrique chauffait et j’avais peur de passer au feu. Alors, j’ai décidé de construire des installations professionnelles. »
Aujourd’hui, Bitfarms exploite quatre « mines » en Montérégie, qui nécessitent une puissance de 27,5 mégawatts, soit davantage que 14 000 maisons. La facture d’Hydro-Québec est salée, mais les revenus de l’entreprise cotée en Bourse en valent la peine : environ 12 millions de dollars pour les mois de novembre et décembre 2017 seulement.

Les frais d’exploitation accaparent près de 10 % des revenus, et le reste de l’argent est investi dans l’aménagement de nouvelles mines, l’objectif étant de multiplier par cinq la puissance totale d’ici la fin de 2018. Une croissance qui fera passer le nombre d’employés de 40 à près de 200, afin d’installer et d’entretenir les mineurs.
Pour Pierre-Luc Quimper, Bitfarms est la suite logique de sa première entreprise, un service d’hébergement Web lancé en 1999, alors qu’il était âgé de 14 ans. « À l’époque, les gens ne comprenaient pas Internet, tandis que moi, je construisais l’infrastructure. Aujourd’hui, c’est la même chose avec la chaîne de blocs. »
C’est lent…
Comme Internet à ses débuts, le réseau Bitcoin connaît des problèmes de lenteur : il peine à traiter 7 transactions par seconde, comparativement à 3 674 pour Visa.
Ligne sous tension

C’est la folie à Hydro-Québec ! Depuis décembre 2017, la société d’État croule sous les demandes d’entrepreneurs, notamment de Chine, qui veulent utiliser son électricité peu onéreuse pour « miner » des cryptomonnaies. L’actualité a fait le point avec David Murray, président d’Hydro-Québec Distribution.
Combien de demandes avez-vous reçues pour alimenter des mines de cryptomonnaies ?
Des centaines. C’est comme si tout le monde avait découvert le Québec en même temps ! D’habitude, quand un client nous aborde avec un projet de centre de données — ou de véritable mine —, on a le temps de planifier les choses. Les exploitants de mines de cryptomonnaies, eux, veulent être branchés hier. Ce sont de belles occasions pour Hydro-Québec, mais il faut analyser chaque cas en profondeur. Le mot d’ordre est « prudence ».
Quels sont les risques ?
Les puissances requises sont énormes. Dans un cas extrême, une entreprise nous a demandé 1 000 mégawatts, ce qui est assez pour alimenter environ 515 000 maisons. Nous, on doit s’assurer que la fiabilité du réseau est maintenue. L’autre chose, c’est qu’il n’est pas question de risquer l’argent des Québécois. Je ne veux surtout pas investir dans une nouvelle ligne de distribution pour voir ces entreprises plier bagage six mois plus tard. Nous allons maximiser ce qui existe déjà, avec les acteurs qui s’installent dans des endroits où la capacité nécessaire est déjà présente, comme d’anciennes usines de pâtes et papiers.
Est-ce que ces entreprises pourront régler leur facture énergétique en bitcoins ?
[Rire] Non !
Catastrophe écologique ?
D’ici 2020, les mineurs de bitcoins consommeront davantage d’électricité qu’il ne s’en produit dans le monde en ce moment ! Cette prédiction, qui a fait les manchettes en décembre 2017, est basée sur les estimations du site d’analyse de cryptomonnaies Digiconomist. La méthodologie utilisée est toutefois vivement critiquée par les experts, qui soulignent également que l’efficacité énergétique des mineurs augmentera avec le temps.
La Banque du Canada s’y met
Les promesses de la chaîne de blocs intriguent la Banque du Canada, qui, en 2016, a lancé le projet-pilote Jasper pour tester cette technologie. Les deux premières phases, qui se penchaient sur les opérations interbancaires, se sont toutefois avérées peu concluantes, la Banque jugeant la chaîne de blocs moins efficace que le système actuel. Les résultats d’une troisième phase, réalisée en partenariat avec la Bourse de Toronto, seront dévoilés en mai.
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2018 de L’actualité.
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