Devrait-on ajouter nos pronoms dans notre signature courriel ?

Après avoir gagné en popularité aux États-Unis, la tendance à indiquer ses pronoms dans sa signature courriel, sa bio professionnelle ou son profil LinkedIn se pointe au Québec. L’actualité a demandé à des experts s’il fallait suivre la vague.

stories/Freepix, montage : L’actualité

« She/her », « he/him », « they/them » : des travailleurs anglophones de tous les domaines accolent aujourd’hui à leur signature courriel ou à leur profil LinkedIn les pronoms avec lesquels ils souhaitent que l’on s’adresse à eux. Vous l’avez peut-être également vu en français (« il/lui », « elle/elle » ou les différentes variations utilisant des pronoms neutres, comme « iel »).

« C’est une pratique de plus en plus courante au pays », constate Florence Gagnon, de Fierté au travail Canada, un organisme qui aide les employeurs à créer des environnements de travail inclusifs. Environ le tiers de ses 200 partenaires — regroupant des employeurs de premier ordre, comme Bell, Desjardins et Amazon — suggèrent déjà à leurs salariés d’ajouter leurs pronoms à leur signature.

Signe que la tendance prend de l’ampleur, les utilisateurs du réseau professionnel LinkedIn peuvent depuis quelques mois définir leurs pronoms. L’option facultative est offerte dans cinq pays, dont le Canada.

À Montréal, Ubisoft incite aussi l’ensemble de son personnel à ajouter ses pronoms. « Il n’y a pas d’obligation, mais on encourage fortement les gens à le faire, parce qu’on pense que c’est un pas vers un milieu de travail plus inclusif », explique la conseillère en communications internes Laurane Guilbaud, qui a piloté l’initiative pour le studio de jeux vidéos.

Une marque de respect

Préciser ses pronoms ouvre avant tout le dialogue, souligne Florence Gagnon. « Énormément d’alliés le font pour montrer à leurs collègues et à leurs clients leur ouverture, et pour les encourager à faire part de ce qu’ils vivent. »

La professeure Caterine Bourassa-Dansereau, du Département de communication sociale et publique de l’UQAM, remarque quant à elle que la pandémie et les confinements qui en ont découlé auront étonnamment fait avancer la question, grâce au champ réservé à l’usage des pronoms dans le profil de Zoom. « C’est très réjouissant de voir des professeurs et des étudiants s’identifier avec leurs pronoms sur Zoom depuis le début de la pandémie. Ça aide à la sensibilisation », note-t-elle.

Ce geste simple donne de la visibilité aux personnes marginalisées, à ceux et celles qui ne s’identifient pas au sexe qui leur a été attribué à la naissance. « Ça normalise aussi le fait qu’il faut le demander, parce que le genre n’est pas toujours automatique », ajoute celle qui s’intéresse aux questions d’identité.

L’indication des pronoms évite en outre les erreurs. En désignant ses collègues de façon appropriée, tout le monde peut se concentrer sur son travail. « Mégenrer [NDLR : désigner quelqu’un par le mauvais genre]  constamment quelqu’un qui ne se reconnaît pas dans les pronoms classiques est un rappel douloureux de la dissonance entre la façon dont la personne se voit et la façon dont elle est perçue. Si elle doit toujours réfléchir à la meilleure manière de corriger poliment ses collègues, ça lui demande de l’énergie et ça empiète sur son rendement », soulève Mouhamadou Sanni Yaya, professeur au Département des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Les mots pour le dire

Même si elle est difficile à quantifier, la mention de ses pronoms semble plus répandue dans le reste du pays qu’au Québec, selon Fierté au travail Canada. L’utilisation en anglais des pronoms neutres, ni masculins ni féminins, inexistants dans la langue française, pourrait y être pour quelque chose. « C’est plus facile en anglais, où existe le pronom neutre “they”, croit Caterine Bourassa-Dansereau. Pourtant, les mots qu’on choisit nous définissent. On a du travail à faire pour adapter notre langue. »

En français, le « they » est généralement traduit par « iel », mais d’autres emploient parfois « ul », « ol » ou « aelle », pour ne nommer que ceux-là. L’Office québécois de la langue française ne conseille toutefois pas l’utilisation de néologismes en la matière. En 2019, il estimait qu’« aucun changement général concernant la distinction grammaticale masculin/féminin en français ne se [profilait] à l’horizon ».

L’organisme recommande plutôt l’emploi de la rédaction épicène, un style avec une formulation neutre (« Camille, scientifique de renom » plutôt que « Camille, une scientifique renommée », par exemple).

Le Robert, de son côté, a choisi d’ajouter le pronom « iel » dans sa version en ligne en octobre, après avoir constaté une hausse de sa fréquence d’usage. Une décision qui a provoqué une controverse en France.

Des organismes comme Les 3 sex* et Interligne ont quant à eux conçu des guides d’écriture inclusive en français qui touchent entre autres à l’usage des pronoms.

À chacun son rythme

L’inclusion est un objectif noble, mais gare aux entreprises qui croiraient bien faire en obligeant l’utilisation des pronoms dans les signatures. Le volontarisme a bien meilleur goût en la matière. « Ça amène les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les pronoms genrés classiques à s’autodéclarer, dit Mouhamadou Sanni Yaya, de l’UQAR. On met ainsi à risque ceux qui sont déjà vulnérables. Pour une question de respect, ça devrait se faire seulement sur une base volontaire. »

Mouhamadou Sanni Yaya est convaincu que la pratique fera boule de neige de toute façon. « C’est un phénomène contagieux. Au fur et à mesure que les gens prennent conscience des effets pervers de mégenrer, ils y adhèrent. Ce n’est donc qu’une question de temps », ajoute celui qui, depuis son entretien avec L’actualité, indique ses pronoms dans sa signature courriel.

La version originale de cet article a été modifiée le 17 novembre 2021 pour préciser que le pronom « iel» est désormais inclus dans l’édition en ligne du dictionnaire Le Robert.

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Excellent article. Toutefois une publicité en plein milieu du texte est très mal placée. Je n’ai pas pu lire la dernière partie. Cela me fait regretter mon abonnement.

Pourquoi ajouter un deuxième pronom ex il / lui au lieu de il tout seul ? À mon avis, le pronom il ou elle donne toute l’info nécessaire.

Chère Ginette,

J’ai bien peur que non. Nous sommes entrés dans une ère de sensiblerie. Être « offensé » est devenu la pire chose qui peut nous arriver. Et les « offenseurs » doivent être punis. Notre société se transforme tranquillement en garderie.

Moi qui suis un méchant homme blanc, hétéro de surcroît et un peu viril, j’espère, je m’excuse couché à terre si ce commentaire a pu offenser quelqu’un ou quelqu’une ou quelques entre deux.

Ah ! Si seulement cet article était une blague !! 🙂

Pierre Cloutier

L’épicène va emporter sur le féminin? Pourquoi c’est toujours un effacement des femmes? Il est bien important de savoir que Camille est une femme, vu les siècles de discrimination envers nous!

Bravo Catherine, votre commentaire est plein de gros bon sens. Il y a les transgenres et il y a les lobbies transgenres, deux réalités distinctes.
Il y a des trans qui souffrent et on doit les aider et en prendre soin. D’un autre côté, la plupart des lobbies sont misogynes et on doit les combattre.

Catherine, l’ecriture epicene existe pour une egalite du masculin et du feminin. L’OQLF presente le procede. Je vous suggere d’y jeter un coup d’oeil.

En plus des pronoms, il faudra aussi indiquer la religion, la race, l’origine, la couleur de la peau, des yeux et des cheveux, le parti politique, Yvon aurait dit : « le monde sont fous »

Bon, j’imagine que j’ai passé ma date de «best before» parce que je trouve cela tellement déconnecté de la vraie vie. J’ai peine à imaginer les plus vieux que moi qui vont certainement tomber de leur chaise en lisant cela! J’imagine que c’est une mode qui vient des États-Unis ou à tout le moins le monde anglo-américain qui d’un côté veut se montrer tellement ouvert mais d’un autre, dans la vraie vie, ne se gêne pas pour abuser des droits des minorités et de ceux qu’ils considèrent comme marginaux.

Il me semble que les vrais gestes, concrets, pour en finir avec le racisme systémique et le colonialisme seraient plus valables que ces symboles qui sont, somme toute, particulièrement vides.