
Pour Pierre Gauthier, le concept de « bye-bye boss » à 55 ans n’est pas qu’une vue de l’esprit. À 55 ans, il est retraité depuis… 15 ans ! Millionnaire à l’aube de la quarantaine, il a quitté son emploi pour gérer ses placements et travailler au gré de ses envies. Il refuse de donner son nom (Pierre Gauthier est un pseudonyme), parce qu’il tient à sa vie privée.
Ce jeune rentier montréalais n’a pas gagné à la loterie. Il a bâti sa fortune grâce au régime d’options d’achat d’actions offert par son employeur du temps, Microsoft.
Le géant américain a été l’un des premiers à offrir aux employés la possibilité d’acheter de ses actions à un prix fixé à l’avance, qu’ils peuvent ultérieurement revendre au prix du marché.
Depuis l’éclatement de la bulle technologique, au début des années 2000, ce type de régime d’options est offert surtout aux membres de la haute direction de grandes entreprises. Aux employés, on propose plutôt les régimes d’achat d’actions, qui leur permettent de devenir actionnaires de l’entreprise. Près de 90 % des sociétés cotées à la Bourse offrent ce type de rémunération incitative à leurs employés, selon Deloitte.
Au Québec, les Jean Coutu, CGI, Québecor et Cascades offrent cet avantage. L’objectif est de retenir les employés clés en les faisant profiter de la croissance du chiffre d’affaires de l’entreprise. « Des employés heureux, ça rapporte ! » répète souvent le grand patron de CGI, Serge Godin. Mais acheter des actions de la société rapporte-t-il autant à l’employé ?
« Un régime d’achat d’actions peut être très intéressant quand il est bien géré et que l’employeur y contribue également », dit le fiscaliste Luc Lacombe, associé de Raymond Chabot Grant Thornton.
Chez CGI, par exemple, pour chaque dollar investi par l’employé dans des actions de la société, celle-ci investit une somme égale — jusqu’à un plafond établi. (Une somme additionnelle peut être prélevée à même le salaire de l’employé.)
Les régimes d’actionnariat peuvent être complexes. Certaines sociétés donnent des actions, d’autres en financent en partie l’achat, comme CGI et Rogers (propriétaire de L’actualité). D’autres encore prêtent de l’argent à leurs employés pour qu’ils puissent en acquérir.
« Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’actions de votre employeur que c’est moins risqué », prévient François Morency, planificateur financier et président d’Aviso, Les Conseillers Financiers. « La première question à se poser est : est-ce que j’investirais dans cette entreprise si je n’étais pas un employé ? Si la réponse est non, abstenez-vous. »
De façon générale, on peut dire que plus la contribution financière de l’employeur est grande, plus les risques pour l’employé sont atténués.
Pierre Gauthier, pour sa part, n’a pas fait fortune comme par magie. Pendant que ses collègues chez Microsoft revendaient à profit leurs actions pour se payer des voyages et des voitures de luxe, il a conservé un train de vie plus modeste et accumulé ses options pendant 12 ans.
Il est donc possible de faire de l’argent, et parfois même beaucoup, avec des actions ou des options d’achat d’actions de son employeur. À la condition de bien gérer ce qui est un placement avant d’être un avantage salarial. À preuve, si Pierre Gauthier avait attendu quelques mois de plus pour exercer ses options, sa fortune (alors sur papier) se serait évaporée avec l’éclatement de la bulle technologique !
« Que l’on soit actionnaire de son employeur ou de toute autre entreprise, les mêmes règles s’appliquent. Il faut diversifier ses placements », dit le fiscaliste Luc Lacombe.
Il n’est pas rare de voir des travailleurs investir 70 % de leur portefeuille dans des actions de leur employeur, croyant ainsi se constituer un bon fonds de pension. Le planificateur financier François Morency conseille de ne pas dépasser les 5 % ou 10 %. Certaines entreprises limitent d’ailleurs elles-mêmes la participation de leurs employés.
À chacun sa stratégie. « On peut voir l’actionnariat comme un miniplan d’épargne pour se payer des vacances ou encore un plan d’épargne à plus long terme. L’idée est que c’est une prime, pas une façon de payer son pain et son beurre », dit Luc Lacombe.
Il faut aussi s’informer des conditions et délais imposés pour vendre ses actions. « Le but étant de fidéliser les employés, on peut être contraint de garder ses actions pendant trois, quatre, voire cinq ans », ajoute le fiscaliste. Si un employé quitte l’entreprise plus tôt, il court le risque de perdre ses actions.
Certains employeurs offrent de prêter les sommes nécessaires pour acheter des actions, parfois sans intérêts, sommes que vous devrez rembourser au moment de la revente. Risqué. « Assurez-vous d’avoir une clause de protection, car si l’action chute, votre portefeuille n’aura plus de valeur et vous devrez quand même payer l’emprunt », dit François Morency.
N’oubliez cependant jamais que le fisc a l’œil sur les régimes d’achat d’actions. « Un jour ou l’autre, ces sommes s’ajouteront à vos revenus et vous devrez payer de l’impôt », souligne le fiscaliste Luc Lacombe.
Tout gain réalisé en vertu d’un régime d’actionnariat des employés est un avantage imposable. Si un employeur offre à ses employés d’acheter des actions 5 dollars alors que celles-ci en valent 10 sur le marché, la différence sera ajoutée au revenu imposable au moment de la vente. Toutefois, si l’employé garde ses actions au moins deux ans, il aura droit à une déduction de 50 % de cette somme au fédéral (25 % au Québec).
François Morency rappelle qu’une façon de se mettre à l’abri de l’impôt est d’acquérir des actions de son employeur par l’intermédiaire d’un REER, d’un CELI ou d’un REA.
Alors, en acheter ou pas ? Si les actions ne sont pas prétexte à offrir un salaire moindre, s’il y a contribution financière de l’employeur, on achète ! dit François Morency, mais pas sans avoir lu les clauses en petits caractères. « N’oubliez jamais que votre décision doit être liée à vos besoins d’investissement et non à votre loyauté en tant qu’employé. »