Quelles sont les chances que les avions de la CSeries de Bombardier permettent aux Québécois d’en avoir pour leur argent en séduisant des acheteurs une fois que leur mise au point sera terminée? C’est une question à 1,3 milliard de dollars sur laquelle il est très facile d’avoir un avis à l’emporte-pièce, mais qui s’avère assez complexe dès qu’on entre dans les détails. Voici donc quelques repères pour mieux comprendre l’enjeu.
Concevoir et fabriquer un nouveau modèle d’avion constitue un énorme défi technique et organisationnel. Les gouvernements de tous les pays comptant des fabricants injectent fréquemment beaucoup d’argent dans la création d’appareils, qui se solde presque toujours par des retards. C’est le prix à payer pour avoir des avions ultrasécuritaires, plutôt confortables (oui, on y est souvent à l’étroit, mais les conditions de vol sont autrement meilleures que celles d’il y a 50 ans!), capables de voler de 20 à 30 ans et de moins en moins polluants.
Le défi est énorme, mais la récompense potentielle aussi. La complexité des appareils fait que l’industrie emploie un grand nombre de personnes, et parmi elles, beaucoup de gens qualifiés. Au Québec seulement, 1 700 personnes travaillent sur la CSeries.
Qui plus est, l’avion est, à l’échelle du globe, un mode de transport de plus en plus couru, particulièrement lié à l’accroissement de la richesse et des échanges dans les pays émergents.
En 2014, pour la première fois dans l’histoire de l’aviation, le nombre moyen de vols par jour dans le monde a dépassé les 100 000. Environ trois milliards de passagers ont été transportés dans plus de 25 000 avions de ligne.
Globalement, la demande pour des déplacements en avion augmente de 4,7 % par an, selon les dernières estimations. Les analystes prévoient qu’en 2030, plus de 40 000 avions de ligne transporteront 6,3 milliards de passagers. D’ici là, les constructeurs se partageront aux alentours de 3 700 milliards de dollars de ventes d’avions, ce qui correspond environ à 10 fois le produit intérieur brut du Québec. C’est beaucoup, beaucoup d’argent.
Pour les constructeurs, le marché se répartit traditionnellement entre les avions destinés aux vols régionaux (courts courriers) et ceux qui peuvent transporter plus de monde sur de plus grands trajets (moyens et longs courriers).
Airbus (138 000 employés, en Europe surtout) et Boeing (162 000 employés, aux États-Unis surtout) fabriquent à eux deux la très grande majorité des avions de plus de 110 places, un chiffre souvent considéré comme la limite entre courts et moyens courriers.
Le marché des plus petits avions est en gros dominé par Bombardier et l’entreprise brésilienne Embraer.
Mais la hausse de la demande globale, les grandes fluctuations du prix du pétrole ces dernières années et les exigences écologiques croissantes chamboulent ce portrait.
Ainsi, deux nouveaux joueurs se sont lancés sur le marché des avions régionaux, avec le soutien massif de leurs gouvernements respectifs. Le Sukhoi Superjet 100 russe (jusqu’à 108 passagers) a décollé en 2011, alors que le Mitsubishi Regional Jet japonais (jusqu’à 92 places) entre en service maintenant, quatre ans plus tard que prévu.
Le programme de la CSeries, lancé par Bombardier en 2004, visait à concevoir deux nouveaux avions, rebaptisés depuis CS100 (100 places) et CS300 (130 places), un peu plus gros que ses précédents appareils, les CRJ, qu’elle a vendus à près de 1 700 exemplaires.
Dans cette gamme d’appareils, Bombardier se retrouve aussi face à deux nouveaux avions des géants Airbus et Boeing, le A319neo (140 passagers) et le 737 Max 7 (126 places), qui doivent également entrer en service dans les prochains mois ou années. La CSeries va enfin devoir concurrencer le premier avion chinois dans cette gamme, le C919 (de 158 à 174 sièges) de la compagnie Comac, dont un premier exemplaire a été présenté le 2 novembre à Shanghai, mais qui ne devrait pas voler avant fin 2018.
La concurrence est rude!
Pour ces nouveaux modèles, Bombardier a misé sur un design assez audacieux. Afin de diminuer la consommation de carburant et les émissions de gaz à effet de serre, l’avion a été nettement allégé grâce à des matériaux composites. Il ferait 12 000 livres de moins que les avions actuellement en construction ailleurs et émettra 20 % moins de GES, annonce Bombardier. Il émettra aussi 50 % de moins d’oxydes d’azote que la norme actuelle, et sera nettement plus silencieux que ses concurrents.
Toutes ces caractéristiques sont susceptibles d’intéresser des compagnies aériennes. En 2013, les 191 pays membres de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) se sont entendus pour faire plafonner les émissions de GES de l’aviation d’ici 2020, et pour les réduire de 50 % d’ici 2050 par rapport au niveau de 2005.
Près de la moitié de ces gains devront venir de l’amélioration technologique des avions, croit l’OACI, qui consacrera l’essentiel de son prochain forum aéronautique mondial, à Montréal du 23 au 25 novembre, aux questions d’environnement.
Tous les constructeurs concurrents de Bombardier annoncent que leurs modèles à venir seront moins polluants. Mais aucun n’a encore fait la preuve commerciale qu’ils allaient remplir leurs promesses.
Pour l’instant, les ventes attendues de la CSeries restent modestes, et la confiance des acheteurs est évidemment ébranlée par les retards et appels au secours de Bombardier. Mais le design même des appareils, lui, n’est pas remis en question.
Par rapport à ses concurrents, Bombardier a l’avantage d’être parti à neuf avec la CSeries, alors qu’Airbus, par exemple, a essentiellement changé le moteur de ses A319 (en le remplaçant par un modèle de Pratt & Whitney semblable à celui qui équipera la CSeries) sans trop toucher au reste de l’avion.
L’entreprise québécoise a — peut-être — entre les mains un avion qui va se démarquer sur le plan environnemental si elle trouve les moyens de terminer les ultimes étapes de sa mise au point.
De leur côté, les compagnies aériennes, forcées de penser à long terme vu la durée de vie et le prix des appareils, pourraient se laisser séduire si elles sentent que leurs émissions de GES vont assez rapidement leur coûter de plus en plus cher. Ce pourrait bien être le cas avec le développement des marchés du carbone, surtout si les 195 pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques tiennent leurs engagements. Les discussions qui se tiendront bientôt à Paris seront cruciales pour Bombardier aussi.
Au Québec comme au Canada, les entreprises innovantes ne sont pas si nombreuses, comme en témoigne année après année le peu d’investissements en recherche industrielle. Ce sont ces entreprises qui offrent les emplois les plus payants et qui sont davantage susceptibles d’enrichir le Québec, à l’heure où la matière grise est de plus en plus le nerf de la guerre à l’échelle de la planète.
Le gouvernement du Québec aurait-il dû exiger plus de garanties de Bombardier? Faire un montage financier différent? Cela dépasse mes compétences. Chose certaine, ce genre de réalisation est bien trop importante pour qu’on la balaie du revers de la main, sous prétexte que l’industrie n’a qu’à se débrouiller ou que les finances publiques en arrachent.
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Un long article qui passe à côté de la vraie question:
allons-nous, oui ou non, récupérer ce montant d’argent (avec intérêts)?
Sincèrement, je ne demande pas mieux que le projet…décolle…
Sauf que l’historique de bombardier me fait plutôt penser que nous avons peu de chances de revoir la couleur de cet argent. Bref, on donne 1,3 milliard à une compagnie que certains n’hésitent pas à qualifier de BS (alors qu’on veut stupidement couper dans l’aide sociale pour…économiser).
Autre élément qui motive ma réponse: des dépassements de coûts, je peux comprendre. Sauf que là on est rendu à ~250% du budget initial pour le projet de la série C…et ce n’est pas fini… Je ne me souviens pas d’avoir déjà vu des projets mal gérés bien finir…
Je ne crois pas que c’est avec le BS que nous allons créer de la richesse. Bombardier dépense 35% pour payer des employés très bien rémunérés qui rapportent aux deniers publics tout comme l’ensemble des composantes pour construire leurs avions qui font vivre des milliers d’employés chez leurs fournisseurs. Votre surmon de BS pour Bombardier ne tient pas compte de la réalité de l’économie dans son ensemble, Bomardier emploie des dizaines de milliers d’employés et n’a connu que des succès depuis 60 ans. Les français et les américains ont ils tenté de mettre la hache dans leurs sociétés lorsque celles-ci traversaient des périodes difficile…non. La mentalité de BS de luxe au Québec qui ne fait que chialer sur tout est négative et surtout, comme d’habitude, sans aucun fondement. Sur le 1.3 milliards de dollars, plus de 85% seront versés en salaires puisque l’avion est au dernier stage d’essais, elle avait accumulé au 30 septembre dernier plus de 1774 heures sur les 2000 exigé pour obtenir son certificat de navigabilité. Elle devrait avoir terminé cette période avant juin 2016. Tous les nouveaux modèles d’avion ont des carnets rachitiques lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies alors qu’habituellement un bolide tel que le 737 en production depuis le début des années 70 a toute les difficultés du monde à produire un produit viable à partir de ce modèle, il en est de même pour le A318 neo qui découle de la série A320-319-318 en production depuis 1986.
Je veux bien cesser de colporter le statut de BS que certains donnent à Bombardier. Du moins pour un temps. On peut leur trouver un autre surnom? En fait, je propose qu’on se concentre sur le vrai débat.
C’est un peu ma faute. J’aurais dû élaborer lorsque j’ai dit «Sincèrement, je ne demande pas mieux que le projet…décolle…» (j’ai quand même pris soin de mentionner que c’était sincère).
Sauf que la question de base reste sans réponse. Du moins dans cet article.
Allons-nous, oui ou non, récupérer ce montant d’argent (avec intérêts)?
Si la réponse est oui. Il n’y en a pas de problème. Si la réponse est non, alors je pense que cet argent aurait été mieux dépensé. Auprès d’autres entreprises, pourquoi pas. Surtout que les deux éléments que j’ai mentionnés n’ont pas été infirmés.
Ni l’article, ni ton message à la défense de bombardier n’ont répondu à cette question. Alors je reste avec la même opinion et ce n’est pas par mauvaise foie. Sauf que l’inverse est aussi vrai. Je veux bien aider bombardier avec mon argent (je ne suis pas un de ces vilains BS) mais il ne faut pas tomber dans le «fanboy» non plus.
Qu’on (toi ou un autre) me démontre par uen analyse économique qu’on va récupérer cet investissement et que ça ne ce fera pas au détriment de ce que bombardier doit payer comme dû, alors, j’embarque. Sinon, je retourne à mes sobriquets.
Parce que connaissant les politiciens, je doute fort de leurs capacités comptables. Trop en mode «politique». Le résultat : les décisions sont influencées par les politiciens au pouvoir et non pas par une analyse raisonnée.
Votre réponse est bien ordonnée, merci des précisions. En ce qui a trait au mot raisonnée, il provient de raison dont découle le mot raisonnable, trois vocables qui ne devraient jamais apparaître dans le même texte que le mot gouvernement (gouverne …ment tout comme parle…ment)
Une entreprise prospère, ce n’est pas seulement une entreprise innovante mais une entreprise qui sait prendre des risques calculés avec une appréciation juste de la concurrence, en s’adossant à une organisation solide et des moyens financiers suffisants, pour le long cours. La situation actuelle chez Bombardier indique que celle-ci ne rejoint pas ces conditions, apparemment.
Je suis d’accord pour que nos gouvernements viennent au secours du projet de la CSeries (ne rien faire serait trop dommageable à l’économie montréalaise), mais je pense que ceux-ci devraient en même temps s’assurer de la solidité de l’entreprise, de la qualité de son équipe de gestion, du réalisme de ses objectifs. Je n’ai pas entendu, à ce jour, venant du gouvernement, des propos rassurants. La question du contrôle de la famille Bombardier-Beaudoin (actions votantes) n’est pas réglée et ne garantit pas l’exercice d’un leadership fort, au moment où l’entreprise se trouve en situation précaire. Le refus d’Airbus de poursuivre les discussions et le jésuitisme de Bombardier dans cette affaire (dites la vérité, mais pas toute), ne me rassure pas non plus. Son écartèlement entre le transport aérien (concurrence extrême à l’échelle mondiale, duopole Airbus/Boeing) et le transport ferroviaire (proximité des gouvernements, des municipalités et des sociétés d’État, morcellement régional) ne peut que rendre plus difficile encore la prise de décision stratégique.
La grenouille plus grosse que le boeuf ? Bien sûr, nos politiciens ne cesseront jamais de rêver d’un boeuf québécois. C’est cela qui m’inquiète.
Bonjour Mlle Borde
Tous les concernés oublient que le 747, sortie en catastrophe a amené Boeing très près de la faillite. Le A380 a des ratées malgré le nombre d’avions vendues jusqu’à aujourd’hui et n’a toujours pas atteint le seuil de rentabilité. Il en est de même pour le A350 ainsi que le 787 qui continue à avoir des ratées.
Je ne sais pas si vous avez remarquer mais lorsqu’il y a une lettre d’intention d’une société aérienne pour acheter des avions, il y a les commandes fermes dont les acheteurs peuvent annulées en payant un montant d’environ 5% de la valeur de l’avion lorsqu’ils annule ainsi que des commandes en options.
Hors, le ratio d’achats fermes par rapport aux options a basculé en faveur des options, où les acheteurs n’ont aucune obligation. Selon le site de Boeing et leur magazine The Fortress, leur nouveau 737 Max est en retard d’au moins une année car beaucoup trop lourd pour les moteurs qu’ils avaient choisis, il en est de même pour le A318 neo qui utilise des moteurs plus énergivores (sic) et beaucoup moins silencieux mais surtout, ne conviendront pas aux normes de 2020 émis par l’OACI.
Bombardier détient un avion extrêmement performant sur toute la ligne et est la seule sur le créneau des 100-135 passagers, Embraer ayant terminé son programme il y a quatre années.
Comme je le répète depuis 30 ans, ce n’est pas en instaurant un service 747 entre Québec et Montréal qu’il y aura plus de passagers.
Hors, les aéroports des petites villes (800 milles à 1.5 millions d’habitants) sont presque tous très près de quartier résidentiel et ne pourront dès 2020 accepter des bolides tels que les A318 et 737 (comptant 150 sièges) à cause du bruit en plus du nombre de passagers qu’ils doivent avoir pour qu’une compagnie aérienne veuille bien leurs accorder une desserte. C’est pour cette raison que Bombardier détient le marché avec ses modèles 500, 600, 700 et 800 depuis plus de 20 ans.
Pour être rentable en 205, un avion de moins de 170 passagers doit avoir un coefficient de 84% d’occupation. Vous imaginez conséquemment que les 737 et A318 devront desservir ces petites villes sous une fréquence beaucoup trop limité pour devenir rentable puisque le minimum de personnel au sol pour le service dépassera de beaucoup le seuil de rentabilité.
Une ville qui a une desserte de moins de 1100 passagers par jour ne peut accueillir des avions à réaction de plus de 90 passagers. Montréal Québec offre un service de 14 départs par jours avec des avions de 37 passagers seulement, soit moins de 500 passagers, la distance étant beaucoup trop courte entre les deux villes, Air Canada doit desservir avec des turbo-propulseurs, les voyageurs préfèrent donc le train (centre ville à centre ville), beaucoup moins dispeudieux.
Se sont plutôt des dessertes Montréal Toronto, que les C-100 et C-300 seront profitables en augmentant le nombre de vols par jour, celui-ci étant en diminution depuis des années. Si Air-Porter a pris autant d’importance c’est grâce aux Q-400 avec desserte à l’aéroport du centre ville de Toronto.
Les journalistes, dont la grande majorité ne connaissent rien dans le domaine de l’aviation pour laquelle j’ai travaillé durant plus de 37 ans, déclarent des absurdités souvent des copiés collés de magazines provenant de Boeing et Airbus qui poignardent Bombardier.
Merci de votre attention et jouissez d’une agréable journée.
Wentworth Roger
Texte présomptueux comme d’habitude. Ma foi, qu’avez-vous fait pour mériter ces prix ?!
Tous les faits sont vérifiables car largement documentés, il transparaît que l’expérience et connaissances vous fait mordre la poussière, dans ce cas prenez donc le temps de vérifier avant de faire des commentaires disgracieux.
La question qu’on se demande est la suivante…
Si Bombardier vaut 4 milliards et que Québec verse 1,4 millard dans une sous-branche de Bombardier contre aucun droit de vote
Si deux actionnaires de Bombardier ont pour un total de 18% des actions de Bombardier… mais que ces 18% d’actions à « votes mutiples » représentent plus de 50% des votes.
Comment la caisse de dépôt fait-elle pour justifier la négociation d’aucun droit de vote pour un montant qui vaut plus que le 1/4 de l’ensemble de Bombardier?