Gare au ver dans la pomme

Qu’ont en commun la commission Charbonneau, une application de cartographie, une plateforme de forage et une prison en Libye ? Elles ont toutes contribué à écorcher la réputation enviable de grandes entreprises. Et si les crises sont mal gérées, cela peut coûter très cher !

On n’a qu’à songer à ce qui est arrivé à Apple. L’action a dégringolé en quelques mois, passant de 705 à 385 dollars, après que le géant américain eut commis une bourde monumentale. L’application de cartographie intégrée à l’iPhone 5, lancé en septembre, était si mauvaise que le président d’Apple, Tim Cook, a été obligé de s’excuser publiquement. Mais le mal était fait. La réputation d’Apple comme entreprise quasi infaillible offrant des produits exaltants et de haute qualité était entachée. Cette faille a inquiété les actionnaires et donné des munitions à ses concurrents. Résultat : une chute de près de 300 milliards de dollars de sa capitalisation en Bourse.

Photo : Paul Sakuma / AP/PC
Photo : Paul Sakuma / AP/PC

« La réputation constitue à elle seule le plus important moteur de création ou de destruction de la valeur d’une entreprise. C’est son actif le plus précieux », affirme Nathalie de Marcellis-Warin, professeure agrégée à Polytechnique Montréal. Et cette réputation a une valeur financière, ajoute Serban Teodoresco, président de la société de gestion des risques Preventa, qui a cosigné avec Nathalie de Marcellis-Warin un rapport du CIRANO sur le sujet, en 2012. Cette valeur est attribuée à l’entreprise par les investisseurs au-delà de ce qui est tangible, comme ses usines, ses stocks ou ses brevets et marques de commerce. « C’est la confiance que ceux-ci ont dans la capacité de l’entreprise de générer des profits. »

Plus près de nous, SNC-Lavalin a vu sa valeur boursière dégringoler depuis qu’un journaliste a révélé, en 2011, que ce fleuron du génie-conseil québécois construisait une prison en Libye, pays alors dirigé par le dictateur Mouammar Kadhafi. Puis, il y a eu les rumeurs voulant que de hauts dirigeants aient fraudé, versé des pots-de-vin, pour obtenir des contrats ici et à l’étranger, ainsi que participé, selon des témoins entendus à la commission Charbonneau, à un système de collusion dans l’industrie de la construction. Ces dérapages coûtent cher : SNC-Lavalin n’aura plus de mandats de la Banque mondiale pendant 10 ans, et son action est passée de 60 à 44 dollars récemment, après avoir touché un creux de 34 dollars.

Puisqu’elle a une valeur qui se calcule, la réputation d’une entreprise doit être gérée comme un actif. Elle se bâtit lentement, mais peut être détruite très rapidement, note Nathalie de Marcellis-Warin, surtout en cette ère où les médias sociaux peuvent aisément monter en épingle un faux pas ou alimenter des rumeurs, fondées ou non.

Dans une telle éventualité, le capital de réputation pourra servir de coussin pour limiter les dégâts financiers de l’entreprise. Mais, précise Serban Teodoresco, cela dépendra aussi de la manière dont elle a été écorchée. S’il s’agit d’un accident imprévisible, la tempête sera de courte durée. S’il s’agit toutefois de lacunes en matière de sécurité, comme ce fut le cas pour l’explosion de la plateforme de forage de British Petroleum dans le golfe du Mexique, la méfiance peut s’installer et les répercussions être plus considérables.

« Si cela touche des valeurs fondamentales des citoyens, comme l’exploitation des enfants ou la corruption des dirigeants, alors l’entreprise risque de perdre toute leur confiance et la prime associée à sa réputation », dit Nathalie de Marcellis-Warin.

Cela peut aller jusqu’à la faillite. Songeons au cas d’Arthur Anderson. Ce cabinet américain de vérificateurs, qui avait un chiffre d’affaires de plus de neuf milliards de dollars, est disparu en quelques mois en 2002 pour avoir fermé les yeux sur la comptabilité douteuse d’Enron.

« La taille d’une entreprise ne garantit pas sa survie, dit Serban Teodoresco. Si une crise est mal gérée, le danger est mortel. »