Heureux, les Québécois? Oui, et de plus en plus

Amorcée il y a 25 ans, la « révolution tranquille du bonheur » est en marche au Québec. Le degré de satisfaction des Québécois à l’égard de la vie qu’ils mènent fait aujourd’hui d’eux la deuxième des nations les plus heureuses de la terre.

Photo : Getty Images
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Selon l’échelle dite de Cantril, utilisée par la société Gallup et les Nations unies pour mesurer cette perception, les Québécois ont obtenu en 2010 un score collectif de 762 sur 1 000, tout juste derrière les Danois, au premier rang (784), et devant les autres Canadiens, au sixième (745), et les Américains, au douzième (725). C’est le professeur Chris Barrington-Leigh, de l’Université McGill, qui vient de mettre à jour ce résultat.

Avons-nous raison d’être si heureux ? Certains esprits cyniques y verront sans doute le signe que les Québécois sont, pour reprendre l’expression du chansonnier Georges Brassens, des « imbéciles heureux ». Des gens qui croient béatement que tout va bien quand, en fait, tout va mal.

Une recherche récente des professeurs Luc Godbout et Marcelin Joanis, de l’Université de Sherbrooke, contient cependant la preuve que cette interprétation cynique de la réalité est erronée. Ils ont calculé que, dans les faits, les Québécois « vivent mieux » que les autres. Cela explique qu’ils soient plus heureux.

Godbout et Joanis ont construit pour le Québec l’« indicateur du vivre mieux », qui est proposé depuis 2011 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à ses 34 pays membres, riches pour la plupart. Sur les 11 critères sélectionnés par l’OCDE, 9 sont des mesures de conditions de vie objectives : logement, revenu, emploi, éducation, santé, environnement, gouvernance, sécurité et conciliation travail-famille. Or, selon n’importe quelle pondération raisonnable de ces 9 critères, le Québec se classe en tête du peloton, sur un pied d’égalité avec le reste du Canada et l’Australie. Le bonheur des Québécois n’est donc pas le fruit de leur imagination. Ils ont plus de raisons objectives que les autres d’être heureux.

Barrington-Leigh est allé encore plus loin. Il a découvert non seulement que les Québécois sont aujourd’hui parmi les plus heureux de la planète, mais que cette situation est l’aboutissement de 25 ans d’augmentation quasi continuelle de leur degré de satisfaction à l’égard de la vie. Son graphique ci-contre reflète le fait que, depuis 1985, le Québec est passé de la plus malheureuse à la plus heureuse des grandes provinces canadiennes.

Comment se fait-il donc que nous soyons de plus en plus satisfaits de la vie que nous menons ? Il n’y a pas encore de réponse certaine à cette question. Mon hypothèse est que les fruits de la Révolution tranquille ne sont apparus pour de vrai que depuis 25 ans. Notre sentiment de sécurité linguistique s’est accru. Nous avons pris les commandes de notre économie. Notre niveau d’éducation a fini par rejoindre le sommet canadien. Cela a fait croître notre taux d’emploi et notre niveau de vie plus rapidement que dans les autres provinces — du moins, celles qui n’ont pas de pétrole.

De plus, nous sommes la seule région d’Amérique du Nord qui n’ait pas connu de hausse notable des inégalités de revenu depuis 35 ans. Pas surprenant que, dans un récent sondage dirigé par le professeur Simon Langlois, de l’Université Laval, 70 % des Québécois aient exprimé l’avis que leur société est plutôt juste. On a même dit de nos nouvelles mesures sociales — comme les garderies bon marché, les congés parentaux étendus et le soutien accru aux enfants — qu’elles font du Québec un « paradis des familles ». Et un paradis, ça rend forcément heureux.

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Ce constat est exact et encourageant. Les Québécois sont dans le peloton de tête en ce qui a trait à la qualité de vie. Mais comment parviennent-ils à se procurer un panier de programmes et de services qui font l’envie de sociétés pourtant plus riches ?

Les auteurs Luc Godbout et Marcelin Joanis, que vous citez, formulent une mise en garde :

« Aucun indicateur ne tient compte de la capacité des États à soutenir le bien-être de leur population à long terme.

Au premier chef, la pérennité du niveau de bien-être mesuré aujourd’hui au Québec dépend de la préservation de la capacité d’intervenir de l’État, qui à son tour passe par des finances publiques soutenables à long terme. Bien que le PIB soit un indicateur insatisfaisant de la mesure du bien-être, il demeure exact qu’une croissance soutenue du PIB est le premier déterminant des revenus de l’État et, partant, de sa capacité d’action. »

Votre hypothèse, c’est que la révolution tranquille a permis aux Québécois d’atteindre ce quasi-Nirvana.

Mes hypothèses sont les suivantes:

 Le Québec, comme société, vit au-dessus de ses moyens : dette brute et dette nette du Québec plus élevée que les autres provinces canadiennes ;
 Le Québec bénéficie de la péréquation canadienne, pour un certain temps encore, de par son statut de province relativement pauvre ;
 Le Québec est une société plus égalitaire (redistribution des revenus) que les autres provinces ce qui accroît, sans doute, le niveau de bien-être ;
 Les Québécois épargnent moins que la moyenne canadienne.

On peut, comme individu, vouloir maintenir notre niveau de vie, notre Vivre mieux. C’est très légitime. On se doit, par contre, comme société, de nous assurer que c’est soutenable à long terme. Là-dessus, difficile de s’en remettre à nos gouvernements qui, jusqu ‘à maintenant, ont pratiqué avec brio les disciplines de l’aveuglement volontaire et du pelletage par en avant.