Investir en immobilier sans mise de fonds ? Attention !

Même dans un marché aussi dynamique que l’immobilier, il est possible de perdre gros. Voici le récit d’un gars qui a cru à des promesses d’enrichissement rapide… et dont le château de cartes s’est effondré. 

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Bien dépenser
Habitation
Maxicam / Getty Images, montage : L’actualité
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Avec la flambée des prix des maisons, les formations des « coachs immobiliers » sont devenues aussi populaires que les trucs pour s’enrichir avec le Bitcoin. En tapant les mots « coach immobilier Canada » dans Google, on obtient plus de quatre millions de résultats. Vous remarquerez en tête de liste un certain nombre d’autodidactes, dont la pratique n’est pas encadrée par des organismes de surveillance officiels et des institutions renommées. Même dans un secteur aussi prospère, ne baissez pas la garde. Il vaut mieux avoir des liquidités importantes et se faire accompagner par des experts encadrés. 

L’histoire de Bertrand, 38 ans, employé dans une entreprise de transport et père de deux enfants en bas âge, pourrait certainement servir de mise en garde à ceux qui s’imaginent que l’investissement immobilier n’a rien de sorcier. (Toutes les informations pouvant permettre d’identifier les parties ont été modifiées afin de préserver l’anonymat des personnes impliquées, mais l’histoire est bien réelle.)

Quand je l’ai connu il y a 10 ans, Bertrand venait de décrocher son emploi et flottait sur un nuage. Enfin un poste permanent avec un « pas pire salaire », comme il disait. Une paye autour de 40 000 dollars, la possibilité de faire des heures supplémentaires rémunérées, des assurances, un fonds de pension, etc. Bref, un peu de stabilité après une dizaine d’années de petits boulots pour cet homme qui avait quitté l’école à 16 ans.

En 2016, Bertrand commence à lire des bouquins écrits par des motivateurs inspirants. Il boit les enseignements de Tony Robbins, cet Américain qui s’est bâti un empire d’une trentaine d’entreprises, et une fortune de plus d’un demi-milliard de dollars. Ceux de Robert T. Kiyosaki, auteur de Père riche, père pauvre, et de Rhonda Byrne, dont le best-seller Le secret a été traduit en 52 langues. La réussite de ces motivateurs fait miroiter tous les possibles à Bertrand. Il rêve de villa dans les Antilles, de Porsche Cayenne et de Veuve Clicquot.

Les nouveaux gourous

Bertrand est dans cet état d’esprit quand il voit une pub Facebook de Vickie, une conférencière motivatrice récemment convertie à l’investissement immobilier. Sa proposition : investissez en immobilier sans mise de fonds avec Vickie, et devenez autonome financièrement en moins de trois ans. Il clique sur un lien menant à des bouquins vendus par l’intermédiaire du site. 

Il vient de mettre le doigt dans l’engrenage d’une machine de marketing bien huilée. D’évidence, Vickie maîtrise parfaitement l’art de l’accroche (teasers), les stratégies d’optimisation pour les moteurs de recherche, la vente par incitation et les entonnoirs.

Des taux d’intérêt de 75 %

Le premier livre, sur la mentalité à acquérir pour réussir, ne coûte que 19,99 $. Mais rapidement, Bertrand va acheter un cours éclair sur la revente précipitée (les flips) à 139,99 $. Une semaine plus tard, ce sera une formation en 12 vidéos pour devenir « wiz négociateur immobilier », pour seulement « cinq paiements faciles de 499,95 $ », selon l’expression consacrée. Il n’a pas l’impression de consommer, mais plutôt de se faire conseiller et accompagner professionnellement pour réussir dans le domaine. 

Un mois plus tard, Bertrand s’inscrit à une fin de semaine de conférences et de séminaires sur les investissements immobiliers, donnés dans les Laurentides par Vickie et ses partenaires commerciaux. Il va en ressortir appauvri de près de 3 000 dollars, mais gonflé et motivé comme jamais. Il se sent enfin prêt à expérimenter sa première acquisition : un triplex rendu inhabitable par la culture de cannabis, repéré pendant la fin de semaine. « Un gros deal », lui disent les « experts » !

Tout calculé, les cours des coachs sont souvent plus onéreux — et périlleux — que la formation professionnelle ou collégiale reconnue par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) et le ministère de l’Éducation du Québec. Cette dernière, d’une durée de sept mois, aborde le droit immobilier, les mathématiques immobilières, la loi sur le courtage, les évaluations, la gestion des affaires et les bases de la construction. En plus, elle peut donner droit à de l’aide financière gouvernementale

Pour la mise de fonds, le coach en financement rencontré lors de cette fin de semaine conseille à Bertrand de souscrire un emprunt temporaire de 100 000 dollars auprès d’un prêteur privé — qui, apprendra-t-il plus tard d’un ami, remet un pourcentage à Vickie pour chaque client qu’elle lui présente —, à 32 % d’intérêts, plutôt que de retirer de l’argent de ses REER.

Un prêteur peut offrir un tel taux d’intérêt, mais puisqu’il se situe au-delà du taux officiel d’escompte de la Banque du Canada de plus de 22 points de pourcentage, il doit détenir un permis de l’Office de la protection du consommateur. Que le prêteur ait ou non ce permis, l’emprunteur doit tout de même avoir la capacité de rembourser.

Avant de faire affaire avec des prêteurs privés, vous devriez consulter les mises en garde de l’Office de la protection du consommateur. Et référez-vous aux experts officiels en prêt hypothécaire, soit les courtiers hypothécaires. Leur formation est encadrée par l’Autorité des marchés financiers.  

« Je trouvais déjà qu’un taux d’intérêt de 32 % était pas mal haut, mais ç’a été bien plus élevé au final : 75 %. Avec les frais d’étude de dossier, d’administration et d’assurance, ce bridge [prêt à court terme] ajoutait 75 000 dollars aux 100 000 que j’empruntais, raconte aujourd’hui Bertrand. Et il fallait que je rembourse le tout en moins d’un an. »

En dépit de ce que les « coachs en rénos » lui avaient affirmé lors de cette fameuse fin de semaine, il n’a pas réussi à retaper le triplex en moins de six mois et à encaisser le profit espéré de 200 000 dollars. La surenchère, l’achat sans inspection ni garantie légale, la pénurie de main-d’œuvre et les coûts élevés des matériaux nécessaires pour rendre son triplex habitable ne lui ont pas permis de rentabiliser son gouffre financier, comme il le qualifie aujourd’hui. Et le comble, « Vickie ne me rappelle plus ». 

Pour rembourser son prêteur, Bertrand a vidé ses REER et CELI, ceux de sa conjointe, les REEE de ses enfants. Son rêve de se bâtir un parc immobilier s’est évaporé. Il a fait récemment une proposition de consommateur pour éviter la faillite. Pour arriver, il doit recourir à une banque alimentaire de sa région une fois par mois. 

Et il est redevenu locataire.

Bertrand n’avait pas les ressources financières pour réussir pareille aventure. Comme le travail de Vickie n’est pas supervisé par l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, l’Autorité des marchés financiers ou l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec, il n’avait aucun recours. 

Avant de suivre un cours en ligne qui promet que vous « ferez fortune rapidement », il faut investiguer. Il y a des dizaines de bons formateurs bien intentionnés et détenteurs de certifications crédibles. En étant attentifs, vous allez repérer des ingénieurs, administrateurs agréés, comptables professionnels agréés, notaires, courtiers hypothécaires et immobiliers… qui ont l’expertise et l’encadrement nécessaires pour vous seconder et agir dans votre intérêt. De plus, et ce n’est pas négligeable, ces professionnels possèdent des assurances responsabilité de quelques millions de dollars en cas d’erreurs ou d’omissions.

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