« Je veux parfois aller trop vite »

Guy Cormier se donne comme défi de bâtir le Desjardins des 50 prochaines années. Mais il est le premier à reconnaître qu’il n’est pas simple de transformer une institution aux racines aussi profondément ancrées dans le Québec.

Photo : Rodolphe Beaulieu

Je tends un exemplaire de L’actualité de mars 1999 à Guy Cormier. Un reportage sur les douloureuses fusions de caisses chez Desjardins avait valu ce titre en page couverture : « La fin de ma caisse pop ? » Preuve qu’il y a longtemps qu’on dit que Desjardins n’est plus ce qu’il était.

Le PDG du Mouvement Desjardins en rit. « Ça fait 20 ans qu’on pense que la caisse pop est finie ! Au début des années 1980, quand Desjardins introduisait les premiers guichets automatiques, on disait que les machines allaient remplacer les personnes, qu’on déshumanisait l’entreprise. Aujourd’hui, on dit les mêmes choses sur notre transformation. »

Guy Cormier aborde de lui-même le sujet des critiques concernant la disparition de guichets automatiques dans des collectivités éloignées — un malheur pour la minorité d’irréductibles qui préfèrent encore la machine aux applications mobiles, mais surtout un symbole pour une institution qui a toujours fait de sa place en région une priorité. Le PDG de 49 ans ose l’analogie avec la Sainte-Flanelle. « Au Québec, les gens ont une relation passionnelle avec le club de hockey Canadien. Ils ont aussi ce genre de relation avec le Mouvement Desjardins, parce qu’ils l’ont vu grandir depuis 1900 et qu’il fait partie de notre tissu social. On l’aime, on le commente, on le critique. Parce qu’on veut qu’il soit meilleur et qu’il aille plus loin. »

Et comme pour le Tricolore, les gérants d’estrade peuvent être bruyants. Jusqu’au changement du logo de Desjardins, l’an dernier, qui a provoqué son lot de critiques… rapidement suivies d’un haussement d’épaules indifférent.

Guy Cormier est un pur produit Desjardins. Il a commencé comme caissier, en 1992, avant de devenir directeur de comptes commerciaux. Son retour sur les bancs d’école, en 2000, à HEC, lui a permis d’être nommé directeur de caisse à 32 ans. Après des passages remarqués comme vice-président des finances, puis au comité de direction, il a été élu en mars 2016 au titre de PDG, à 46 ans, le plus jeune de l’histoire de Desjardins.

En entrevue dans son bureau au sommet du Complexe Desjardins, à Montréal, il ne fait pas mentir sa réputation de verbomoteur. Et il a une idée claire du virage qu’il veut insuffler à la première institution financière coopérative en Amérique du Nord.

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Vous avez réagi négativement à notre palmarès des 100 personnes les plus influentes du Québec, qui vous plaçait au 75e rang. Qu’est-ce qui vous a dérangé ?

Je réagis toujours quand on compare Desjardins à une banque, ou qu’on dit qu’il est en train de devenir une banque. Ça me titille dans le mauvais sens, parce que ce n’est pas ma vision pour Desjardins. Je ne me suis pas fait élire pour ça et ce n’est pas ce que j’ai proposé.

Bien sûr, on est une institution financière, et réglementée comme telle. On offre des services équivalents à ceux des banques : 40 % de nos revenus proviennent de nos compagnies d’assurances. Mais on n’a pas la même mission qu’une banque. Nos décisions ne sont pas motivées par le rendement sur le capital ou l’obligation de générer des profits chez des actionnaires étrangers, en Asie ou aux États-Unis.

Si on était une banque, on n’aurait pas 2 000 guichets automatiques, mais 500, comme nos concurrents. On n’aurait pas 1 000 points de services, mais quelques centaines. Notre Centre de perception ne serait pas à Saguenay, notre Service de gestion des prêts étudiants ne serait pas à Gaspé, et notre centre téléphonique, on l’aurait délocalisé en Inde plutôt que d’aller revitaliser la tour du Stade olympique. Et on n’accorderait pas 82 millions de dollars en dons et commandites chaque année.

Le cinquième des points de services ont quand même disparu depuis 2012, et la même proportion de guichets automatiques. Dans plusieurs régions, des membres disent : vous faites 2,4 milliards de profits, mais vous m’enlevez mon guichet…

Je suis très sensible à ces messages-là. J’ai été directeur de caisse, et je peux vous assurer qu’un conseil d’administration n’a pas de fun à fermer un guichet ou à transformer un point de services. On sait que les gens ne seront pas contents. Mais on ne peut pas se fier uniquement au mécontentement dans les médias. On se fie à la façon dont les membres consomment leurs services financiers. Et ils le font à 85 %-90 % au moyen d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un cellulaire.

Malgré ça, on a décidé de garder 2 000 guichets automatiques pour l’instant. On va en fermer d’autres, on en rénove aussi, on investit des centaines de millions de dollars pour renouveler notre parc de guichets. Et dans 10 ans, il va encore en rester plus d’un millier. La dernière chose que je veux entendre, c’est qu’on pense que les aînés ne sont pas importants pour nous.

Chaque fois qu’on transforme un guichet automatique, les directeurs s’assoient avec les élus et les acteurs locaux et cherchent des solutions. On passe du temps dans les résidences pour personnes âgées. On a deux caisses mobiles, des véhicules qui se promènent dans les régions et offrent des services financiers. On ne part pas en ne laissant rien !

Comme président, c’est probablement l’un de mes plus grands défis : réconcilier les attentes d’une certaine catégorie de nos membres qui veulent des services guichets-caisse avec la forte proportion de nos membres qui fonctionnent avant tout de façon numérique.

N’empêche, même l’ancien président Claude Béland a dit en 2015 qu’il trouvait que Desjardins avait « perdu son âme ». Croyez-vous que les Québécois en sont moins fiers qu’avant ?

Je ne crois pas. On vient d’être nommé l’institution financière la plus cool au Canada pour la génération du millénaire. La marque Desjardins est forte, elle génère un fort attachement. Quand je me promène en région, on me dit : si Desjardins n’avait pas contribué, on n’aurait pas l’aréna, le festival culturel ou le club de soccer. Ce ne sont pas toutes les institutions financières qui font ça, encore moins les étrangères.

Le nombre de membres a grimpé à 4,5 millions de particuliers l’an dernier, notre plus forte hausse en 10 ans. Plus d’un Québécois sur deux fait affaire avec Desjardins. C’est assez unique, une entreprise qui existe depuis 120 ans et qui appartient non pas à un conglomérat, mais à ses membres. Les gens ont nécessairement des attentes qui ne sont pas les mêmes qu’envers des banques.

Quand j’étais jeune, mes parents allaient à la caisse le jeudi soir pour déposer le chèque de paye, et allaient faire l’épicerie par la suite. La définition de la proximité, à l’époque, était géographique. Aujourd’hui, la proximité est plutôt numérique. Alors je fais attention à ceux qui disent que Desjardins a perdu son âme. J’entends les commentaires négatifs, je les mets en perspective avec les milliers de membres qui disent : je suis content de voir Desjardins se moderniser, être de son temps, innover, investir.

Où voulez-vous amener Desjardins ?

Je veux en faire une organisation totalement centrée sur ses membres et ses clients. Qu’ils sentent qu’on travaille dans leur intérêt quand ils font affaire avec Desjardins. Que la technologie soit au service de l’humain, pas le contraire.

Je veux parfois aller trop vite, c’est mon principal défaut. Je suis très conscient que le Desjardins qui a été construit depuis 119 ans est précieux. Mais mon défi, c’est de construire le Desjardins des 50 ou 100 prochaines années. Dans une ère de quatrième révolution industrielle, je veux réussir à orienter Desjardins pour prendre ce virage-là, tout en respectant notre passé, sans nous désincarner.

Vous avez mené toute votre carrière chez Desjardins, contrairement à votre prédécesseure Monique Leroux. C’est un avantage ?

J’y vois plus d’avantages que d’inconvénients. Ça me permet de connaître l’organisation par cœur, son histoire, ses racines, son identité. Il y a un fit naturel, une cohérence entre mon action personnelle et celle de l’entreprise.

Il y a quelques années, c’était valorisé de changer de poste tous les deux ou trois ans. J’ai plutôt eu la réflexion que Desjardins était tellement gros — à 46 000 employés, on est le plus important employeur privé au Québec — que je pouvais bouger dans le réseau.

Mais je dois m’entourer de gens d’autres horizons. Une des premières décisions que j’ai prises après mon élection, ç’a été de nommer un comité-conseil jeunesse. Douze jeunes âgés de 18 à 30 ans : quatre employés de Desjardins, quatre membres de caisses et quatre membres de conseils d’administration de caisses. Pour me donner un point de vue externe, pour qu’ils me posent des défis autant sur les points de services que sur le développement durable. Je les rencontre régulièrement, on leur présente les mêmes dossiers que ceux soumis au conseil d’administration.

Plusieurs de vos prédécesseurs ont flirté avec la politique, en appuyant des partis ou des propositions. Pourquoi tenez-vous à rester apolitique ?

Mon rôle, c’est de servir les membres et de mettre au point des services. Je n’ai pas été élu pour prendre des positions politiques. Les gens s’attendent cependant à ce que je sois un leader socioéconomique. C’est en soutenant l’entrepreneuriat et les emplois en région que je veux exercer un leadership.

Il règne une odeur de populisme, tant aux États-Unis qu’en Europe. Celui-ci met en cause les institutions, y compris les institutions financières. Ça vous fait peur ?

Je suis convaincu que le modèle d’entreprise est une réponse au populisme. Il dit quoi, le populisme ? « On veut avoir voix au chapitre. On sent qu’il y a des inégalités dans la société. Qu’on n’est pas écoutés. Que la redistribution de la richesse n’est pas équitable. On sent une élite qui dirige ou s’en met plein les poches. » Or, c’est quoi le modèle de Desjardins ? Les gens peuvent s’impliquer dans leur caisse comme dirigeants, participer aux conseils d’administration, assister aux assemblées annuelles de caisses et voter sur les orientations du Mouvement. Les profits ne sont pas envoyés à des actionnaires, mais 253 millions cette année iront en ristournes — et tant que je serai président, elles seront là pour de bon.

À 2,76 millions de dollars, votre rémunération a grimpé de près du tiers depuis votre arrivée en poste. Que répondez-vous à ceux qui trouvent que vous êtes trop payé ?

Je suis parfaitement conscient que, pour certaines personnes, c’est un gros salaire, alors que pour d’autres, c’est une rémunération adéquate étant donné l’importance de l’organisation. Nous sommes la plus importante institution financière au Québec, on gère des actifs de 295,5 milliards avec 46 000 employés. Et 2018 a été une année record, autant en excédents qu’en nouveaux membres. C’est le conseil d’administration qui décide de mon salaire, et il se base sur les équivalents coopératifs dans le monde, pas sur ceux des banques, qui sont de trois à quatre fois plus élevés. L’ensemble de la rémunération de la haute direction du Mouvement (10 personnes plus moi) équivaut à la rémunération moyenne d’un seul président d’une banque canadienne.

Votre indice de productivité (le coût pour générer un dollar de profit) s’élève à 72,3, plus de 12 points au-dessus de la moyenne des banques. Celles-ci montrent les crocs pour vous faire concurrence au Québec. Comment allez-vous contrer ça ?

On a 40 % de parts de marché. Ça fait 25 ans que j’entends que les banques vont nous attaquer et prendre nos parts de marché dans les prêts hypothécaires, la gestion de patrimoine, les services aux entreprises. La réalité, c’est qu’on est plus performant que jamais.

Certains concurrents vont se distinguer par le numérique, avec les meilleures plateformes. D’autres, ce sera uniquement sur le prix. Nous, on va continuer de se distinguer par la proximité — personne n’est présent comme nous dans l’ensemble du territoire québécois. On a 3 000 membres qui s’impliquent dans les conseils d’administration de caisses.

Mais les gens ne viendront pas avec nous seulement parce qu’on est une coop ou qu’on remet de l’argent dans une collectivité. La chose la plus importante, c’est notre rôle premier d’institution financière et d’assureur, de servir adéquatement et de façon simple, humaine et moderne.

sur ce qu’il faut changer au Québec

Il y a encore trop de jeunes qui n’arrivent pas à faire carrière ou à se lancer dans les affaires. Nous n’avons pas les moyens de perdre un seul jeune. Avec la pénurie de main-d’œuvre actuelle, avec le poids démographique du Québec qui baisse au pays, un jeune qui décroche au secondaire ou qui n’atteint pas son plein potentiel, c’est un coût qui deviendra énorme pour la société. L’immigration aide à compenser, mais on ne met pas tout en œuvre pour aider notre jeunesse à prendre sa place dans la société.

Comment on fait ça ? Par un meilleur maillage entre les entrepreneurs et les collèges. Pour certains, c’est une hérésie que de vouloir rapprocher le monde du travail et celui de l’éducation, parce qu’on veut que l’école reste « pure ». Mais quand je parle à des dirigeants d’entreprise, tout comme à des particuliers, je constate qu’ils veulent que le système d’éducation soit adapté aux besoins futurs pour générer de la prospérité au Québec.

De plus, se lancer dans les affaires, c’est encore complexe au Québec. Entre les dédales administratifs, le numérique, comment on aide les jeunes à être innovants ? Ce n’est pas que la responsabilité des gouvernements. C’est aussi celle des entreprises. On a encore un grand défi en matière d’éducation financière. Je vois ce besoin pour beaucoup de jeunes de comprendre le fonctionnement des cartes de crédit, de l’emprunt hypothécaire, des taux d’intérêt, du budget.

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Bientôt je ne serais plus membre. Abusé et désabusé par votre « banque ». Votre discours j’en pense ceci. « Petits secrets et gros mensonges de votre banquier » Fabien Major

Pu capable d’entre les dirigeants de Desjardins nous dire avec le
sourire que tout est correct . La Desjardins n’est
plus qu’une structure impersonnelle . Sa mission est de faire du
fric . Si les membres envahissaient les assemblées générales pour
contester des décisions , pour remettre en question le salaire
des dirigeants , cela ferait peut-être allumer les potentats
de cette institution capitaliste de plus en plus détestable .

Cher monsieur,
Malheureusement, je crois que vous n’avez pas saisi l’essentiel du message de M Cormier. Desjardins est l’institution financière la plus présente et la plus proche de ses membres et clients.

Je suis une employée de Desjardins depuis 13 ans maintenant et j’ai vu l’évolution de cette institution depuis l’arrivé de M Cormier.

Son message est plus que clair et la culture membre-client est bien encrée dans les différents services que Desjardins offrent.

Les québécois doivent plutôt être très fiers de l’évolution de Desjardins . Notre institution financière est moderne, humaine, simple et performante.

BRAVO Desjardins ! Il faut être fier de ce que cette institution financière a réalisé pour les Québécois. Nous sommes privilégié de pouvoir compter sur ces nombreuses contributions dans tous les milieux et pour de nombreuses activités sociales et économiques.
Ce qui est encore plus remarquable c’est qu’elle accorde autant de soutien à des non membres avec les efforts concertés de tous ses membres qui eux permettent de partager à toute la communauté. Vous en connaissez vous des entreprises qui soutiennent les personnes qui ne les supportent pas. J’en suis membre depuis toujours et j’en suis très fier.