La Gaspésie, eldorado énergétique ?

Jean-Yves Lavoie rêve d’y exploiter un gisement de pétrole de «classe mondiale». Robert Vincent veut y capter ses «gisements» de vent. Des trésors d’énergie !

La Gaspésie, eldorado énergétique ?
Photo : iStockphoto

Le premier forage d’un puits de pétrole au Canada a eu lieu en 1859… en Gaspésie. Après avoir observé des suintements d’huile en surface, des investisseurs avaient foré, à l’époque, une cinquantaine de puits à la recherche de ce qui, espérait-on, allait remplacer l’huile de baleine. Ce que l’on a accumulé, depuis plus de 100 ans, ce sont plutôt des échecs et des déceptions.

La région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est la plus pauvre du Québec. Le taux de chômage y dépasse les 17 % et à peine 44 % de la population en âge de travailler occupe un emploi, contre 61 % pour la moyenne québécoise. Du pétrole, on en a cherché en Gaspésie — mais aussi presque partout au Québec. La pétrolière Shell, puis une société d’État créée dans le sillage de la Révolution tranquille — la Société québécoise d’initiative pétrolière (SOQUIP) — ont tenté leur chance. En tout, 300 puits ont été forés au fil des ans au Québec, avec un bilan très modeste.

Jean-Yves Lavoie, 57 ans, croit que cette fois sera la bonne. Président de Junex, une société de Québec, il est convaincu que toutes les conditions sont réunies pour qu’on trouve en Gaspésie un gisement pétrolier « de classe mondiale ».

Cela reste à voir, mais une chose est sûre : il y a du vent ! Sera-t-il celui de la prospérité ? Le gouvernement du Québec ne ménage certainement pas ses efforts pour qu’il en soit ainsi. Dans un premier appel d’offres, en 2005, Hydro-Québec s’est engagée à acheter l’électricité de neuf parcs éoliens en Gaspésie, totalisant 1 000 mégawatts (MW) et des investissements de 1,5 milliard de dollars. Ces parcs seront terminés en 2012.

Un deuxième appel d’offres porte sur la production de 2 000 MW d’électricité éolienne sur l’ensemble du territoire québécois d’ici 2013. La Gaspésie sera encore une fois favorisée : le gouvernement accorde aux entreprises du secteur éolien qui s’établissent en Gaspésie un crédit d’impôt de 40 % sur la masse salariale. De plus, il exige que 30 % des dépenses liées à son initiative éolienne soient faites dans cette région et dans la MRC de Matane, à l’extrémité est du Bas-Saint-Laurent. On parle pour ces deux régions de retombées pouvant atteindre 1,2 milliard de dollars — pour des investissements de 4 milliards.

Un souffle nouveau se fait sentir dans toute la Gaspésie. Dans son site Internet, la ville de Gaspé se targue même de posséder l’un des meilleurs « gisements » de vent au Canada. Et pour des promoteurs comme Jean-Yves Lavoie, de Junex, mais aussi Robert Vincent, président de 3Ci, PME de Saint-Bruno qui conçoit, met sur pied et exploite des parcs éoliens, ce souffle est porteur de grandes ambitions. Leur rêve pourrait se réaliser, ou se briser, en Gaspésie.

Junex exploite déjà deux gisements pétroliers tout près de Gaspé. On a extrait 1 065 barils de pétrole de l’un en 2005. Et on obtenait de l’autre une quarantaine de barils par jour. Ce n’est pas l’Alberta, mais c’est un début.

L’« Alberta » se trouve peut-être près de la baie des Chaleurs, dans la région de Paspébiac et de Bonaventure, où des études sismiques récentes suggèrent un potentiel considérable. « Une structure géologique comme celle-là est susceptible de contenir 500 millions de barils de pétrole », dit Jean-Yves Lavoie. Faites le calcul : l’exploitation de 10 % d’une telle réserve au cours d’une première phase pourrait rapporter 3,2 milliards de dollars, compte tenu du prix actuel d’un baril de pétrole (autour de 65 dollars). « C’est le genre d’entreprise qui peut vous faire passer à l’histoire et faire du Québec un véritable acteur de l’industrie pétrolière », dit Jean-Yves Lavoie.

Encore faut-il trouver le pétrole…

Junex, petite entreprise inscrite à la Bourse de croissance TSX pour les petites capitalisations, investit 1,5 million de dollars dans la région cette année, après avoir dépensé 2,5 millions pour les analyses sismiques.

Jean-Yves Lavoie se démène avec toute l’énergie du monde pour réaliser son rêve. Une semaine, il est à Terre-Neuve à un colloque de l’industrie pétrolière ; l’autre, à Calgary pour rencontrer des investisseurs. Il revenait tout juste de parcourir 1 800 km en trois jours en Gaspésie au moment de notre entrevue, qui a eu lieu au siège social.

Il a appris son métier à la SOQUIP, où il est entré en 1974, après des études de génie à l’Université du Québec à Chicoutimi. En 1999, il fonde Junex avec Jacques Aubert, qui en sera le président jusqu’en 2004 et qui préside aujourd’hui le conseil d’administration.

Robert Vincent, président de 3Ci, est lui aussi ingénieur. Il est lui aussi à la tête d’une entreprise qui paraît minuscule quand on la compare aux géants de l’industrie énergétique. Il parcourt lui aussi le Québec dans toutes les directions. Après cinq mois, l’odomètre de sa nouvelle automobile affiche déjà 34 000 km.
L’homme de 49 ans, natif de Sherbrooke, est fébrile quand je le rencontre, à la mi-juin, dans son bureau de Saint-Bruno. Il joue gros. Sa PME investit deux millions de dollars dans la préparation de sa soumission au deuxième appel d’offres lancé par Hydro-Québec. Pour capitaliser son entreprise et soumettre un plan plus ambitieux, Robert Vincent a même vendu sa participation dans le premier parc éolien qu’il a mis sur pied, à Murdochville, à son partenaire ontarien Crest Street. Je mesure l’ampleur du sacrifice. Lui et sa femme, Sylvie Archambault, présidente du conseil et responsable du développement stratégique et de la gestion, ont consacré cinq années à ce parc éolien, de sa conception, en 2000, jusqu’à son installation complète, en novembre 2005. C’était la première réalisation menée de bout en bout par 3Ci, qui fut créée en 1996 à la faveur de l’établissement du premier parc éolien du Québec, à Cap-Chat et à Matane. L’entreprise reste présente à Murdochville grâce à une participation dans un deuxième parc, de 54 MW, ainsi que dans un troisième, encore à l’état de projet, mais dont la première phase des travaux devrait débuter l’an prochain.

Le processus d’appel d’offres est exigeant et les soumissionnaires doivent fournir des réponses précises et réalistes avant la date butoir du 18 septembre. Y a-t-il suffisamment de vent là où on veut aménager un parc ? À qui appartiennent les terrains convoités ? Une entente avec les propriétaires est-elle acquise ? Quels sont les règlements qu’il faudra respecter ? Les populations concernées appuient-elles l’initiative ? Qui seront les partenaires ? Quel équipement utilisera-t-on ? Qui construira le parc et à quel coût ? Quel est l’échéancier ? Il faut également présenter un plan d’affaires détaillé et donner des garanties financières et d’exécution.

3Ci soumettra cinq concepts, l’un en Gaspésie, qui sera rendu public en août, un autre à Métis-sur-Mer, dans le Bas-Saint-Laurent, un troisième en Estrie (à Danville, près de Richmond) et deux autres encore à Thetford Mines. Le tout produirait 400 MW. À titre de comparaison, la dérivation de la rivière Rupert et la construction d’une nouvelle centrale (Eastmain-1-A), qui devrait être en service en 2010-2011, produiront 888 MW.

Aménager un parc d’éoliennes coûte environ deux millions de dollars par mégawatt. Ainsi, 3Ci devra investir autour de 850 millions de dollars si ses cinq concepts sont adoptés.

Les éoliennes contribuent de multiples façons au développement d’une région. L’exploitation d’un parc nécessite l’embauche d’une dizaine d’employés. Les sommes versées aux propriétaires des terrains sur lesquels sont installées les éoliennes peuvent représenter quelques millions de dollars par année.

Pour se démarquer de ses concurrents, Robert Vincent cherche à conclure des ententes qui permettront aux municipalités où il construira ses parcs d’éoliennes de participer aux profits d’exploitation. C’est ce qu’il appelle son approche « communautale ». Il a noué un partenariat avec la MRC de Métis, qui deviendra actionnaire du parc si celui-ci voit le jour, même si elle n’y investit pas. Les municipalités de la région de L’Amiante devraient également conclure ce type d’entente. 3Ci compte aussi sur l’appui du Mouvement Desjardins, dont une filiale est devenue actionnaire de l’entreprise.

Rien n’est assuré pour autant pour la PME montérégienne. Des sociétés québécoises comme Boralex (qui exploite six parcs éoliens en France), Energex, Axor et Hydroméga seront sans doute de la course. Le seront aussi quelques multinationales, dont la britannique RES, Cartier énergie éolienne (propriété du géant TransCanada et gagnante du premier appel d’offres, pour la fourniture de 740 MW, en 2005), ainsi que l’américaine Invenergy. Robert Vincent reste cependant confiant. « Nous soumettons un projet équilibré et nous avons une solide expérience dans l’aménagement des parcs d’éoliennes », dit-il.

Et s’il fallait qu’aucun de ses concepts ne soit retenu ? En plus de miser sur la troisième phase du parc d’éoliennes de Murdochville, 3Ci pourrait alors se tourner vers d’autres marchés, convaincue que son savoir-faire est exportable. « Chose certaine, il faut avoir une grande tolérance au risque quand on s’implique dans un processus comme celui-là », dit Robert Vincent.

Le patron de Junex, Jean-Yves Lavoie, aurait pu dire la même chose. D’ici la fin de l’année, on en saura beaucoup plus sur le potentiel pétrolier réel de la région de la baie des Chaleurs. Mais Jean-Yves Lavoie sait fort bien que son rêve, même s’il se réalisait, pourrait tourner au cauchemar. Car si chercher du pétrole ne bouleverse pas vraiment l’environnement, exploiter un gisement est une tout autre aventure. Il faudrait alors creuser de 30 à 40 puits, construire une usine de traitement et un oléoduc pour transporter le pétrole jusqu’à la mer, installer des réservoirs le long du port de New Carlisle et y faire venir d’immenses pétroliers.

Tout ça dans une région qui, selon le site Web de la ville de Bonaventure, se prend pour la Méditerranée du Québec, « grâce à la mer, la rivière et la culture ». Golfe Persique ou Méditerranée ? Telle pourrait être la prochaine grande question pour l’avenir de la région !