
On dit qu’un pays souffre de la « maladie hollandaise » quand un boum de son secteur des ressources naturelles entraîne un repli de son secteur manufacturier. L’expression fut lancée à la suite du boum du gaz naturel qui s’est produit aux Pays-Bas dans la décennie 1960. Les usines néerlandaises ont alors piqué du nez.
Aujourd’hui, au Canada, on peut pareillement dire que le secteur manufacturier de l’Ontario, du Québec et des Maritimes souffre de la maladie hollandaise que lui inflige le boum pétrolier de l’Alberta.
Le déclencheur a été l’envol du prix mondial du pétrole ayant commencé en 2002, qui a rentabilisé les sables bitumineux de l’Alberta. L’illustration ci-dessous permet d’en suivre les conséquences. La première section montre que le prix du pétrole West Texas Intermediate est passé de 26 dollars le baril en 2002 à une moyenne de 98 dollars de janvier à septembre 2014.
Le développement des ressources pétrolières dans l’Ouest a provoqué une entrée massive de capitaux étrangers au Canada. Nos exportations pétrolières ont grimpé en flèche. Mais pour acheter au Canada, comme pour y placer des fonds, les étrangers ont eu besoin de beaucoup de dollars canadiens. Par conséquent, la demande de huards a bondi et le taux de change du dollar canadien s’est considérablement apprécié. La deuxième section du tableau indique qu’il vaut 42 % plus cher aujourd’hui qu’il y a 12 ans. Partie de 64 cents en 2002, sa valeur était en moyenne de 91 cents de janvier à septembre 2014.
Naturellement, un huard 42 % plus cher signifie que les Américains doivent payer aujourd’hui 42 % de plus pour les produits manufacturés canadiens. L’appréciation a donc gravement nui à la position concurrentielle de nos entreprises manufacturières. La conséquence de cette perte de compétitivité est visible à la troisième section du tableau. Après avoir été stable autour de 22 % du PIB de 1996 à 2002, le poids des exportations québécoises aux États-Unis a maintenant baissé à 13 % du PIB. Un malheur ne venant jamais seul, l’épouvantable récession américaine de 2008-2009 et la faible reprise subséquente ont ajouté aux déboires de nos exportateurs.
La quatrième section du tableau dresse le bilan. Comme notre secteur manufacturier produit et vend beaucoup moins qu’avant, la part de l’emploi manufacturier dans l’emploi total au Québec s’est effondrée. En 2002, 18 % des travailleurs québécois étaient employés par des entreprises manufacturières. En 2014, ce pourcentage n’est plus que de 12 %. C’est même pire dans les autres provinces : l’emploi manufacturier n’y compte plus que pour 9 % de l’emploi total.
Un groupe de chercheurs dirigés par le professeur Serge Coulombe, de l’Université d’Ottawa, a récemment démontré qu’on peut attribuer les deux tiers de la chute de l’emploi manufacturier canadien depuis 2002 à la maladie hollandaise déclenchée par le boum pétrolier albertain. Réfléchissant à la chose, l’économiste canadien Robert Mundell (Nobel 1999) s’est déjà pris à regretter que l’est du Canada ne possède pas son propre dollar distinct. Dans l’épisode que nous vivons depuis 2002, une simple dépréciation du dollar de l’Est canadien par rapport à celui de l’Ouest nous aurait en effet déjà guéris de la maladie hollandaise.
Ainsi va la vie : en Amérique du Nord, l’orientation des échanges économiques est surtout nord-sud, mais il y a 150 ans, les pères de la Confédération ont plutôt voulu bâtir le pays dans le sens est-ouest. Un beau grand pays, mais il faut vivre avec les conséquences.
Bonjour M. Fortin
Il serait intéressant d’étendre votre analyse aux autres provinces pour voir si ce n’est qu’au Quebec qu’on retrouve ce « mal hollandais »
Cordialement
@Ray, relisez l’article … paragraphe 2.
Aujourd’hui, au Canada, on peut pareillement dire que le secteur manufacturier de l’Ontario, du Québec et des Maritimes souffre de la maladie hollandaise que lui inflige le boum pétrolier de l’Alberta.
Qu’en est-il de la Colombie-Britannique, de Saskatchewan et du Manitoba ?
Peut-on avoir un graphique démontrant l’évolution du secteur manufacturier par province sur plusieurs années ?
De plus, il serait intéressant d’avoir les sources utilisées par M. Fortin pour la rédaction de ce billet
Cordialement
Qu’en est-il de la Colombie-Britannique, de Saskatchewan et du Manitoba ?
Ce ne sont ne sont pas des provinces ou le secteur manufacturier a la même importance qu’au Québec et qu’en Ontario. De plus, la Sakatchewan est dans une situation similaire à celle de l’Alberta.
En fait, la piasse à Chrétien est descendue à 61 cennes noires en 2001
Est-ce que le NON l’aurait remporté en 1995 si les Québécois avaient su que leur dollar tomberait à 61 cennes ce qui fait qu’ils devaient payer jusqu’à 1,64 pour avoir un dollar américain lors de leur voyage en Floride?