
J’en ai pris conscience en voyant ma fille de deux ans s’installer sur la petite voiture rouge de son ami et tenter, hésitante, de déplacer le bolide de plastique en se propulsant avec ses pieds. Contrairement à son père, qui s’est empressé d’obtenir son permis de conduire dès 16 ans, Delphine pourrait ne jamais ressentir la joie de tenir un volant en filant sur une route de campagne par une journée ensoleillée d’été, avec la radio qui joue à tue-tête « Wonderwall », du groupe Oasis — un peu d’indulgence, c’était en 1996. Un jouet sera peut-être la seule auto qu’elle conduira dans sa vie, tellement les progrès des véhicules sans conducteur sont rapides.
« Pas nécessairement », tempère Nav Ganti, 23 ans, à qui je raconte l’anecdote lors de mon passage au Laboratoire sur les voitures autonomes de l’Université de Waterloo, en Ontario, le seul centre de recherche publique dans le domaine au Canada. L’informaticien, étudiant à la maîtrise, travaille avec 45 autres chercheurs pour que ma fille — et leurs enfants — n’ait plus besoin de conduire ou même d’acheter une voiture. « Elle pourrait encore conduire pour le fun si elle le souhaite, mais sur des circuits fermés, spécialement aménagés pour la conduite humaine, lance en riant le jeune homme. Ce sera un loisir, comme l’équitation. Plus personne ne va au travail à cheval, mais ça existe encore ! »
La comparaison n’est pas farfelue, dit Nicolas Saunier, professeur à Polytechnique Montréal et spécialiste du génie des transports, qui l’utilise également pour illustrer l’ampleur des changements à venir. La voiture autonome est le plus important bond en avant depuis que l’auto a remplacé le cheval, il y a plus d’un siècle, dit-il. Au fil des ans, le bolide à quatre roues est devenu plus sûr et plus confortable, mais ses fonctions ont peu changé. Cette période tire à sa fin. « Nous sommes à l’aube d’une révolution majeure. »
Le XXe siècle a été celui de l’automobile à essence. Elle est au centre de nos vies, des déplacements quotidiens jusqu’à son omniprésence dans la culture populaire. Elle a rendu les voyages abordables sur de longues distances et a permis de recevoir la pizza livrée à la maison un vendredi soir festif, mais elle a aussi fait exploser la consommation de pétrole et a favorisé la construction de quartiers périphériques toujours plus éloignés.
La transformation en profondeur de la voiture offre l’occasion de repenser l’aménagement des villes, aujourd’hui sclérosées par la congestion, étouffées par la pollution et minées par les accidents. C’est le paradoxe de cette invention : à la fois symbole de puissance et de liberté… mais aussi de destruction et de vies brisées.
Bien utilisée, la voiture électrique sans conducteur pourrait désintoxiquer la société moderne de sa dépendance à l’auto en solo. Mais sans planification adéquate, elle pourrait aussi l’y enfoncer davantage, avec à la clé une augmentation du trafic et de l’étalement urbain. « Pour en tirer profit, il faut se préparer, sinon ce sera au mieux une occasion ratée, au pire une catastrophe », soutient Nicolas Saunier.
La voiture de demain n’est plus de la science-fiction. L’ordinateur sur roues arrive. General Motors a dévoilé en janvier dernier une variante autonome de sa Bolt électrique sans volant ni pédales, et demande aux autorités américaines la permission de tester le véhicule sur les routes l’an prochain, pour une commercialisation d’ici quatre ans. À San Francisco, les employés de Cruise, une filiale de GM, se déplacent déjà à bord de 50 automobiles sans conducteur entre leur lieu de travail et leur domicile dans le cadre d’un projet-pilote. Toyota et Volvo prévoient en tester à grande échelle sur les routes en 2021.
Dans quatre États américains, les 58 autos de Waymo, filiale de Google, ont déjà parcouru 6,4 millions de kilomètres sans intervention humaine. En Arizona, ce sont des familles ordinaires qui mettent à l’épreuve ces modèles autonomes, en allant reconduire les enfants à l’école et en se rendant au travail.
À Pittsburgh et à Phoenix, la multinationale du covoiturage commercial Uber a déjà fait monter 50 000 passagers dans ses voitures autonomes — un conducteur est encore à bord pour s’assurer que tout se déroule bien.
Une trentaine de grandes entreprises sont engagées dans cette nouvelle ruée vers l’or. Dans moins de 20 ans, en 2035, le marché de la voiture autonome atteindra 77 milliards de dollars par année, selon l’évaluation du cabinet d’experts-conseils Boston Consulting Group.
La BMW i8 Roadster est, jusque dans son plus menu détail, le parfait porte-étendard de la conception avant-gardiste que nous priorisons chez BMW. Ses lignes futuristes expriment une esthétique hautement dynamique, qui coupe le souffle du connaisseur avant même qu’il n’enfonce l’accélérateur. Au premier coup d’œil, ce sont ses imposantes portières en élytre en fibre de carbone légère qui font la plus grande impression. L’avant, très athlétique, affirme fièrement son unicité avec ses phares LED doublés des Air Curtains redessinés, mais garde des airs de famille en arborant l’iconique double calandre BMW. Sa distinctive Black Belt prend naissance sur le capot et s’allonge jusqu’à l’arrière du véhicule, venant accentuer la silhouette compacte de la voiture. Quant au design Streamflow, il permet l’écoulement optimal du flux d’air, prodiguant un aérodynamisme insurpassable. La BMW i8 Roadster constitue un mariage idéal entre fonctionnalité et splendeur, parfaitement combinées pour vous offrir, ultimement, une incomparable liberté.
Au Québec, l’entreprise Keolis a demandé à la Société de l’assurance automobile (SAAQ) d’autoriser un projet-pilote pour faire circuler un petit autobus électrique sans conducteur dans le quartier de l’Île-des-Moulins, à Terrebonne, dès cet été. La navette d’une quinzaine de places, de la société française Navya, se promènerait entre les cyclistes, les piétons et les autos, et relierait les stationnements, les restaurants et les salles de spectacle du secteur. Cela permettrait aussi de prendre le relais du transport en commun à grand débit, comme l’autobus ou le train, explique Marie Hélène Cloutier, vice-présidente Expérience passager à Keolis Canada. « Il faut offrir un moyen de transport moderne et fiable pour décourager les gens d’utiliser leur voiture », dit-elle. Un autobus identique circule dans les rues de Lyon, en France, depuis plus d’un an. La SAAQ analyse le dossier depuis novembre, le premier du genre à lui avoir été soumis.
L’Ontario est la seule province qui permet à des véhicules automatisés de circuler dans ses rues, à certaines conditions. Plus pour longtemps. Le projet de loi 165 du gouvernement du Québec, Loi modifiant le Code de la sécurité routière, contient un petit paragraphe passé inaperçu et qui permet au ministre d’autoriser des projets-pilotes de cinq ans pour les voitures et navettes autonomes.
Au 19e étage de l’austère immeuble gris du ministère des Transports (MTQ), à deux pas du parlement de Québec, les fonctionnaires sont bien au fait du dossier Keolis et ils s’attendent à ce que d’autres entreprises suivent rapidement. « On est à un tournant, et c’est loin d’être seulement une question de technologie », soutient Isabelle Gattaz, coordonnatrice à la Direction de la politique de mobilité durable et de l’électrification au MTQ. Elle dirige une petite équipe de fonctionnaires qui réfléchit à cet enjeu majeur et conseille le gouvernement. « Ça touche les infrastructures, les déplacements, l’urbanisme, les assurances, les emplois, énumère-t-elle. On voit ça d’un œil positif, mais on reste attentif aux défis qui s’en viennent. »
Le fédéral et les provinces élaborent présentement une stratégie nationale sur la voiture sans conducteur, qui devrait être dévoilée l’an prochain. L’actualité a pris les devants et a déterminé 10 chantiers auxquels doivent travailler les constructeurs et les décideurs pour réussir l’intronisation de la nouvelle reine de la route.
Adapter les infrastructures
La congestion routière pourrait disparaître… si les gouvernements suivent le rythme.
À bord de l’un des trois bolides sans conducteur de l’Université de Waterloo, une berline Lincoln MKZ bleue rebaptisée d’un très canadien « Autonomoose » — des mots « autonome » et « moose » (orignal, en anglais) —, j’observe les passants, intrigués par les huit caméras sur la carlingue et le drôle d’appareil qui tourne sur le toit (un lidar, ce laser qui permet de mesurer la distance entre les objets). Ils ont l’air de se demander si la Lincoln sort d’un film futuriste de série B !
Une réaction normale, dit avec le sourire Matthew Pitropov, 23 ans, assis à côté de moi à l’arrière. « On se fait moins poser de questions qu’au début, quand les gens nous arrêtaient au coin des rues, fascinés. Ils commencent à être habitués à nous voir passer », fait-il remarquer, les yeux rivés sur un écran d’ordinateur accroché au siège devant lui. Matthew Pitropov était développeur Web avant de se recycler comme chercheur dans le domaine des voitures automatisées. Il avait besoin d’un défi plus stimulant qu’Internet, tellement XXe siècle… « Ici, j’ai l’impression de contribuer à façonner l’avenir. »
Derrière le volant, Kevin Lee, 25 ans, se concentre sur la route, alors que Matthew Pitropov et un autre collègue chercheur, Danson Garcia, scrutent les écrans où défilent des formes colorées. Elles représentent des piétons, des panneaux d’arrêt, des feux de circulation, ainsi que les voitures que nous croisons dans les rues du campus et celles du quartier résidentiel autour. Ce que les radars, caméras et capteurs installés sur l’auto perçoivent est envoyé au cerveau de la voiture, un logiciel qui fusionne les informations et fait réagir la carcasse de métal en une fraction de seconde, plus rapidement encore que le réflexe d’un humain.
Le mode sans conducteur s’active au moyen d’une manette de jeu vidéo déposée entre les deux sièges avant. Juste à côté, un gros bouton d’urgence rouge attire l’attention. « C’est le dernier recours. Si on appuie sur ça, l’auto s’arrête d’un coup ! explique Kevin Lee. Le plus simple, c’est de basculer en mode manuel. »
La Lincoln MKZ modifiée est doté de capteurs, radars et caméras qui permettent de reconnaitre son environnement. Les chercheurs scrutent les écrans d’ordinateurs où l’ont voit défiler des formes de couleurs autour de la voiture, qui représentent des piétons, camions, arrêts…
Lorsque la technologie sera au point, dans quelques années, l’immense quantité de données digérées par la voiture — 30 images par seconde — permettra à celle-ci de comprendre son environnement jusqu’à 500 m de distance et d’adapter son comportement en fonction de la circulation ou des conditions météo. Les autos pourront également s’échanger de l’information entre elles grâce aux fréquences à ondes courtes déjà réservées par les autorités canadiennes et américaines. Cette masse d’informations permettra à la voiture de modifier son trajet et de trouver le meilleur chemin jusqu’au bureau, la maison ou le terrain de soccer des enfants. « Fini l’écoute avec angoisse du bulletin de circulation à la radio ! » lance Kevin Lee. Les autos rouleront plus près les unes des autres et à vitesse constante, ce qui améliorera le flot de la circulation.
Une société de recherche australienne, Global Positioning Specialists, a calculé que dans la région de Montréal, l’automobiliste moyen perd l’équivalent de 15 jours par année dans la congestion ! (Mince consolation, à Mexico et à Moscou, c’est deux fois pire.)
Il n’y aura pas que les autos qui pourront s’échanger de l’information en continu : les infrastructures routières émettront aussi des signaux vers les voitures en mouvement. Les feux de circulation les préviendront qu’ils s’apprêtent à passer au rouge ou au vert. Même chose pour les panneaux d’arrêt et les passages à niveau.
Un énorme chantier, convient David Johnson, conseiller en véhicules intelligents au MTQ, un poste récemment créé. « On a plus de questions que de réponses. On écoute, on regarde la technologie qui progresse, mais on n’est pas rendu à prendre des décisions sur le type d’infrastructures connectées dont on va avoir besoin », affirme ce trentenaire aux allures de surfeur égaré dans les couloirs beiges du ministère des Transports.
Les autorités sont dans une situation difficile, puisque la technologie évolue rapidement, soutient John Wall, vice-président de BlackBerry et directeur général de la filiale QNX, très active dans les voitures sans conducteur. BlackBerry, champion déchu des téléphones intelligents, pourrait briller de nouveau grâce aux véhicules automatisés, où son expertise en logiciels sécurisés attire l’attention. La société ontarienne vient notamment de tisser une alliance avec le géant chinois des technologies Baidu. QNX a procédé avec succès à ses premiers tests de voiture sans conducteur l’automne dernier, en banlieue d’Ottawa. « Je rencontre des politiciens et des fonctionnaires régulièrement, dit John Wall. Ils doivent planifier les infrastructures pour une période de 15, 20 ou 25 ans, alors que personne ne connaît la vitesse de cette révolution ni quelle technologie sera optimale. Mais un jour, ils devront prendre des décisions. »
Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, en est pleinement conscient, lui qui s’est rendu en Californie l’automne dernier pour rencontrer les dirigeants de Tesla et d’autres gros noms de l’industrie. Il a été soufflé par leurs progrès. « On doit avoir le pied sur l’accélérateur et adapter nos lois, affirme-t-il. On n’a pas de temps à perdre. Il va falloir encore quelques années avant que la voiture autonome s’implante, mais pour que les gens aient confiance, il faut que les gouvernements sachent où ils s’en vont. »
Et il n’est pas le seul à chercher comment adapter les politiques publiques à l’essor de cette technologie. Lors des deux dernières rencontres des ministres des Transports des pays du G7, l’auto sans conducteur était le grand sujet de discussion. Les États-Unis, l’Allemagne et le Japon, des puissances automobiles, mènent le bal, soutient Marc Garneau. « Mais on n’est pas des “suiveux”, on échange de l’information constamment pour harmoniser les règles », dit-il.
Un récent rapport de la société néerlandaise d’experts-conseils KPMG a évalué les pays prêts à accueillir les voitures automatisées sur leurs routes. Le Canada s’est classé au 7e rang sur 20, derrière notamment les États-Unis, la Suède et la Grande-Bretagne, mais devant le Japon, la France et la Corée du Sud. Le rapport notait que le Canada est ouvert à l’innovation et que les autorités souhaitent adapter leurs règlements. Il aurait même pu faire meilleure figure s’il n’avait pas hérité d’une 11e place dans la catégorie des infrastructures. « Il nous reste encore beaucoup à faire », convient Marc Garneau.
Assurer la sécurité des passagers
Le nombre d’accidents chutera de façon draconienne, selon les experts. Mais il faudra revoir les dispositifs de sécurité à l’intérieur des voitures.
Le vacarme de métal venant des véhicules qui se percutent lors d’une collision frontale, même à « seulement » 48 km/h, est assourdissant. Les voitures, deux berlines Ford Fusion noires, sont dans un piteux état. Les pompiers font le tour de la scène avant de nous laisser approcher. Une odeur de brûlé assaille nos narines, venant des sacs gonflables. « Il manque l’odeur du sang que les ambulanciers et les policiers respirent en arrivant sur les lieux d’un accident. Pour le reste, c’est parfaitement réaliste », précise Suzanne Tylko, chef de recherche sur la résistance à l’impact pour Transports Canada, en scrutant les amas de ferraille.
Avec les 15 employés de ce qu’elle surnomme le « crash lab », Suzanne Tylko vérifie ce jour-là les nouvelles ceintures gonflables à l’arrière des véhicules, et les conséquences sur ses mannequins dotés de capteurs. « On veut voir si la norme est à jour. On ne va pas attendre qu’il y ait des morts ! » lâche cette femme énergique, avec le franc-parler qui ajoute à sa renommée au sein de Transports Canada, où elle travaille depuis plus de 20 ans.
Le Centre d’essais et de recherche pour les véhicules automobiles de Transports Canada, à Blainville, au nord de Montréal, est l’un des plus modernes en Amérique du Nord, et parmi les plus reconnus de la planète pour son expertise en ce qui a trait aux répercussions des accidents sur les humains. À n’en pas douter, c’est là que les véhicules autonomes seront mis à l’épreuve.
« Je pense en tester d’ici 10 ans, peut-être même 7 », dit Suzanne Tylko. Un délai très court, puisqu’il faudra adapter la recherche et même inventer de nouveaux mannequins. Les modèles actuels permettent d’évaluer les chocs frontaux et latéraux, rien d’autre. Or, dans une voiture autonome, les passagers ne seront plus sagement assis face à la route. Parfois, ils seront assis en angle ou même tournés vers l’arrière, grâce à des sièges pivotants. À un très haut niveau d’autonomie, ceux assis à l’avant vont peut-être lire, se faire un café ou travailler à l’ordinateur pendant le trajet. Des situations que les mannequins d’aujourd’hui ne permettent pas de reproduire. Advenant une collision, comment réagirait le corps ? « Tout sera à revoir pour protéger les gens », dit Suzanne Tylko.
Concevoir un nouveau mannequin peut demander jusqu’à 15 ans, la collaboration de plusieurs pays et des millions de dollars en recherche. « Ce n’est pas le futur, pour nous, c’est maintenant ! C’est bien, l’auto autonome, mais on a encore du chemin à faire pour être prêt ici. »
Suzanne Tylko est toutefois rassurée par le potentiel de cette technologie, qui devrait faire chuter le nombre d’accidents de façon draconienne. « Ne serait-ce que pour sauver des vies, c’est une innovation qui vaut la peine. »
Un parc composé à 75 % de voitures autonomes ferait diminuer les accidents de 80 %, selon la plupart des études récentes. La technologie de ces bolides ne s’endormira pas au volant, ne sera pas distraite par son téléphone et ne conduira pas avec les facultés affaiblies par les drogues ou l’alcool.
L’erreur humaine est à l’origine de 94 % des accidents de la route, qui enlèvent la vie à cinq personnes par jour au Canada — 1 669 morts et 116 735 blessés en 2015. Des collisions qui bouleversent des vies… et qui viennent avec une facture salée : 46 milliards de dollars par année si on inclut la réparation des véhicules, l’indemnisation des victimes et la perte de productivité économique. Le Conference Board estime que, en additionnant les collisions évitées, les gains de temps et de productivité ainsi que l’économie de carburant, les véhicules automatisés représenteraient un enrichissement de 65 milliards de dollars par année au Canada.
« Un jour, on dira qu’on a été fou d’avoir laissé les humains conduire ! » prédit le professeur Nicolas Saunier, de Polytechnique.
Passer à l’autopartage
C’est en devenant un service partagé que la voiture autonome améliorera réellement notre qualité de vie.
Une auto intelligente semblable à la Lincoln MKZ que les passants voient parfois circuler dans les rues près de l’Université de Waterloo, ça vous tente ? Attendez avant de vous précipiter chez le concessionnaire pour en réserver une, conseille John Wall, directeur général de QNX, dont les logiciels sont mis à contribution par l’Université. Cette bagnole autonome coûte quand même 400 000 dollars !
Le prix baissera graduellement, comme c’est le cas pour toutes les nouvelles technologies, mais les premières voitures autonomes coûteront cher à produire, de sorte que, mis à part quelques riches, le quidam n’aura pas les moyens de s’en procurer une dans les premières années. « La possibilité que le citoyen de la classe moyenne s’achète une telle auto, je ne la vois pas avant 2040 », dit John Wall.
La cohabitation entre l’auto sans conducteur et le véhicule piloté par l’humain s’étalera sur une longue période. Le parc automobile en Amérique du Nord se renouvelle à hauteur de 8 % par année.
Le président du Groupe de travail sur l’économie collaborative du gouvernement du Québec et ancien conseiller municipal à Montréal, Guillaume Lavoie, ne voit carrément pas d’avenir à l’achat de voitures automatisées par des particuliers. « Aucun modèle d’affaires ne va justifier ça », croit-il, puisque l’auto typique reste stationnée, inerte et inutile, 95 % du temps. « L’auto intelligente sera toujours trop chère pour la laisser garée aussi longtemps. Elle devra rouler, rouler et rouler pour justifier son acquisition. » Et pour rouler plus de 5 % de la journée, elle devra être partagée par plusieurs utilisateurs. Même qu’en milieu urbain et semi-urbain elle devrait devenir un service sur demande.
Ce sont d’abord les entreprises qui utiliseront les véhicules sans conducteur pour déplacer des gens ou des marchandises. Leur introduction commencera en circuit fermé, par exemple sur les campus, dans les aéroports, les parcs industriels ou des environnements contrôlés, comme les mines ou les forêts. Suivront les parcs de taxis, les voitures à la carte, comme Car2go ou Auto-mobile, et les fournisseurs de covoiturage commercial, tels Uber et Lyft. De gros noms comme Ford, GM, FedEx et même Amazon reluquent le marché du déplacement à la carte par voitures et camions automatisés.
En 2015, le nombre de kilomètres parcourus dans le monde grâce à des services de mobilité sur demande représentait 4 % des déplacements. Une proportion qui grimpera à 26 % dans une douzaine d’années, soit un trajet sur quatre, selon la banque d’affaires Morgan Stanley.
Un partage à grande échelle permettrait de faire diminuer plus rapidement la congestion et la pollution. « Le grand défi, c’est de changer complètement notre mentalité », explique Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. « Remplacer chaque moteur à combustion par une auto électrique sans conducteur serait un gâchis. Ce serait contribuer à la sédentarité et à l’épidémie d’obésité. Il faut impérativement réduire le nombre de véhicules. »
Les gouvernements pourraient donner un coup de pouce. Au MTQ, des experts imaginent des situations où l’État interdirait l’achat individuel de voitures autonomes. « Si tout le monde a son auto automatisée, qui le reconduit au bureau, puis revient se garer à la maison, puis va chercher les enfants à l’école en fin de journée, puis repart vers le bureau… il y aura constamment des autos sur les routes. Les heures de pointe seront interminables », raconte Isabelle Gattaz, assise dans une petite salle de conférence au ministère des Transports. « On pourrait autoriser, du moins dans les premières années, seulement certaines catégories d’acheteurs de véhicules autonomes. Rien n’est encore clair. »
La poussée viendra également de la nouvelle génération. Dans les pays occidentaux, particulièrement en ville, les 16 à 34 ans boudent l’achat d’une voiture dans une proportion inégalée.
À Montréal, le nombre de jeunes titulaires d’un permis de conduire est à un plancher en 20 ans, selon la SAAQ. En 1997, près de 28 % des 16-19 ans possédaient un permis. Ce n’était plus que 16,5 % en 2016. Chez les 20-24 ans, la proportion est passée de 53 % à 45 %. Même dans la tranche d’âge des 25-34 ans, où l’on fonde une famille et où les déplacements se complexifient, la baisse se confirme : la proportion est passée de 66 % à 58 % en 20 ans.
À l’extérieur de la métropole, où les solutions de rechange à la voiture sont moins nombreuses, la chute est tout aussi visible.
Pour la génération du millénaire, la rutilante reine à quatre roues n’est plus le reflet d’un statut social, comme elle l’était pour ses parents, ni le symbole d’une indépendance fraîchement acquise. À l’époque où Facebook et Instagram permettent de se définir publiquement, l’auto est devenue un moyen onéreux d’exprimer sa personnalité. Pour nombre de jeunes, conscients de l’impact environnemental de l’auto, la bagnole est davantage une nuisance.
C’est ce qui fait dire à Bob Lutz, ancien vice-président de GM et ex-cadre de Chrysler, Ford et BMW, que « l’ère de l’automobile individuelle tire à sa fin ». L’avenir est dans le partage, et les constructeurs de voitures autonomes devraient se concentrer sur les exploitants de parcs de véhicules. Les plus visionnaires devraient carrément se lancer dans ce business de la voiture sur demande, a-t-il dit au magazine spécialisé Automotive News l’automne dernier. « On ne vendra plus des autos, mais des kilomètres », prédit-il.
Un changement qui forcera peut-être les constructeurs à modifier le design des voitures. « Comment construit-on une auto destinée avant tout à être partagée ? Un jeune n’a pas les mêmes besoins qu’une famille, qui doit avoir un siège d’enfant à bord. Est-ce que les voitures seront plus facilement modulables ? Ce sera intéressant », souligne John Wall, de QNX.
Pour les familles, troquer la voiture ou le VUS contre une mobilité à la carte simplifiée par l’avènement de la voiture sans chauffeur serait un immense bénéfice financier, puisque les coûts de déplacement chuteraient. Une étude de Bloomberg menée en 2016 estime qu’en 2025, aux États-Unis, utiliser une auto traditionnelle à essence coûtera 0,27 $ US le kilomètre, alors que la facture de déplacement avec un véhicule partagé serait de 33 % à 59 % moins chère — entre 0,11 $ US et 0,18 $ US le kilomètre.
Les voitures sans conducteur pourraient également aider des millions de personnes vulnérables à se déplacer. Près de 14 % des Canadiens sont limités dans leurs mouvements quotidiens, soit en raison d’un handicap physique ou mental, soit en raison de l’âge — la proportion grimpe à 43 % chez les 75 ans et plus.
Un désarroi pour des millions de personnes dans une société vieillissante, écrit le comité sénatorial des Transports dans un volumineux rapport sur les véhicules automatisés, publié en janvier dernier. « Ne pas avoir accès aux transports en commun ou ne pas pouvoir utiliser un moyen de transport personnel peut empêcher certaines personnes de recevoir des soins de santé, de trouver un emploi ou de participer à des activités sociales. Ce problème peut être particulièrement grave dans les régions rurales », peut-on lire.
Réaménager les villes
À quoi pourraient-elles ressembler quand on n’aura plus besoin de stationnements et de grands boulevards ?
Dans les nouveaux locaux torontois d’Uber, au nord-ouest du centre-ville de Toronto, des dizaines d’employés alignés sous les grandes fenêtres de cet ancien bâtiment industriel suivent sur leurs écrans d’ordinateur les chauffeurs qui transportent des passagers ou qui livrent des repas dans la ville. La circulation est loin d’être fluide en ce mardi avant-midi. De sa fenêtre, Adam Blinick regarde les nombreuses voitures qui attendent au feu de circulation, en bas. « Voilà ce qui se passe quand l’humain laisse une technologie dicter sa vie et dessiner ses villes. Il y a 1,3 milliard de véhicules dans le monde et dans chaque grande ville, on le ressent. Il faut que ça cesse ! » lance le directeur des politiques publiques d’Uber Canada.
La guerre entre ce géant techno et les taxis retient l’attention partout dans le monde, mais l’entreprise américaine a les yeux rivés sur la prochaine étape. Sa division qui met au point l’auto sans conducteur, Uber ATG, compte 1 500 employés, dont 30 à Toronto, dans le seul labo de recherche de la multinationale hors des États-Unis. Deux prototypes, des Volvo XC90 modifiées, circulent dans la Ville reine depuis des mois, sans passagers — pour l’instant.
Toronto permet non seulement des projets-pilotes dans ses rues depuis 2015, mais elle réfléchit également à la transformation urbaine à venir. Un rapport commandé par la mairie à David Ticoll, chercheur à la Munk School of Global Affairs, de l’Université de Toronto, montre que si la majorité des trajets s’effectuaient dans des véhicules partagés, le nombre de voitures se déplaçant dans les rues de cette ville chuterait de 61 % d’ici 2030. Des véhicules automatisés électriques réduiraient les gaz à effet de serre jusqu’à 94 %, écrivait-il.
Selon les chercheurs de l’Institute for Transportation and Development Policy, à New York, si l’auto sans conducteur devient largement partagée, 9 voitures sur 10 pourraient disparaître de la route dans les grandes villes nord-américaines d’ici 30 ans.
Moins d’autos signifie un réaménagement de l’espace urbain. En Amérique du Nord, il y a huit fois plus de places de stationnement que d’autos ! À Montréal, environ 500 000 cases dans les rues et les stationnements à ciel ouvert sont destinées à une voiture qui attend le retour de son maître (une superficie de 15,5 km2, soit deux fois le mont Royal) — c’est sans compter les stationnements sur les terrains privés des résidences.
Supprimer ces places inutilisées permettrait l’ajout de pistes cyclables, de parcs, de trottoirs élargis ou encore un réaménagement immobilier. « Dans l’histoire, ce n’est jamais arrivé qu’on puisse ajouter de l’espace dans les centres urbains. Ce serait formidable », affirme Guillaume Lavoie.
Montréal commence à songer au potentiel et aux embûches de cette révolution à quatre roues. En avril 2017, elle a investi 3,6 millions de dollars pour créer Jalon Montréal, l’Institut des transports intelligents, afin de superviser l’essai des voitures autonomes sur son territoire. La mairesse Valérie Plante a signifié aux ministres du gouvernement du Québec qu’elle souhaitait accueillir plusieurs projets-pilotes.
Le 1er février dernier, lors du Forum Startup Innovation, tenu dans les locaux du cabinet d’avocats BCF, au centre-ville, Valérie Plante a affirmé que l’objectif de diminuer les gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050 à Montréal ne pourra être atteint sans un bouleversement dans les moyens de transport. « Il faut changer de culture », a-t-elle lancé aux invités, puisque le nombre de déplacements n’est pas près de diminuer. La population du grand Montréal grimpera de 14 % d’ici 2031, pour atteindre 4,3 millions de personnes. « Il faut penser transports intelligents, véhicules autonomes, stationnements intelligents. Réduire l’affluence sur nos routes et au centre-ville. Il faut trouver des moyens de mieux utiliser les transports en commun. »
Dans son rapport présenté à la Ville de Montréal en janvier dernier, la société de consultants CIMA + souligne que la principale difficulté pour les élus sera d’adapter la réglementation au bon moment. « On veut éviter que les véhicules autonomes deviennent disponibles sans profiter pleinement de leurs avantages et sans contrôler ni encadrer leurs impacts négatifs de façon cohérente », peut-on lire dans le document de 80 pages. « Inversement, la Ville ne doit pas être dans une position trop proactive, auquel cas elle impose aux nouvelles technologies un cadre réglementaire trop lourd et trop tôt dans leur développement, nuisant aux bénéfices potentiels. »
Par exemple, à quel moment faudra-t-il créer des débarcadères au centre-ville pour faciliter la vie des utilisateurs de véhicules autonomes partagés ? Quand transformer les places de stationnement superflues sans nuire à ceux qui en utilisent encore ? Quand réduire la largeur des voies de circulation ?
Une réaction inappropriée des autorités ou un laisser-aller total pourrait au contraire mener à la catastrophe : un étalement urbain presque sans fin et une augmentation du trafic. On peut penser, par exemple, que le confort de l’auto sans conducteur, qui permettra d’y travailler à son aise — ou d’écouter des films ! —, pourrait amener des gens à accepter de vivre de plus en plus loin de leur travail, et de troquer les transports en commun contre l’habitacle personnalisé de la voiture. « Ce serait l’enfer », dit Guillaume Lavoie.
Une possibilité qui n’a pas échappé au MTQ. « Ça mettrait beaucoup de pression sur les infrastructures », souligne David Johnson, conseiller en véhicules intelligents au MTQ. Dans certains États américains, comme l’Oregon, on songe d’ailleurs à imposer une taxe spéciale sur le nombre de kilomètres parcourus, afin d’enrayer l’étalement urbain.
Repenser le transport en commun
Là où le transport en commun est difficile à mettre en place, la voiture autonome pourrait être la solution.
Exploiter une seule ligne d’autobus pendant les heures de pointe aurait coûté 600 000 dollars par année à Innisfil, une ville de 36 000 habitants à 1 h 15 de route au nord de Toronto, au bord du lac Simcoe. Trop cher ! « La pression était forte pour offrir quelque chose, mais on ne pouvait pas faire payer par tout le monde un système qui ne serait presque pas utilisé », dit le maire, Gord Wauchope.
Depuis mai 2017, Innisfil sous-traite son transport collectif à Uber, une première mondiale. Les résidants paient un prix fixe pour une course entre certains points de la ville — par exemple, cinq dollars pour se rendre à la station de train de Barrie, ville voisine, qui relie directement le centre-ville de Toronto, où nombre de résidants d’Innisfil travaillent. La municipalité verse à Uber et ses chauffeurs la somme qui dépasse le prix fixe. Chaque fois que c’est possible, plusieurs personnes qui vont dans la même direction partagent une voiture grâce au service UberPool, ce qui fait diminuer le prix de la course pour la Ville et limite le nombre de voitures sur la route.
Innisfil prévoit qu’il lui en coûtera 125 000 dollars en 2018. « Les gens ont un système abordable, de porte-à-porte, et la Ville n’a pas une structure de coûts trop lourde », explique le maire. Si l’expérience est concluante, la Ville pourrait, dans plusieurs années, poursuivre son partenariat avec la version sans conducteur d’Uber, ou mettre en fonction son propre parc automatisé sur demande.
Dans les municipalités de petite et moyenne taille, un parc de véhicules sans conducteur pourrait remplacer tout le système de transport en commun, souligne un récent rapport d’Horizons de politiques Canada, un petit groupe de fonctionnaires fédéraux responsables de réfléchir aux grandes tendances qui toucheront la société dans les décennies à venir. Le document, intitulé Canada 2030 : Et si les véhicules autonomes étaient la nouvelle solution de transport en commun pour les villes, avance que cela pourrait répondre à la demande en dehors des heures de pointe, mais aussi aider « le transport médical et la visite des touristes ».
La réflexion s’applique aussi aux secteurs moins densément peuplés des grandes villes. Une expérience en ce sens est en cours à Helsinki, en Finlande, avec des autobus autonomes de 12 passagers. À New York, un trajet à bord d’une voiture sans conducteur, avec deux passagers, deviendrait plus rentable pour la Ville que le transport en commun traditionnel dans plusieurs secteurs, selon une analyse du Boston Consulting Group.
Sera-t-il un jour possible d’utiliser sa carte Opus de la Société de transport de Montréal ou celle du Réseau de transport de la capitale, à Québec, pour prendre l’autobus, le métro, le train, le Bixi et… une voiture autonome ? Pourquoi pas.
Se protéger des pirates
Prise de contrôle à distance de l’auto, piratage, vol des données personnelles… Les menaces informatiques ne manqueront pas.
Imaginons qu’un groupe terroriste réussisse à s’infiltrer dans le système informatique d’un constructeur d’autos et arrête une vingtaine de voitures à des endroits stratégiques dans une grande ville comme Montréal ou New York, en pleine heure de pointe. « Ce serait le bordel pendant des heures ! Ce n’est pas un enjeu banal », explique Steve Waterhouse, un ancien officier de sécurité informatique au ministère de la Défense nationale, aujourd’hui spécialiste en cybersécurité.
Des criminels pourraient aussi utiliser des véhicules sans conducteur pour faire traverser des armes, de l’argent ou de la drogue aux frontières. Ou les transformer en voitures-béliers dans une foule.
John Wall, de QNX, filiale de BlackBerry, se dit conscient de la menace, mais peu inquiet. « Les entreprises savent que toute faille dans la sécurité va miner leur crédibilité et ralentir l’adoption de la technologie. Elles y pensent depuis longtemps. »
General Motors collabore déjà avec des pirates éthiques, qui cherchent les failles dans leurs systèmes. En juillet 2015, les constructeurs automobiles ont jugé que dans ce domaine il valait mieux collaborer plutôt que de s’affronter, de sorte qu’ils ont créé l’Automotive Information Sharing and Analysis Centre, qui a pour mandat de recueillir et de partager de l’information sur les cybermenaces.
Au MTQ, les fonctionnaires sont confiants. « Au début d’Internet, tout le monde avait peur de faire des opérations bancaires sur le Web. Aujourd’hui, c’est commun. Les entreprises trouveront un moyen pour que ce soit sécuritaire », prédit David Johnson, conseiller en véhicules intelligents au MTQ.
Il faudra également assurer la protection de la vie privée et des renseignements personnels, puisque les constructeurs de ces bolides hyperconnectés posséderont une masse d’informations sur l’utilisateur et ses déplacements : lieux de résidence, de travail et d’études… mais aussi épicerie favorite, aréna où il joue au hockey avec les amis, carnet de contacts, horaires de réunions, etc. « Ils pourront décoder que vous avez une maîtresse et savoir où elle vit ! » avance Steve Waterhouse en rigolant.
Autant d’éléments qui peuvent être repris pour faire chanter l’utilisateur… ou être revendus à des fins de marketing ciblé.
Pourquoi pensez-vous que Google s’intéresse tant à la voiture autonome ? La mine d’informations personnelles sera gigantesque
Google et les autres géants technos pourront monnayer ces données à des magasins situés le long de votre parcours. Besoin d’un café ? La voiture vous y conduira directement. Et qui sait si elle ne s’arrêtera pas au commerce qui a payé pour le référencement ?
« Il faudra être très vigilant », convient le ministre Marc Garneau. Le comité sénatorial sur les Transports recommande au fédéral d’accorder plus de pouvoir au Commissaire à la protection de la vie privée afin de surveiller ce nouveau champ d’activité. « C’est une bonne idée, affirme Marc Garneau. Ça fait partie de nos nombreux défis. »
Vaincre l’impitoyable climat canadien
Faire rouler des voitures sous le soleil de la Californie, c’est bien, mais dans une tempête de neige, c’est une autre histoire…
Personne ne se risque à avancer une date précise pour l’entrée en fonction à grande échelle de la voiture autonome.
Sa véritable percée dépend de la résolution de multiples petits problèmes. Le véhicule intelligent devra interpréter avec exactitude les comportements des autres voitures, des piétons et des cyclistes. L’auto devra pouvoir communiquer avec eux et leur signifier, par exemple, qu’elle les laisse passer au coin d’une rue. Elle devra comprendre si un passager souhaite descendre en cas d’urgence ou encore savoir se ranger sur le côté lorsqu’une ambulance approche. Les obstacles sont encore nombreux, comme en fait foi cet accident, en mars dernier, alors qu’une femme de 49 ans qui traversait la rue, le soir, dans un endroit mal éclairé de Tempe, en Arizona, a été happée mortellement par une voiture d’Uber en mode autonome, ce qui a forcé le géant techno à suspendre ses essais pendant l’enquête.
Dans l’industrie, même si la frénésie des derniers mois ressemble à une course parfois désordonnée, le proverbe le plus souvent entendu est Rien ne sert de courir, il faut partir à point. « L’important n’est pas d’être les premiers, mais que ce soit sûr, sinon tout s’écroule », explique Inmar Givoni, une grande brune au regard sérieux qui met au point les voitures autonomes d’Uber à Toronto. Elle est l’une des grandes spécialistes de l’intelligence artificielle au Canada.
Dans un laboratoire ultramoderne, au septième étage d’une tour du centre-ville de Toronto, elle et une trentaine d’informaticiens d’Uber ATG tentent de résoudre ces défis qui minent la progression de l’auto sans conducteur. Et l’un des problèmes qui les occupe particulièrement est le climat canadien.
« Notre météo extrême est difficile, même pour l’humain. Imaginez pour l’ordinateur ! On doit adapter nos capteurs et nos logiciels », explique Inmar Givoni. Faire rouler ces bolides en Californie ou en Arizona, où la température est parfaite, c’est bien, mais le reste de la planète ne vit pas l’année durant sous les rayons du soleil !
Le cerveau des voitures a actuellement besoin de suivre les lignes sur la chaussée ou une autre auto pour s’orienter. Or, l’hiver, avec la neige, les marques disparaissent et les puissantes rafales d’une tempête cachent parfois l’auto qui roule devant. De plus, le lidar sur le toit, hypersensible, a tendance à associer les flocons qui tombent à de petits objets en mouvement, ce qui fait freiner l’auto !
Ce n’est pas pour rien que Keolis Canada fera l’essai de sa nouvelle navette autonome de 12 passagers en été, dans les rues de Terrebonne : les capteurs gèlent à partir de – 10 °C ! « Il va falloir encore de la recherche et du développement pour y arriver. Notre climat est un grand défi », explique Marie Hélène Cloutier, de Keolis.
Adapter ces nouveaux bolides à l’hiver, c’est la spécialité de Steven Waslander et de ses jeunes chercheurs du Laboratoire sur les véhicules autonomes de l’Université de Waterloo. « La technologie n’est pas encore assez évoluée pour remplacer l’œil humain dans des conditions difficiles », dit-il. Ce n’est toutefois qu’une question de temps. « On va y arriver, pas de doute. Ce n’est rien d’insurmontable. Les capteurs, radars et logiciels vont se perfectionner. Notre hiver n’est pas une priorité pour les grandes entreprises, mais ça viendra. On n’est pas le seul pays avec un hiver froid et neigeux ! »
Malgré les avancées, si les conditions routières sont vraiment exécrables, les autos sans conducteur devront faire comme les humains, croit Steven Waslander. « Elles resteront sagement au chaud en attendant que ça passe ! »
Se préparer à une transformation du marché du travail
L’industrie de la voiture autonome créera des emplois, mais des métiers entiers disparaîtront.
L’engouement des constructeurs et géants technos pour les véhicules sans conducteur — et leur adaptation aux routes canadiennes — a fait bondir le nombre d’emplois dans ce secteur au Canada. À la recherche d’informaticiens, de programmeurs, d’ingénieurs et autres spécialistes des radars et algorithmes, GM, Ford, Toyota et Uber, notamment, ont tous annoncé des embauches dans les derniers mois.
Selon le Conseil des technologies de l’information et des communications, un centre d’expertise sans but lucratif situé à Ottawa, 34 700 nouveaux emplois verront le jour au Canada au cours des trois prochaines années dans le secteur des véhicules autonomes.
À long terme, le choc pourrait toutefois être brutal : des dizaines de milliers d’emplois sont menacés de disparition. « C’est simple, tous les métiers où quelqu’un est assis derrière un volant seront touchés, ainsi que ceux où l’on s’occupe d’entretenir et de réparer les autos et camions », explique Nicolas Saunier, de Polytechnique Montréal.
Le comité sénatorial des Transports estime que 1,1 million d’emplois au pays seront touchés de près ou de loin par la montée en puissance des véhicules autonomes. Certains travailleurs devront s’adapter, alors que d’autres seront forcés de regarder ailleurs. Sur la ligne de front : les conducteurs de taxi, les chauffeurs privés, les livreurs locaux et les camionneurs. Des travailleurs difficiles à recycler, puisque 39 % d’entre eux n’ont qu’un diplôme d’études secondaires.
Les mécaniciens devront apprendre à gérer ces ordinateurs sur roues. Moins de collisions, cela signifie moins de tôle froissée pour les garagistes et moins de travail pour les agents d’assurances. Le partage des voitures fera diminuer l’utilisation des stationnements, et donc des préposés. Même les policiers affectés à la circulation devront être employés ailleurs.
Le choc se fera d’abord sentir dans l’exploitation des ressources naturelles, alors que les sociétés forestières, minières et pétrolières emploient des milliers de chauffeurs dans des zones contrôlées, où la circulation est faible, ce qui facilite l’automatisation des déplacements.
En février, l’entreprise Suncor Energy a créé une commotion en annonçant qu’elle supprimera 400 emplois de chauffeurs de camions lourds dans ses installations pétrolières de Fort McMurray, dans le nord de l’Alberta, pour les remplacer par des véhicules sans conducteur. « Ce n’est que le début », prévient David Ticoll, de l’Université de Toronto.
Il faut se préparer à aider des milliers de personnes à se replacer ou à se recycler, prévient le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau. « La seule question est de savoir à quel rythme. »
Le ministre a eu un avant-goût des chambardements à venir en 2016, lorsque Transports Canada a mis à l’essai la technologie des camions en peloton. Un conducteur se trouvait dans le camion de tête et dictait le rythme — 95 km/h —, pendant que deux autres camions, semi-automatisés, suivaient à une distance prédéterminée. Marc Garneau était assis dans le deuxième véhicule, où un conducteur surveillait les réactions du camion, sans toucher aux pédales ni au volant. Bientôt, il ne sera plus nécessaire. « C’était impressionnant et ça va devenir chose courante sous peu », dit le ministre. L’étude a conclu que la circulation en peloton sur de longues distances peut faire économiser entre 14 % et 20 % de carburant.
À l’Alliance canadienne du camionnage, le porte-parole Marco Beghetto soulignait en septembre dernier que les chauffeurs seraient toujours nécessaires pour contrôler l’accès au véhicule, équilibrer les charges, arrimer les cargaisons, gérer la marchandise dangereuse et veiller au bon fonctionnement mécanique, notamment. Bref, les camionneurs ne disparaîtront pas… mais avec la circulation en peloton, ils pourraient être beaucoup moins nombreux. « Ils seront davantage des opérateurs de système et des surveillants de convois que des chauffeurs », prédit Marc Garneau.
Prévoir de nouveaux revenus
Moins d’autos, cela veut dire moins de revenus pour l’État. Et bien des questions pour les assureurs.
Au ministère des Transports, à Québec, on analyse un volet méconnu mais névralgique des chambardements à venir : la baisse des revenus de l’État.
En 2016, Québec a collecté 4,6 milliards de dollars en droits d’immatriculation, permis de conduire, taxes sur l’essence et autres surtaxes liées à l’automobile. Une baisse du nombre de conducteurs et de la consommation de pétrole pourrait créer un immense trou dans les finances publiques.
« Il faut conserver la capacité de l’État d’investir dans les infrastructures routières, alors on y pense »
Il en va de même pour les municipalités, qui verront leurs revenus provenant des stationnements et de la taxe sur l’essence diminuer. « Aucun système de taxation spécifique aux véhicules autonomes n’a pu être identifié », note la société CIMA + dans son rapport remis à la Ville de Montréal en janvier dernier.
Les assureurs se posent des questions semblables. À quoi ressemblera leur modèle d’affaires si les collisions chutent de 80 % et que les particuliers possèdent moins de voitures ? Et comment seront rédigées les polices d’assurance ? Présentement, la protection suit le conducteur du véhicule. Mais si personne ne conduit la voiture ? « Il faudra tout réorganiser », explique Line Crevier, responsable des affaires techniques au Groupement des assureurs automobiles du Canada. « On est en train d’inventer la notion d’“utilisateur” pour remplacer celle de “conducteur”. »
Et advenant un accident, qui serait coupable ? Le constructeur ? L’exploitant du parc de véhicules ? Le concepteur du logiciel qui a fait défaut ? « Ça reste à éclaircir », dit Line Crevier.
Convaincre les gens d’embarquer
Il faudra vaincre la réticence qu’auront de nombreuses personnes à monter à bord de véhicules sans conducteur.
Lorsque l’entreprise Keolis a fait essayer sa navette Navya à des passagers, en 2017, certains étaient un peu craintifs en montant à bord. Ils écoutaient les explications du représentant de l’entreprise avec attention et serraient les poings lorsque le petit autobus approchait des piétons ou d’un arrêt obligatoire. Il leur fallait quelques minutes pour se détendre. « Ce qu’on ne connaît pas nous inquiète, alors il faut le démythifier », dit Marie Hélène Cloutier, vice-présidente Expérience passager.
Est-ce que l’humain acceptera facilement de remettre sa vie entre les mains d’une machine ? « Ce n’est pas évident, même si rationnellement la machine fait beaucoup moins d’erreurs », dit Nicolas Saunier, spécialiste en génie des transports à Polytechnique.
Selon un sondage CROP-L’actualité, les Québécois sont curieux, mais prudents. Près de 66 % jugent « intéressante » ou « très intéressante » la voiture sans conducteur, contre 29 % qui estiment le contraire. Environ 11 % des répondants affirment qu’ils se procureront « sans hésiter » un modèle automatisé dans les prochaines années, alors que 34 % y sont favorables si la technologie est efficace.
Toutefois, 22 % des Québécois croient que la voiture sans conducteur ne sera jamais assez sûre, alors que 20 % répondent qu’ils aiment trop conduire pour abandonner leur bonne vieille bagnole. Ce sera aux entreprises de démontrer, chiffres à l’appui, que ce mode de transport mérite de se répandre.
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2018 de L’actualité.
Un article très complet, bravo! Mais comme dans toute nouvelle technologie, il y a une folie des appréhensions que nous apportera ces nouvelles approches. Dans plusieurs domaines, cela amènera des changements rapidement comme dans le camionnage. Mais encore nous simplifions beaucoup leur travail. Plusieurs domaines ne seront pas touchés. Aussitôt qu’il y a un besoin de manutention ou bien d’autres actions, fait par le chauffeur. Ceci est la même réalité pour le taxi, la job n’est pas juste d’amener une personne du point a au point b. Des gens âgés ont besoin d’aide simplement pour entrer et sortir du véhicule. Et croire que l’auto autonome va régler le problème du trafic des grandes villes est tout simplement utopique et quasiment ridicule. Une auto sur la route est un véhicule de trop sur le chemin. Le seul moyen d’éviter ce problème est un transport collectif efficace. Et oui, l’autobus autonome sera un atout comme cela l’est déjà avec l’autobus conduit par une personne. La seule différence sera dans le coût… Il ne faut pas ce faire d’illusions au Québec, ce n’est pas demain la veille qu’on verra ces technologies dans nos tempêtes de neige. En Californie peut être très bientôt mais pas ici au Québec… On oublie ça avant des années…