Le boom des congrès

De Gatineau à Carleton-sur-Mer en passant par Thetford Mines et Mont-Tremblant, les centres de congrès poussent comme des champignons. Quand le Québec des régions part à la conquête du tourisme d’affaires.

Image: Ville de Saint-Hyacinthe

C’est joli, Rimouski. Mais que Son Altesse Sérénissime Albert II de Monaco y débarque plutôt qu’à Montréal ou à Québec, ça étonne quand même un peu. Quand c’est arrivé, en octobre 2017, la nouvelle a fait le tour des médias québécois.

C’est que le prince est président d’honneur de BioMarine, une association internationale vouée au développement des biotechnologies marines. Et après Oslo, en 2016, et Wilmington (en Caroline du Nord), l’année d’avant, l’organisme tenait son congrès 2017 à Rimouski, à plus de cinq heures de route de Montréal. Une belle occasion pour la municipalité de 49 500 habitants de faire valoir ses attraits. « BioMarine, c’est 300 PDG et dignitaires de 18 pays », dit Martin Beaulieu, directeur général de la Société de promotion économique de Rimouski, qui démarchait l’organisme depuis 2012 pour accueillir sa prestigieuse rencontre annuelle.

Partout au Québec, les congrès se multiplient : plus de 3 000 en 2016, dont 2 100 hors de Montréal. Et les villes se livrent à une véritable course pour les attirer. En juin 2018, La Malbaie marquera un grand coup en recevant Donald Trump, Justin Trudeau, Emmanuel Macron, Angela Merkel, Theresa May, Shinzō Abe, Paolo Gentiloni  et leur suite pour le sommet du G7.

Un marché de gros sous. Le tourisme d’affaires — les congrès, qui sont le volet le plus prestigieux, mais aussi les assemblées générales, réunions, expositions commerciales et activités de motivation — représente 8 % des touristes, mais 16 % des revenus de ce secteur, soit 2,1 milliards de dollars par an, selon l’Institut de la statistique du Québec. Quant à l’Association des professionnels de congrès du Québec (APCQ), elle estime que les congrès ont rapporté à eux seuls 270 millions de dollars en 2016 — et on parle seulement de ceux qui comptaient plus de 40 nuitées.

Compte tenu des enjeux économiques, bien des villes du Québec sont prêtes à soutenir financièrement la construction de centres des congrès. Ainsi, Saint-Hyacinthe vient de contribuer à la construction d’un complexe de 65 millions de dollars. Drummondville a participé à la création d’un Centrexpo avec hôtel de 42 millions. Même Carleton-sur-Mer et Thetford Mines s’y sont mises, avec des constructions de sept et neuf millions de dollars. Laval, pour sa part, compte déjà quatre centres. Quant au gouvernement du Québec, il étudie la possibilité d’agrandir le Palais des congrès de Montréal, voué aux grandes rencontres internationales, après l’avoir fait à Québec en 2014.

« Le tourisme d’affaires, c’est payant », dit Steeve Gagné, président de l’APCQ, qui est aussi délégué commercial et marketing à Tourisme Victoriaville. « À Victoriaville, ça représente 55 % de l’hébergement annuel. C’est comme ça dans bien des régions. »

Le principal atout du tourisme d’affaires est de prolonger la saison touristique. « Les congrès ont lieu surtout à l’automne et au printemps. Ça permet de maintenir plus longtemps des emplois dans les hôtels et restaurants, de générer des retombées économiques et de favoriser l’effet vitrine », dit Steeve Gagné.

D’où l’empressement de Saint-Hyacinthe, par exemple, à combler le vide après la disparition du seul centre de conférences de l’endroit, en 2013, au terme d’une longue grève des employés. Les propriétaires ont mis la clé sous la porte. « Du jour au lendemain, on est passé de 100 congrès par an à zéro », dit Nancy Lambert, directrice du tourisme et des congrès à Saint-Hyacinthe Technopole, l’organisme de développement économique. « Tout de suite, le milieu s’est mobilisé pour lancer un nouveau projet. » L’ancien Hôtel des Seigneurs a été rasé, la Ville a bâti le nouveau centre de congrès, et des investisseurs privés ont construit un hôtel de plus de 200 chambres.

Que la rencontre soit internationale, canadienne ou québécoise, les autorités locales peaufinent des campagnes de séduction élaborées. « L’enjeu des organisateurs de congrès est d’inciter leurs membres à s’inscrire, alors ils nous demandent d’être créatifs et innovants », dit Nancy Lambert.

Les organisateurs cherchent des rabais, voire des primes, mais surtout une offre très personnalisée. À Rimouski, on assure désormais la présence d’interprètes, et une entente avec Air Canada permet de faciliter les vols des congressistes étrangers.

À Tourisme Laval (179 congrès en 2017), on propose une appli maison. « Elle donne accès au plan, au programme, aux biographies des conférenciers, aux présentations PowerPoint, aux infos utiles. Elle soutient le clavardage entre congressistes, et les organisateurs peuvent l’adapter à leurs besoins », dit Geneviève Roy, PDG de l’organisme.

Quant à Saint-Hyacinthe, elle vient de mettre sur pied un « cercle des ambassadeurs », constitué de 26 personnalités locales, qui ont déjà contribué à attirer cinq congrès.

Certains disposent de plus d’atouts que d’autres. Le Palais des congrès de Montréal, qui a pour vocation d’attirer les grands rendez-vous internationaux de plus de 1 500 délégués, est non seulement doté de la plus vaste cuisine en ville pour recevoir des groupes, mais il propose la découverte d’un toit vert avec ruches et du seul vignoble urbain sur toit au monde.

Les coups d’éclat internationaux, comme BioMarine 2017 à Rimouski et le G7 à La Malbaie en juin prochain, demeurent rares en région, où l’on attire surtout des rencontres d’associations et d’entreprises québécoises. Néanmoins, certains centres régionaux ayant une expertise particulière — le développement durable à Chicoutimi, le monde maritime à Rimouski, l’agroalimentaire à Saint-Hyacinthe — parviennent à jouer dans les platebandes de Montréal en accueillant des congrès internationaux de quelques centaines de participants. À Rimouski, il y en a trois ou quatre par année.

Hors de Montréal, Québec fait un peu figure d’exception, avec 15 congrès internationaux par année. C’est un peu plus du quart des 57 congrès d’envergure que reçoit cette ville chaque année.

Le Centre des congrès de Québec et le Palais des congrès de Montréal, tous deux propriétés de l’État, sont les locomotives du tourisme d’affaires au Québec. Depuis cinq ans, des associations internationales d’organisateurs de congrès ont consacré Montréal première « ville à congrès » sur le continent, devant New York et Toronto ! « En ce moment, notre agenda se remplit pour 2020, 2021, mais j’ai des réservations jusqu’en 2031 ! » dit Raymond Larivée, PDG du Palais des congrès.

Le mandat des deux centres est d’attirer de l’argent frais dans l’industrie touristique et les coffres de l’État. Et pour mieux le réaliser, le PDG des installations montréalaises tente de persuader Québec de financer l’agrandissement de celles-ci. Il voudrait les faire passer de 34 000 m2 à plus de 50 000 m2 — un projet de quelques centaines de millions de dollars, qu’on espère voir débloquer à l’automne 2018. De 2010 à 2014, le Centre des congrès de Québec a  augmenté sa superficie de 30 %, pour passer à 30 000 m2. « Boston, Calgary, Miami, Nashville, Vancouver investissent dans leurs infrastructures. Un sous-investissement chez nous pourrait signifier un gros recul pour toute la filière touristique québécoise », dit Raymond Larivée.

Québec devrait annoncer sa première grande politique en matière de tourisme d’affaires à l’automne 2018. L’État, qui en est aux consultations, a mandaté l’APCQ pour concevoir des indicateurs statistiques et la Chaire de tourisme Transat de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM pour exercer une veille dans ce secteur. « On a besoin de mieux connaître la clientèle, dit Chantal Neault, analyste à la Chaire. Nous observons plusieurs tendances, dont l’accroissement de la technologie, l’attrait marqué pour les plus petites villes, la quête d’authenticité et le bleisure. »

Le bleisure, contraction de « business » et de « leisure », désigne les voyages d’affaires et d’agrément — on parlait jadis des activités « pré » ou « post-congrès ». Selon la Global Business Travel Association, un regroupement international, 40 % des congressistes nord-américains prolongeraient leur séjour. Ainsi, pour BioMarine, la majorité des participants sont restés un jour de plus pour visiter les cinq instituts et centres de recherche de Rimouski.

La tendance au bleisure fait des sceptiques. Dont Geneviève Roy, PDG de Tourisme Laval : un sondage mené auprès de 300 congressistes a montré que seulement 13 % des délégués prolongeaient leur séjour. Steeve Gagné, de l’APCQ, n’est pas convaincu non plus. « Le bleisure, c’est peut-être vrai pour les congrès internationaux, mais pas pour les congrès québécois », dit-il.

La tendance la plus marquée serait la « recherche de l’authentique ». « C’est assez nouveau et très fort, dit Steeve Gagné. Les gens veulent découvrir les produits locaux, la gastronomie, les bières, le vin, la culture locale… mais entre leur arrivée le mardi matin et leur départ le jeudi midi ! »

(La version originale du texte a été modifiée pour apporter des précisions sur le nouveau centre de conférences de Saint-Hyacinthe au 8e paragraphe)