Quel qu’il soit, le nouveau gouvernement qui prendra les rênes du pouvoir le mois prochain fera une priorité du progrès du niveau de vie des Québécois. C’est donc un bon moment pour faire le point sur cette question, sans pour autant sombrer dans la politique partisane.
Je vais considérer le niveau de vie dans son ensemble plutôt que dans ses détails, remonter jusqu’aux années 1960 et nous comparer à notre grand voisin et partenaire au Canada, l’Ontario. Quelques observations sur l’avenir qui nous attend en découleront.
Le niveau de vie, c’est quoi ?
Les grands organismes internationaux comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) calculent le niveau de vie moyen des habitants d’un pays ou d’une région en se basant sur la valeur de tout ce qui est produit et distribué en revenu sur son territoire dans une année. Ce revenu, appelé produit intérieur brut ou PIB, est alors divisé par le prix moyen de ce qu’il permet d’acheter, puis par la population totale.
Le niveau de vie moyen, c’est ça. Statistique Canada le désigne couramment par l’expression synonyme « revenu intérieur réel par habitant ». Le revenu est dit réel parce qu’il est divisé par le prix moyen de ce que les résidants du pays ou de la région achètent. Ce qu’on veut suivre ici, c’est l’évolution du vrai pouvoir d’achat que le revenu procure. Un pur agrégat monétaire ne veut rien dire en matière de bien-être s’il n’est pas mis en relation avec les prix des biens et services qui sont achetés.
De plus, il s’agit d’une moyenne pour l’ensemble des habitants. (Dans ce qui suit, je vais souvent sous-entendre le qualificatif « moyen », mais il ne s’agira que d’une simplification commode.) Le niveau de vie moyen n’indique pas comment le revenu est réparti entre les divers groupes de la société. Observer son évolution permet de mesurer à quel rythme le pouvoir d’achat progresse en général (sa croissance), mais non comment il est partagé (sa répartition). Le partage de la richesse est une question d’une grande importance, mais elle ne peut être étudiée avec la simple mesure du niveau de vie moyen.
Enfin, le PIB, sur lequel la notion de niveau de vie ou de revenu intérieur est fondée, est la somme de tous les revenus disponibles du pays ou de la région. Il comprend non seulement le revenu des ménages qui est disponible pour la consommation privée (58 % du PIB au Québec), mais aussi le revenu des gouvernements, qui est disponible pour produire les services publics et les infrastructures (28 % du PIB), et le revenu des entreprises, qui est disponible pour investir dans toutes les formes d’équipement (bâtiments résidentiels, ouvrages non résidentiels, machines, matériel et produits de propriété intellectuelle, qui constituent 14 % du PIB).
C’est une erreur malheureusement répandue que de déterminer le niveau de vie par le seul revenu des ménages qui est disponible pour la consommation privée. Le vrai niveau de vie doit inclure les autres formes de revenu disponible. En tant que mesure du bien-être matériel, il doit couvrir la consommation de services publics, de même que les investissements publics et privés qui sont destinés à maintenir et à développer la consommation future.
Une croissance quasi continuelle, mais de plus en plus lente
Le graphique 1 trace l’évolution de ce fameux niveau de vie moyen au Québec depuis le début de la Révolution tranquille.
On constate tout d’abord que, hormis quatre temps d’arrêt correspondant aux récessions de 1961, 1982, 1991 et 2009, le niveau de vie a augmenté continuellement depuis 1961. Cette année, en 2018, notre revenu par habitant s’établit à 50 900 dollars par habitant, soit un PIB d’environ 432 milliards de dollars pour 8,5 millions d’habitants. C’est 3,6 fois plus élevé que les 14 200 dollars par habitant dont nos parents et grands-parents disposaient en 1961.
Trois facteurs ont soutenu cette croissance. Premièrement, en 1961, seulement le tiers de la population totale du Québec avait un emploi ; aujourd’hui, la moitié est au travail. Deuxièmement, le volume annuel de production par personne employée (la productivité) a progressé de 75 % depuis 1961 : population plus scolarisée et mieux formée, meilleure organisation du travail, flux continuel d’innovations, technologies plus performantes. Troisièmement, le Québec a été favorisé par une nette amélioration des termes dans lesquels il échange avec l’extérieur. Au total, de 1961 à 2018, les prix qu’il a encaissés pour ce qu’il vend (donc ses exportations) ont augmenté de 33 % de plus que les prix qu’il a payés pour ce qu’il achète (donc ses importations).
L’autre trait marquant de la trajectoire du niveau de vie est que sa croissance, bien que quasi continuelle, a considérablement ralenti de 1961 à 2018. Le graphique 1 indique qu’elle a été six fois moins rapide depuis 10 ans (0,7 % par an de 2007 à 2018) que pendant les deux décennies initiales (4,2 % par an de 1961 à 1979). Cette inflexion de la croissance n’est pas particulière au Québec. Elle est commune à l’ensemble des pays avancés de la planète.
D’où provient ce ralentissement du niveau de vie ? C’est que les trois facteurs qui avaient propulsé ensemble la croissance de 1961 à 1979 se sont tous repliés par la suite. Premièrement, la fraction de la population totale du Québec qui est au travail n’augmente plus : elle s’est immobilisée à 50 % depuis 10 ans. C’est le résultat de deux forces contraires qui s’annulent. D’un côté, le taux d’activité des 15 à 64 ans continue à augmenter, surtout avec plus de diplômés, plus de femmes et plus de 55 à 64 ans au travail. Mais de l’autre, la population totale de ces 15 à 64 ans est en baisse et l’arrivée des baby-boomers à la retraite fait croître à vive allure la population des 65 ans ou plus, qui est surtout inactive.
Le deuxième facteur de ralentissement du revenu réel par habitant est que la productivité québécoise n’avance plus qu’à pas de tortue. Le volume annuel de production par emploi a crû trois fois moins vite depuis 10 ans (0,5 % par an de 2007 à 2018) qu’autrefois (1,7 % par an de 1961 à 1979).
Le troisième facteur de ralentissement est que, depuis 30 ans, nos prix à l’exportation ont cessé de croître beaucoup plus vite que nos prix à l’importation, comme ils l’avaient fait au cours des 28 années antérieures à 1989.
L’écart Québec-Ontario a fondu depuis 30 ans
On se comprend mieux quand on se compare. Au Canada, la seule province à laquelle il est logique de comparer le Québec sur le plan économique est l’Ontario. Les autres économies provinciales sont ou bien de trop petite taille et peu diversifiées, ou bien dominées par l’industrie pétrolière, ou encore très éloignées du centre du Canada. Le PIB de l’Île-du-Prince-Édouard est 60 fois plus petit que celui du Québec. De leur côté, les 760 000 habitants du Nouveau-Brunswick sont moins nombreux que les 810 000 de la région métropolitaine de Québec. De plus, contrairement à l’Alberta, à la Saskatchewan et à Terre-Neuve, le Québec et l’Ontario sont tous les deux sans pétrole. Quant à la Colombie-Britannique, elle est très éloignée du Québec et de l’Ontario et sa structure industrielle est très différente.
Comment donc les trajectoires suivies par le niveau de vie moyen du Québec et de l’Ontario se comparent-elles ? En gros, de 1961 à 2018, elles présentent des formes concaves assez semblables : croissance quasi continuelle, mais de plus en plus lente, dans les deux cas. Cependant, le phénomène marquant de la période est que la supériorité du niveau de vie ontarien sur le niveau de vie québécois a considérablement diminué.
Le graphique 2 clarifie le cheminement du rattrapage québécois. Il illustre l’évolution du niveau de vie moyen du Québec en pourcentage de celui de l’Ontario de 1961 à 2018. On constate d’abord, pour l’ensemble de la période, que le rapport Québec-Ontario est passé de 82 % en 1961 à 97 % en 2018. Le retard initial de 18 % du Québec a donc fondu à 3 %.
Entre ces deux dates, la performance relative du Québec a connu des hauts et des bas. Elle a d’abord bénéficié d’une petite poussée avec les travaux du métro de Montréal et d’Expo 67, dans les années 1960, puis d’une forte poussée avec ceux des Jeux olympiques et, surtout, du mégachantier de la Baie-James, dans les années 1970. Mais cette avancée du niveau de vie du Québec n’a pu être soutenue après la fin de ces grands travaux, de sorte qu’au milieu des années 1980 il végétait encore à 84 % de celui de l’Ontario, soit à peine plus que le niveau de 82 % de 1961.
Ce n’est que depuis 30 ans que le rapport Québec-Ontario a connu une amélioration importante et durable. La qualité des relations de travail au Québec s’est améliorée, les conséquences économiques favorables de la révolution éducative ont fini par apparaître, et la politique familiale a fortement encouragé le taux d’activité féminin. Un sommet du rapport des niveaux de vie a finalement été atteint à 97 % en 2009 et a été maintenu jusqu’en 2013.
L’instabilité budgétaire de 2014 à 2018 sous le gouvernement Couillard explique la suite. Conjuguée à la disette d’investissements publics et privés, l’austérité[1] a d’abord contribué à faire chuter le rapport Québec-Ontario à 94 % en 2015 et 2016. Le retour de l’expansion budgétaire l’a ensuite aidé à remonter à 97 % en 2018, soit à un niveau presque identique à celui de 2009 à 2013. Comme on peut le voir au graphique 2, la même cause avait produit le même effet sous le gouvernement Bouchard, de 1996 à 2001. À l’époque, l’austérité, suivie de l’expansion budgétaire, avait également entraîné une baisse, puis une remontée, du rapport entre le niveau de vie du Québec et celui de l’Ontario.
Surveiller la démographie, l’emploi et la productivité
Comment envisager l’évolution future du niveau de vie au Québec ? Difficile à prévoir. Dans son Rapport préélectoral du mois d’août, le ministère des Finances du Québec projette une croissance annuelle moyenne du niveau de vie (PIB réel par habitant) du Québec de 0,7 % pour les quatre années 2019 à 2022. La prévision du Ministère ne diffère pas beaucoup de celle du secteur privé. Du côté de l’Ontario, la moyenne des prévisions disponibles en mars dernier pour la croissance annuelle du niveau de vie provincial au cours des trois années 2019 à 2021 s’élevait à 0,5 % (tout comme chez Desjardins pour le Québec).
Rappelons que l’évolution du niveau de vie dépend de quatre facteurs : la démographie, l’emploi, la productivité et le rapport entre les prix à l’exportation et à l’importation. Dans ce dernier cas, ce sont surtout des influences extérieures échappant au contrôle du Québec qui jouent. Concentrons donc notre attention sur les trois premiers facteurs : démographie, emploi et productivité. (C’est comme le pâté chinois : steak, blé d’Inde, patates.)
En elle-même, l’évolution future de la démographie va continuer à ralentir la croissance du niveau de vie au Québec et en Ontario, mais l’effet de freinage sera plus important au Québec. Le graphique 3 montre que les deux provinces ont commencé à souffrir du vieillissement de leur population. Dans les deux cas, la population des principaux âges actifs (15 à 64 ans) occupe une part décroissante de la population totale, qu’elle doit soutenir par son travail. On voit cependant que cette chute du poids démographique des 15 à 64 ans a été plus précoce et plus prononcée au Québec. Ce sera encore le cas dans les prochaines années, selon les projections officielles présentées au graphique.
En d’autres termes, pour que notre niveau de vie se maintienne ou progresse relativement à celui de l’Ontario bien que le vieillissement nous frappe plus durement, le taux d’emploi effectif et la productivité de nos 15 à 64 ans (et de ceux de nos 65 ans ou plus qui veulent continuer à travailler) devront croître plus rapidement que chez nos voisins. Le défi économique du Québec dans la présente phase de vieillissement démographique est exactement celui-là. Ce qu’il nous faut, c’est une population au travail qui serait encore plus nombreuse et mieux rémunérée, parce que plus scolarisée et plus productive.
Commençons par le taux d’emploi des 15 à 64 ans. Ce dernier, au Québec, a connu une ascension fulgurante depuis le milieu des années 1990. Comme le montre le graphique 4, en 1996, il était loin derrière celui de l’Ontario. C’était 63 % chez nous contre 70 % chez eux. Aujourd’hui, la situation est complètement inversée. C’est 78 % chez nous contre 76 % chez eux.
Si nous avons si bien réussi en matière d’emploi depuis 25 ans, c’est pour trois raisons. Premièrement, notre taux de chômage structurel a constamment diminué parce que les nouvelles générations de Québécois sont plus scolarisées et mieux formées que les anciennes. (Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a pas encore beaucoup à améliorer en éducation et en formation !)
Deuxièmement, nos mesures innovatrices en matière de conciliation travail-famille (congés parentaux étendus et garderies à tarif réduit directement par subvention ou indirectement par crédit d’impôt) ont fortement encouragé la participation des jeunes Québécoises au marché du travail. Leur taux d’activité est maintenant au sommet mondial. Cette évolution a d’ailleurs attiré l’attention explicite de la Banque du Canada, du FMI et de l’OCDE récemment.
Enfin, troisièmement, l’économie du Québec a moins souffert de la récession de 2009 que les économies de l’Ontario et de la plupart des autres économies avancées, grâce notamment au Plan d’infrastructures provincial lancé par la ministre Monique Jérôme-Forget avec un timing fortuit, mais parfait, en 2007. C’était bien parti pour la reprise qui a suivi.
En 2018, le taux d’emploi de 78 % de l’ensemble des 15 à 64 ans du Québec est l’un des plus élevés des pays avancés. Mais il y a encore moyen de l’augmenter. On peut le faire en poursuivant le combat contre le décrochage scolaire, en renforçant l’apprentissage des compétences de base en lecture et en maths, en encourageant la persévérance scolaire jusqu’au collège et à l’université, en accélérant l’intégration des immigrants récents au marché du travail, et en favorisant l’activité des 55 à 74 ans qui désirent travailler. Dans ce dernier cas, on peut remarquer qu’au Japon, qui a dû affronter le vieillissement démographique bien avant nous, 54 % des 55 à 74 ans font maintenant partie de la population active. Au Québec, en 2016, c’était 42 %.
Si les aînés du Québec enregistraient le même taux d’activité que ceux du Japon, le nombre de Québécois actifs serait plus élevé de 260 000. Ce n’est pas rien. Il faut trouver les moyens de réduire ce grand écart d’activité entre nos aînés et les leurs.
Après le taux d’emploi, la productivité. Faire en sorte que plus de personnes puissent travailler parmi celles qui sont dans les âges actifs est une source de croissance économique. Faire en sorte que ces personnes produisent plus en moins d’heures de travail, c’est-à-dire augmenter leur « productivité », en est une autre. Il existe un lien étroit entre la croissance de la productivité (PIB par heure travaillée) et celle des salaires.
Produire plus de valeur pour chaque heure travaillée est une condition nécessaire pour que cette heure soit mieux rémunérée. Des salaires faibles sont généralement associés à une productivité faible ; des salaires élevés, à une productivité élevée. La façon intelligente d’accroître la productivité est d’équiper une main-d’œuvre bien formée avec des outils capables de canaliser les innovations en matière de technologie et d’organisation du travail vers des fins productives.
Le problème ici est que, contrairement à la progression du taux d’emploi, les gains annuels de productivité n’ont pas été fameux au Québec depuis une vingtaine d’années. Notre PIB réel par heure travaillée a marqué le pas. On peut déduire du graphique 5 qu’il s’est accru de seulement 0,4 % par an en moyenne de 2000 à 2018. On y constate aussi que l’Ontario n’a guère fait mieux que nous jusqu’en 2014, mais qu’il nous a solidement coiffés de 2014 à 2018. L’investissement étant le tuyau dans lequel coule le jus du progrès technologique et de la productivité, une partie de l’explication de la lenteur récente de la productivité du Québec se trouve dans la dégringolade de l’investissement de 2011 à 2015. En volume réel pendant ces quatre ans, l’investissement public a chuté de 20 % et l’investissement privé non résidentiel de 16 %. L’austérité budgétaire provinciale de 2014 et 2015 a évidemment aggravé la situation.
Il faut espérer que l’expansion canadienne, la pénurie et le coût croissant de la main-d’œuvre, la crainte de voir le coût du capital augmenter bientôt et la volonté de combler le retard technologique récemment accumulé relanceront l’investissement et la productivité au Québec dans l’avenir. Il faudra appuyer toute forme d’investissement qui développe ou canalise les avances technologiques et organisatrices, que ce soit par imitation ou par innovation. Et il faudra continuer à favoriser le développement des échanges avec l’Europe, le Japon, la Corée et les pays émergents, à la fois pour obvier aux attaques de notre « ami » américain et pour bénéficier de nouveaux contacts internationaux à la frontière technologique.
Résumé
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Le niveau de vie d’un pays ou d’une région, c’est-à-dire son « revenu intérieur réel par habitant », selon l’appellation de Statistique Canada et des grands organismes internationaux, mesure le pouvoir d’achat moyen que procure à ses résidants l’ensemble de tous les revenus engendrés sur son territoire en une année. On le calcule en divisant le revenu intérieur (PIB) par le prix moyen de ce qu’il permet d’acheter, puis par la population totale.
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Comme le niveau de vie est une pure moyenne d’ensemble, il n’indique pas comment le revenu est réparti entre les divers groupes de la société. Par contre, étant une mesure globale du bien-être matériel, il inclut le revenu disponible des gouvernements et des entreprises, et non pas seulement celui des ménages. Le revenu disponible des ménages compte pour moins de 60 % du total.
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Hormis quatre temps d’arrêt correspondant aux récessions de 1961, 1982, 1991 et 2009, le niveau de vie moyen a augmenté continuellement au Québec depuis 1961. La fraction de la population totale qui est au travail a grossi ; la production par personne employée (la « productivité ») aussi ; et les prix à l’exportation ont augmenté plus rapidement que les prix à l’importation, surtout de 1961 à 1989.
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Cependant, la croissance annuelle du niveau de vie a considérablement ralenti au fil du temps. De 2007 à 2018, elle a été de 0,7 % par an seulement, soit six fois plus lente que la croissance de 4,2 % par an de 1961 à 1979. La fraction de la population totale qui est au travail ne grossit plus ; la productivité n’avance plus qu’à pas de tortue ; et les prix à l’exportation ont cessé d’augmenter beaucoup plus vite que les prix à l’importation.
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En Ontario, la croissance du niveau de vie a été là aussi quasi continuelle et de plus en plus lente de 1961 à 2018. Mais en comparant les deux provinces, on constate que le Québec a vu son niveau de vie croître plus rapidement et a réussi à abaisser considérablement son retard initial par rapport à l’Ontario. Ce retard était de 18 % en 1961 ; il n’est plus que de 3 % en 2018.
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Le niveau de vie du Québec a été long à prendre son envol relativement à celui de l’Ontario. Avec le va-et-vient des grands chantiers d’infrastructures jusqu’au milieu des années 1980, il a connu des hauts et des bas, mais sans tendance à remonter vers celui de l’Ontario. C’est seulement par la suite que le rapport entre le niveau de vie du Québec et celui de l’Ontario a connu une amélioration importante et durable. La qualité des relations de travail au Québec s’est améliorée ; les conséquences économiques favorables de la révolution éducative ont fini par apparaître ; et la politique familiale a vivement encouragé le taux d’activité féminin.
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Le rapport entre le niveau de vie du Québec et celui de l’Ontario est passé de 84 % en 1985 à un sommet de 97 % en 2009. Ce niveau a été maintenu jusqu’en 2013, mais l’instabilité budgétaire de 2014 à 2018, conjuguée à la baisse de l’investissement public et privé, l’a fait chuter à 94 % en 2015 et 2016. Le retour de l’expansion budgétaire l’a ensuite aidé à remonter à 97 % en 2018.
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Comme par le passé, l’évolution future du niveau de vie au Québec et en Ontario dépendra surtout de trois facteurs : quelle fraction de la population totale va se trouver dans les âges potentiellement actifs (la démographie), quelle fraction de ces potentiellement actifs le seront effectivement (le taux d’emploi), et combien chacun de ces actifs en emploi va produire de revenu en moyenne (la productivité). Démographie, emploi, productivité pour le niveau de vie, c’est l’analogue de steak, blé d’Inde, patates pour le pâté chinois.
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Depuis quelques années, le changement démographique a un effet négatif sur la croissance du niveau de vie du Québec et de l’Ontario, parce que, dans les deux cas, la population des principaux âges actifs (15 à 64 ans) occupe une part décroissante de la population totale, qu’elle doit soutenir par son travail. Ce vieillissement démographique et son effet négatif sur le niveau de vie moyen sont plus prononcés au Québec qu’en Ontario. Ils vont le rester dans les années futures. La seule façon pour le Québec d’annuler ce freinage démographique sera d’améliorer sa performance comparée dans les deux autres domaines : le taux d’emploi et la productivité.
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Depuis le milieu des années 1990, le taux d’emploi des 15 à 64 ans du Québec a connu une ascension fulgurante, à tel point que le Québec dépasse maintenant l’Ontario en ce domaine. La scolarisation accrue a permis à notre taux de chômage structurel de diminuer ; la politique de conciliation travail-famille a propulsé le taux d’activité de nos jeunes femmes à un sommet mondial ; et, fort heureusement, l’économie du Québec a moins souffert de la récession de 2009 que celle de l’Ontario.
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Il y a encore moyen d’augmenter le taux d’emploi du Québec dans l’avenir. On peut le faire en poursuivant le combat contre le décrochage scolaire, en organisant l’éducation primaire et secondaire autour des compétences de base en lecture et en maths, en encourageant la persévérance scolaire jusqu’au collège et à l’université, en accélérant l’intégration des immigrants récents au marché du travail, et en favorisant l’activité des 55 à 74 ans qui désirent travailler.
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Depuis une vingtaine d’années, contrairement au taux d’emploi, la productivité (PIB réel par personne en emploi) a marqué le pas au Québec. Elle a crû de seulement 0,4 % par an en moyenne. C’est moins qu’en Ontario, tout particulièrement de 2014 à 2018, à la suite de la chute des investissements publics et privés au Québec. La lenteur de la productivité explique en bonne partie la lenteur des salaires. Une reprise de la productivité devra s’appuyer sur toute forme d’investissement qui développera ou canalisera les avances technologiques et organisatrices et sur le développement des échanges avec l’Europe, le Japon, la Corée et les pays émergents.
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Bien évidemment, la perspective qu’ouvre la réflexion qui précède évite de supposer qu’une récession découlant d’un problème systémique comme un dérapage financier mondial ou un conflit commercial frappera l’économie du Québec au cours des quatre ou cinq années à venir. Le cas échéant, il faudra envisager un recul, au moins temporaire, de notre niveau de vie.
[1] Pour vérifier que le vocable « austérité » s’applique bien aux premiers budgets du gouvernement Couillard, les passionnés du vocabulaire peuvent consulter l’Encyclopædia Britannica au lien https://www.britannica.com/topic/austerity.
Excellente présentation d’un point de vue pédagogique. J’espère que les lecteurs de L’actualité sauront apprécier ces données à leur juste valeur.
Ce qui est remarqué avec justesse. La croissance s’est avérée plus lente depuis les années 80 (tout particulièrement depuis 30 ans) dans pratiquement toutes les économies développées (ou avancées). Cela n’est-il pas pour une part dû à l’inflation ? Est-il si juste que cela, qu’une inflation moyenne de ± 2% par ans, soit bonne pour l’économie ? Cela ne constituerait-il pas un frein à long terme pour la croissance ? Inconnu pour le moment dans les économies émergentes.
Avec l’inflation est souvent couplée l’érosion monétaire. Il en coûte toujours plus pour obtenir les produits ou les services que nous nous offrons. Tous ces produits et tous ces services en avons-nous vraiment besoin ? La taille des investissements est souvent supérieure à notre capacité réelle d’amortissement. La masse salariale entre constamment dans la valeur des produits et services sans pour autant apporter une réelle valeur ajoutée aux produits et services offerts. Valeur purement cosmétique ou promotion de l’inutile. Les « selfies » et autres « tattoos » (marquage à vie) sont-ils indispensables à notre épanouissement ?
À cet effet, la problématique ne serait-elle pas de savoir s’il serait possible d’avoir une décroissance (progressive et organisée bien sûr) sans obtenir nécessairement une baisse du niveau de vie et du pouvoir d’achat à tout le moins pour la vaste majorité des entreprises et de la population ? La valeur de toute chose n’est pas seulement monétaire, elle ne s’applique réellement que s’il y a effectivement transfert.
De la même façon, peut-il y avoir intérêt d’avoir une monnaie moins évaluée, lorsque nous disposons d’une économie suffisamment diversifiée pour pouvoir répondre à presque tous nos besoins et matière de services et de biens de consommation ? Un sujet à la mode, c’est l’économie circulaire. Sont-ce des modèles économiques porteurs et très viables que de devoir exporter nos matériaux recyclables ? Cela ne démontre-t-il pas notre incapacité de valoriser toutes sortes de ressources au meilleur coût ? Cette incapacité de valoriser, n’a-t-elle pas une incidence sur le niveau de vie moyen ? On pourrait dans la même veine noter notre production de bois d’œuvre insensée versus notre production très insuffisante de solutions en bois transformé.
La promotion et la réalisation d’une certaine autonomie économique, ne sont-ils pas des leviers de croissance intéressants à moyen-long terme ? Au même titre d’ailleurs que la réalisation d’une véritable zone de libre-échange pancanadienne ? Pourquoi d’ailleurs ne recevons-nous pas plus de travailleurs et de travailleuses de partout au Canada ? Pourquoi tant de Québécois choisissent de quitter le Québec pour d’autres cieux ?
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— À propos de l’austérité :
Le gouvernement Couillard a ralenti le rythme des dépenses, mais pas coupé. Je ne pense pas qu’il y ait eu dans la même période un très considérable accroissement des taxes, ce serait même plutôt le contraire pour une part de la population. De plus l’austérité se traduit en économie par une baisse remarquable de la consommation sans compter généralement une hausse significative des taux d’intérêts.
— Évidemment, la consommation au Québec s’est totalement effondrée en 2015-16, la population affamée et exsangue errait dans les rues. Cela faisait peine à voir (Euh… s’cusez, j’confond avec la crise de 1929).
N’est-il pas étonnant de constater que l’Union Européenne, dont la France notamment, qu’elles encensent l’excellence de la gestion des finances publiques québécoises et cherchent à s’en inspirer ? Au même titre d’ailleurs que l’attention portée par le FMI ou l’OCDE, comme mentionné dans ce billet.
N’est-ce pas plutôt la croissance du déficit public qui en Ontario a contribué à générer une légère évolution du niveau de vie moyen en 2015-16 ? Peut-on être certain que des dépenses publiques supérieures en moyennes de 1% au Québec, qu’elles auraient comblées cet écart automatiquement ? Ne faut-il pas plutôt attribuer cette différence au fait que sous le gouvernement Marois, il y avait une baisse des investissements privés, compensés par une hausse des investissements de l’État québécois, couplés à l’accroissement du déficit public ?
N’est-il pas écrit dans ce billet, je cite : « (…) une partie de l’explication de la lenteur récente de la productivité du Québec se trouve dans la dégringolade de l’investissement de 2011 à 2015. » ?
En cette période électorale, n’envoie-t-on pas un message ambigu à la population ? Entre « liberté » de blâmer systématiquement et « savoir-faire » ; j’établis sur ce point, « par ma barbe » une infinitésimale distinction.
Bien dit.
Dites -moi que j’ai compris que le phénomène baby boomer à ouvert la bourse des générations et que ceci pour l’instant contribue à cette économie généreuse mais éphémère .
Le bas de laine à papa maman .
@ Gaetan Genest,
Vous posez une question légitime et pertinente. Il est selon moi peu probable que les générations suivantes (pas seulement au Québec) qu’elles puissent gérer le modèle efficacement et durablement, le caractère éphémère que vous précisez.
Comme il faut croire dans le futur. Les générations qui se succéderont, devront certainement trouver des solutions originales pour pouvoir parer à la situation. Lorsque la volonté y est, il existe toujours un chemin.
Pourriez-vous reprendre le tout en comparant cette fois le Québec avec les États-Unis?
Le Québec est devenu (enfin!) une sorte de modèle…et il y en a qui veulent du « changement »! Misère…
Rappelez-vous, Les USA en voulaient du changement. Les Montréalais aussi. Regardez ce qu’ils ont l’air maintenant…
Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras…
Francois 1er sort du garde-robe: c’est un Libéral full rouge. Plus rouge que ca, tu meurs
le sur place n’est pas une solution.
@ jack2:
« Full » rouge? Pas vraiment mais j’analyse les positions et les affirmations des différents partis en lice et les innombrables circonvolutions et contradictions de la CAQ depuis le début de la campagne, leur chef en tête, m’inquiètent grandement. Une incohérence n’attend pas l’autre entre leurs prises de position antérieures et celles durant la campagne électorale. Ce parti « de droite » devrait pourtant, du moins en principe, mieux répondre à mes attentes conservatrices que les Libéraux mais j’ai comme une méfiance craintive envers eux. Ils me donnent l’impression d’être prêts à dire et à garantir n’importe quoi juste pour prendre le pouvoir.
De plus, les résultats de l’administration Libérale sont formidables autant au point de vue économique que social et je suis du genre à croire au « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras! ». Bref, les Libéraux, c’est du concret, du réel et j’ai vu tellement de promesses de politiciens reniées que j’aime mieux m’accrocher à l’expérience et à l’exactitude plutôt que de réclamer « du changement » juste pour le plaisir d’avoir « du changement » et finir comme les USA.
Les deux autres partis? Bof… Je n’ai jamais été ni séparatiste ni d’extrême gauche, alors…
@ jack2:
Tenez…je viens tout juste de trouver ça et ça me renforce dans les doutes envers la CAQ tout en me poussant encore un peu plus vers l’option Libérale:
https://www.journaldemontreal.com/2018/09/09/jour-j—22–les-comptables-qui-ne-savent-pas-compter
M.Fortin, je n’ai pas lue votre exposer mais je serais curieux de savoir quand vous allez nous pondre un pareil exposer tout aussi convaincant sur la décroissance nécessaire afin de sauver l’humanité. Car il ne faut pas s’en cacher notre avenir immédiat en dépends et je parle de décroissance dans TOUS le domaines.
Tellement hâte de vous lire à ce sujet et ce serait vraiment intéressant que vous vous y mettiez avant la date des élections à venir sous peu.
Merci Monsieur.
La baisse de compétitivité du Québec dans les années 80 est sûrement en partie causé par l’incertitude créé suite au référendum sur la souveraineté du Parti Québécois.
Vous avez tellement raison…
Le retard majeur du à ce rêve de pays imaginaire a été fatal…
en 1976 nous avions seulement 500000 de différence as de la population… maintenant nous sommes a 5500000…. BRAVO aux séparatistes…
Toujours d’une grande clarté. Merci.
Ça me fait sourire lorsque je lie Pierre Fortin faire la démonstration que la productivité serait « le volume annuel de production par personne employée » ou dans une version plus simple des « personnes [qui] produisent plus en moins d’heures de travail. Ce qui mènerait celles-ci à «[p]roduire plus de valeur pour chaque heure travaillée ».
Quand j’applique ce principe aux banquiers et aux médecins, j’ai une bizarre sensation que rien fonctionne. On nous dit que les médecins offrent de moins en moins de prestations de services, qu’ils sont moins « productifs » si on s’en tenait à la définition de « volume annuel de production par personne ». Mais en liaison avec leur revenu, je constate qu’ils seraient les champions de la productivité, quand on regarde leur production de valeur (monétaire) pour chaque heure travaillée. On se met à douter sérieusement lorsque Pierre Fortin affirme : « … une population au travail … mieux rémunérée, parce que plus scolarisée et plus productive ». On devrait plutôt dire qu’ils ont été plus productifs (en valeur) parce qu’ils ont été bien rémunérés.
Pierre Fortin allègue que « [l]a façon intelligente d’accroître la productivité est d’équiper une main-d’œuvre bien formée avec des outils capables de canaliser les innovations en matière de technologie et d’organisation du travail vers des fins productives. » Pour que cela fonctionne, il faut nécessairement qu’il y ait une demande. Les entreprises n’investiront que si elles anticipent une croissance de la demande. Mais voilà, pour que la demande augmente, il faut que les consommateurs consacrent davantage de leur revenu à la consommation. À moins de s’endetter ou de rogner sur leur épargne, les consommateurs doivent préalablement voir leur revenu augmenter. On notera, le silence de Pierre Fortin sur l’accroissement du revenu par l’intervention de l’État (salaire minimum) ou par la syndicalisation.
Quand Pierre Fortin déclare qu'[i]l existe un lien étroit entre la croissance de la productivité (PIB par heure travaillée) et celle des salaires » cela fonctionne dans les deux sens. L’exemple des médecins est convaincant. C’est parce que les médecins ont vu leur revenu augmenter que leur PIB par heure travaillée a augmenté (productivité) et ce n’est pas leur productivité qui a causé l’augmentation de leur revenu.
Pourquoi devons nous faire croître l’économie sans cesse? Pour mieux épuiser notre planète ?? Pour polluer plus? Pour mieux épuiser notre main d’œuvre? Pour faire des riches plus riches ?
Mais quelle est cette course folle ? Est-elle contre une montre ou contre la mort ?
#polQC #Qc2018
c’est tjrs drôle de lire que les province de L’ALSAMA ont le pétrole… faudrait dire les vrais choses… et employer le terme L’ALSAMA exploitent leur ressources…car au Québec quoi qu’en pensent les détenteurs de la vérité verte absolue… nous en avons du pétrole…
@ Erick Julien,
Tout dépendamment des coûts d’exploitation versus les cours, l’Alberta qui pourtant détient les troisièmes plus grandes réserves connues de la planète ; elle trouve le moyen de vendre une partie de son pétrole presqu’au prix coûtant ou à perte.
Avez-vous la moindre idée des investissements que cela représenteraient pour obtenir une exploitation extensive des réserves pétrolières du Québec, dont le volume exact reste encore mal connu ?
Actuellement, le courtage sur les produits pétroliers (import-export), les marges de raffinage et la distribution rapportent bien plus que l’exploitation de ressources coûteuses à extraire.
Cela fait des décennies qu’on nous prédisait l’atteinte du « peak oil » sur la planète, si ce n’est que des réserves pétrolières, il n’y en a pas qu’au Québec. Alors pourquoi les pétrolières iraient dépenser des milliards pour exploiter nos ressources quand encore plusieurs régions extraient en abondance des pétroles d’excellente qualité pour moins de 10 dollars US par baril ? Quand « chez-nous » cela reviendrait dans le plus favorable des cas à quatre ou cinq fois plus ?
Êtes-vous d’accord pour gazer à 5 ou 6 dollars le litre pour avoir un pétrole 100% québécois ? Si on veut un produit local, on peut le faire à bien meilleur marché avec des résidus de copeaux de bois et autres matériaux putrescibles. D’ailleurs il y a un volume de plus en plus important de bio-carburants produits localement dans les essences que nous achetons à la pompe actuellement.
Il y a toujours possibilité d’accroitre à moindre coût cette proportionnalité voire encore de la rentabiliser.