L’heure du choix est venue pour les entreprises : continuer le télétravail, sous une forme ou une autre, ou bien l’arrêter une bonne fois pour toutes, en demandant aux employés de revenir au bureau à temps plein.
Le 14 juin, les régions qui étaient encore au palier orange du confinement sont toutes passées au jaune ; on parle ici de la Capitale-Nationale, de Chaudière-Appalaches, de l’Estrie, de Montréal, de l’Outaouais, de Laval, de Lanaudière, des Laurentides, de la Montérégie et du Bas-Saint-Laurent. Cela signifie que le télétravail n’est plus obligatoire, mais simplement « recommandé » par la santé publique.
Certes, des conditions sanitaires sont requises, dictées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) : les employés doivent se tenir à au moins deux mètres les uns des autres en tout temps, à moins qu’on ait installé des protections physiques entre eux (panneaux de plexiglas, par exemple) ; les surfaces communes doivent être systématiquement nettoyées et désinfectées ; le port du masque en permanence est « recommandé » ; etc. Ces obligations seront maintenues jusqu’à ce que le Québec passe entièrement au palier vert. Mais théoriquement, bon nombre d’employeurs seraient légalement autorisés à mettre fin au télétravail, pour peu qu’ils désirent aller à l’encontre des recommandations sanitaires. Ce qui changerait le quotidien des travailleurs de plus du tiers (37 %) des employeurs qui, jusqu’au 13 juin, bossaient à distance du lieu de travail habituel, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec.
Le hic, c’est qu’employés et employeurs ne sont pas sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’avenir immédiat du télétravail. Ainsi, 38 % des télétravailleurs souhaitent continuer de cette manière à temps plein, révèle un sondage de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) dévoilé le 14 juin. Et seulement 1 % des employeurs sont du même avis.
Autre point de discorde : 24 % des employés aimeraient jouir d’une flexibilité totale et décider eux-mêmes des jours où ils iront au bureau et ceux où ils travailleront à distance ; le pourcentage n’est que de 8 % du côté des employeurs.
En fait, le sondage de l’Ordre montre que les employeurs sont majoritairement d’accord avec la poursuite du télétravail, mais en fonction de règles strictes. Ils sont 52 % à prôner le travail hybride « rigide », soit une présence minimale au bureau déterminée selon une formule fixe (par exemple, trois jours en télétravail et deux jours au bureau par semaine) ; 18 % des employés voient positivement cet aménagement. Et 23 % des employeurs prisent le travail hybride « souple », à savoir une présence minimale au bureau en fonction des tâches, des activités et de la nature de l’emploi (par exemple, sur une année, présence requise au bureau pour 30 % des tâches liées à un poste) ; 10 % des employés abondent dans le même sens.
« Il va falloir qu’employeurs et employés prennent le temps de déterminer la meilleure formule pour eux. Sans quoi le travail risque de perdre en productivité, et les employés, en bien-être », avertit Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des CRHA.
Pour Tania Saba, professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, une telle discussion n’est pas si compliquée : « Il suffit de demander à chacun ce qu’il serait souhaitable de poursuivre à distance et ce qui serait à valeur ajoutée en présence », dit-elle. Cela permettrait aux entreprises de continuer de tirer profit des avantages du bureau à la maison : les résultats préliminaires des travaux que la chercheuse mène sur le télétravail au Québec depuis le début de la pandémie montrent notamment que les employés sont, en général, « plus productifs » et « plus innovants » lorsqu’ils travaillent à distance.
Par ailleurs, trouver un terrain d’entente entre employeurs et employés à propos du télétravail peut représenter « un atout » lorsque l’entreprise se met en mode embauche, estime Manon Poirier, de l’Ordre des CRHA. « Notre sondage révèle que le télétravail est devenu une corde sensible chez de nombreux travailleurs », dit-elle. Par conséquent, une politique de travail à domicile « séduisante » peut faire pencher la balance quand il s’agit d’attirer des personnes talentueuses, « surtout en période de pénurie de main-d’œuvre » comme celle que nous connaissons actuellement.
Nicolas Duvernois, président de Duvernois, un producteur québécois de spiritueux dont le produit phare est Pur Vodka, estime qu’un patron commettrait « une erreur » en mettant fin au télétravail. « Si un chef d’entreprise exigeait de ses employés qu’ils reviennent demain au bureau cinq jours par semaine, il brûlerait son monde », dit celui qui a piloté la rédaction du livre collectif Réussir son télétravail ! (Éditions Transcontinental, 2020). Car ces 18 derniers mois ont permis à chacun de trouver un nouvel équilibre entre le boulot et la vie privée, et il n’y a « rien de pire que de déstabiliser brusquement un employé », affirme-t-il.
Selon Nicolas Duvernois, l’idéal serait « un retour au bureau partiel et graduel », en se donnant comme objectif de mettre en place « une version améliorée » du travail, à l’échelle individuelle et collective. Lui-même est en train d’y réfléchir, en concertation avec ses employés. Le plan d’action n’est pas encore établi, mais il est certain que « chacun pourra continuer de télétravailler ». Le travail à distance est bel et bien enraciné. Experts et sondages (ADP Canada, Randstad Canada, etc.) s’accordent à dire qu’une formule hybride devrait devenir la norme dans les prochains mois. Néanmoins, on voit se profiler à l’horizon le risque que des entreprises manquent de souplesse à cet égard, en forçant un retour complet au bureau. Cela pourrait se traduire par un bras de fer entre l’employeur et les employés dont personne ne sortirait vraiment gagnant…
Un peu comme chacun des gestes barrières que nous avons mis en pratique pour surmonter la Covid-19, le télétravail fera partie de l’arsenal des moyens que nous devrons mettre en pratique pour améliorer notre qualité de vie. La création de pools de co-working en sous-région ou dans les quartiers des grandes villes, dh’oraires et de calendriers de travail réévalués périodiquement, de mesures de soutien et d’encouragement au transport en commun, la facilitation de l’installation de postes de travail à domicile, de communications axées sur l’humain autant que sur les résultats entre employeurs et employé-e-s. Cohérence et concertation resteront à l’ordre du jour.
J’habite un endroit de villégiature que beaucoup de Montréalais ont choisi pour fuir la ville et faire du télétravail. Auparavant, en semaine c’était très tranquille dans les environs mais depuis le télétravail et l’affluence de citadins, on voit souvent des télétravailleurs dans les sentiers de randonnée de la région avec leur portable pour demeurer connectés. Aussi, jamais on entendait des tondeuses, tronçonneuses et autre bébelles bruyantes pendant la semaine alors que maintenant on peut voir que les télétravailleurs sont sur leur tracteur-tondeuse ou font leur bois de poêle à qui mieux-mieux.
Est-ce que cela a déteint sur le travail? Difficile à dire car la Covid est le prétexte à toutes sortes de choses mais je ne serais pas surpris que les employeurs se rendent compte que leurs employés ne sont pas réellement au travail (sauf sur Zoom) et que la Covid n’est pas nécessairement responsable de cette baisse de productivité.
Tsé, quand t’es sur un sentier de randonnée en montagne, prêtant attention aux chants des oiseaux, et que tu croises un randonneur qui a le portable vissé à l’oreille et crie à tue-tête dans son téléphone des choses qui se rapportent clairement aux «affaires», tu te dis que c’est dommage que le réseau cellulaire soit si moche en campagne car les télétravailleurs qui se promènent en forêt n’auraient pas à crier dans leur portable et déranger la quiétude des lieux…