Dominique Loiseau est venue à la gastronomie par amour et elle y est restée par devoir et par courage. C’est toutefois grâce à la passion que cette femme a réussi à préserver et fructifier l’héritage de l’un des meilleurs chefs cuisiniers de notre génération, feu son mari Bernard Loiseau.
Le 24 février 2003, Bernard Loiseau se tire un coup de fusil dans la tête. Il est alors au sommet de la gloire. Son restaurant à Saulieu, en Bourgone, est l’un des rares au monde à détenir les fameuses trois étoiles du guide Michelin, la plus haute distinction en restauration. Il est aussi propriétaire d’un hôtel de luxe de la chaîne Relais & Châteaux et de deux autres restaurants à Paris. Son entreprise est cotée en Bourse (une première en gastronomie), il est une star de la télé et de la radio, il publie des livres de cuisine et il passe pour l’égal de sommités comme Paul Bocuse ou Joël Robuchon. Il est marié et père de trois beaux enfants.
Ce jour-là, évidemment, tout bascule pour sa femme Dominique. Mais sans hésiter, elle reprend l’affaire en main. «Je me suis noyée dans le travail. J’ai continué pour ne pas avoir de regret», m’a-t-elle confié lors de son dernier passage à Montréal, à la fin mai.
Priorité numéro un: conserver les trois étoiles obtenues en 1991. Elles sont accordées avec parcimonie par des juges anonymes et intraitables qui vont tout noter, de la température de la soupe au pli dans la nappe, en passant par l’absence de sourire d’un serveur. La prestation doit être impeccable, jour après jour, semaine après semaine. L’année qui a suivi le décès de Bernard Loiseau, les «enquêteurs» de l’impitoyable guide rouge sont venus incognito à 12 reprises pour s’assurer que tout était comme avant.
Avant tout, il y a la cuisine qui doit toujours avoir la même qualité. «Il faut avoir une personnalité et un style distinctif, dit-elle. Nous, ce sont les produits. Comme du temps de Bernard, nous ne servons jamais plus de trois produits dans la même assiette pour que le goût de chacun puisse se révéler.» La cuisine de Bernard Loiseau, c’est surtout une cuisine allégée, sans lourdeur, servie avec des ingrédients et des assaisonnements typiques de la Bourgogne.
Ces trois étoiles sont à la fois une bénédiction et une malédiction. Côté lumière, elles attirent les gastronomes de partout au monde qui veulent goûter l’exception. Côté obscur, malheur à l’établissement qui en perd une. «Ça veut dire que c’est moins bon», dit Dominique Loiseau. Le restaurant perd du coup une partie de sa clientèle. L’obtention (ou la perte) d’une étoile sont de formidables facteurs de stress.
Une carte de visite
Payant, un resto trois étoiles ? Pas vraiment, m’explique Dominique Loiseau. Pour les mériter, il faut beaucoup d’employés en salle et en cuisine… et très bien les payer. Jusqu’à 50 % des recettes servent donc à rémunérer le personnel, ce qui est beaucoup plus élevé que dans d’autres catégories de restaurants. Les produits (viandes, légumes) sont aussi très chers et accaparent 35 % du budget.
Il ne reste plus que 15 % pour le chauffage, la décoration, les fleurs, etc. Il faut aussi s’assurer que la salle soit pleine, ou à peu près. Parmi ceux qui détiennent les fameuses trois étoiles, il n’y aurait que les grands restaurants d’hôtels à Paris qui feraient de l’argent.
Pourquoi alors se battre pour quelque chose qui vous complique la vie sans vous rapporter gros ? C’est que ces trois étoiles sont à la fois la plus extraordinaire carte de visite qui soit et un aimant à clients. Ils attirent du monde à Saulieu, une petite ville de 3 000 habitants, et les visiteurs sont invités à loger à La Côté d’or, le Relais et Châteaux du Groupe Loiseau. La combinaison restaurant et hôtellerie permet aussi d’offrir des forfaits susceptibles d’attirer une nouvelle clientèle. Les quatre autres restaurants du groupe (le quatrième est ouvert depuis le 16 juillet) profitent également de la renommée du Relais Bernard Loiseau de Saulieu. C’est sans compter les répercussions positives sur la boutique gourmande, la consultation, les licences et les produits dérivés.
Parce qu’il est coté en Bourse, le groupe a affiché des recettes de 9,5 millions d’euros en 2012, et son profit net est de 113 000 euros. Cela reste une PME et si l’on constate que la situation est saine, la rentabilité, elle, n’est pas aussi exceptionnelle que ce que l’on dit de la cuisine.
Ce résultat est le fruit de beaucoup de travail. «Il faut être vigilant, attentif et interactif, en plus de multiplier les offres particulières», dit Dominique Loiseau.
La veuve du célèbre chef a relevé avec brio le défi de la continuité. Il lui reste maintenant celui de la pérennité. Quel est l’avenir du luxe dans une Europe aux prises avec une crise qui n’en finit plus, où le pouvoir d’achat des Français diminuent et où la classe moyenne tend à s’appauvrir ? Dominique Loiseau parle de luxe accessible. «Il faut rejoindre la classe moyenne et inviter les gens à venir célébrer chez nous un grand événement. Nous, on vend du bonheur à des personnes qui viennent passer un moment de rêve».
Cet exemple montre au moins deux choses :
1. C’est qu’un restaurant peut très bien survivre à son chef.
2. Que le savoir culinaire est transmissible et transférable.
Cela dit, la Bourgogne est, reste et devrait demeurer un lieu exceptionnel d’attraction pour son paysage, pour la beauté de ses vignes et aussi pour l’architecture de ses villes et de ses villages. J’ai eu quelquefois le loisir de m’arrêter à Saulieu ; c’est le genre d’endroit où un petit verre de rouge ne se refuse pas ! Car les Bourguignons en principe boivent bon !
Les bons vins font bon ménage avec la bonne bouffe, cette part du tourisme est une composante importante de l’industrie touristique française. Les « routes des vins » qui sillonnent le pays, restent très populaires et ont le mérite de s’adresser tant à la clientèle populaire qu’aisée. Ces routes sont de toute évidence plus fréquentées que le pèlerinage en direction de Saint-Jacques Compostelle. Ce qui n’empêche pas pour celles et ceux qui ont la foi de mettre sur leur chemin quelques cathédrales.
Malgré la crise en Europe, la baisse du pouvoir d’achat ; la promotion des valeurs profondes, du terroir, du vrai et du fondamental mobilise encore les foules, les français estiment toujours encore – toutes tranches d’âges confondues – que bien bouffer cela fait partie des plaisirs de la vie.
Devrait-on les blâmer ou leur donner tort pour cela ?
Pour certains restaurateurs, c’est payant. par exemple, l’autre matin j’ai vu le proprio d’un petit resto sympathique du quartier où j’habite au volant de sa Porshe décapotable blanche. De toute évidence, il tire très bien son épingle du jeu. Mais il est sans doute l’exception.
Il ne faudrait tout de même oublier que l’ensemble des propriétaires de PPME ne vivent pas de telles réussites. Beaucoup ne survivent pas plus de 5 ou 7 ans. Beaucoup réussisent à vivre leurs activités commerciales.Toutefois, basé sur les heures qu’ils investissemnt hebdomadairement dans leurs entreprises, leur salaire horraire est très bas. Mais très peu s’enrichissent réellement.
Un excellent chef est avant tout un artiste, un créateur s’appuyant sur des bases culinaires spécifiques. Très peu associent leur expertise artistique à un talent de gestionnaire.
Sans être réducteurs, nous pourrions faire l’analogie avec les salons de coiffures. Il ne s’agit pas d’être un excellent coiffeur pour démarrer un salon et obtenir du succès.
Bien qu’il s’en trouve, les excellents artistes sont rarement d’excellents administrateurs.
Un autre aspect doit être soulevé. C’est celui du principe de la locomotive. Saulieu, dont la population est en décroissance, pourrait-elle se passer de la présence du groupe Loiseau. Quant un village comme Saulieu (moins de 3,000 habitants) accueille une telle réussite, comme la traite-t-elle ? Est-on justifié de faire beaucoup pour se doter «d’une poule aux oeufs d’or» ?
Avec ses 1,19 % de profits l’entreprise de Mme Loiseau est-elle si rentable ? Les icônes sont souvent très dispendieuses.
«Un voilier est plus en sécurité au port mais il n’a pas été construit pour y rester.»
[Dicton populaire]