Dans notre économie décentralisée, c’est la pression de la concurrence sur l’entreprise qui tempère sa capacité d’augmenter son prix de vente à volonté. Si elle vend 1,10 $ ce qui lui coûte 1 $ à produire, c’est qu’elle est probablement disciplinée par la concurrence. Par contre, si elle ne craint pas de vendre le même produit 1,50 $, c’est sans doute qu’elle ne redoute guère que les concurrents lui volent ses clients.
La concurrence entre les entreprises protège les consommateurs contre les hausses de prix excessives. À l’inverse, l’absence de concurrence fait le bonheur des investisseurs. Le magnat américain du placement boursier Warren Buffett n’hésite pas à reconnaître que « fondamentalement, le critère le plus important pour évaluer une entreprise est sa capacité de fixer les prix. Si votre entreprise s’avère être un monopole que même votre idiot de neveu pourrait gérer et que vous pouvez augmenter vos prix sans perdre de clients aux mains d’un concurrent, alors vous avez une très belle entreprise. Par contre, si vous éprouvez le besoin de passer une journée en prière avant d’augmenter vos prix d’un tout petit dixième de cent, alors vous avez une entreprise affreuse… »
Pour savoir si, avec le temps, la concurrence s’est raffermie à l’avantage des consommateurs ou si elle s’est plutôt relâchée au profit des investisseurs, il faut suivre l’évolution du rapport entre les prix de vente et les coûts de production (taux de marge ou markup). Des chercheurs du Fonds monétaire international (FMI) ont récemment relevé plus de 630 000 de ces taux de marge entre prix et coûts pour les entreprises inscrites en Bourse dans 74 pays au cours des 37 années qui vont de 1980 à 2016.

Ce qu’ils ont trouvé n’est pas beau. De 1980 à 2016, le taux de marge des entreprises a augmenté dans toutes les économies avancées. Au Canada, comme l’illustre le graphique, il a bondi en moyenne de 51 % ; aux États-Unis, de 42 %. Nos économies reposent de moins en moins sur la concurrence et de plus en plus sur la puissance monopolistique.
Ces hausses du taux de marge entre prix et coûts ne se sont pas manifestées seulement dans les industries de haute technologie, comme on pourrait le croire. Elles ont touché tous les secteurs de l’économie, notamment la santé, la finance, l’immobilier et les biens et services de consommation. En même temps, les chercheurs ont trouvé que, dans chaque secteur, la hausse du taux de marge était surtout causée par un petit nombre d’entreprises dites « superstars », qui ont été capables de fixer leurs prix de vente à des hauteurs considérables par rapport à leurs coûts de production. Ce sont elles qu’affectionnent les investisseurs comme Buffett.
D’où vient la montée fulgurante de la puissance commerciale de ces entreprises hors normes ? Les sources traditionnelles comme les acquisitions, les fusions et les autres opérations favorisant la concentration des entreprises ont joué, bien sûr. Mais de nouvelles sources sont également apparues, telles que la concentration accrue des actifs intangibles (brevets, marques, droits d’auteur, logiciels, etc.) et les effets de réseaux, qui ont pour conséquence qu’un produit peut prendre de la valeur du simple fait que le nombre de ses utilisateurs augmente. Cela favorise grandement Google et Facebook.
La progression du pouvoir monopolistique au détriment de la concurrence a aussi résulté de la complaisance ou de l’impuissance des autorités chargées de combattre les pratiques anticoncurrence, comme l’Antitrust Division, aux États-Unis, et le Bureau de la concurrence, au Canada. Le célèbre juriste américain Richard Posner s’est récemment exclamé à ce sujet : « Antitrust is dead, isn’t it ? »
Qui plus est, les entreprises superstars qui sont actives mondialement grossissent leurs profits déjà considérables en les déplaçant dans les pays où la fiscalité est plus légère, et jusque dans les paradis fiscaux. Elles obligent ainsi nos États à faire payer par les simples contribuables les impôts et taxes qu’elles réussissent à éviter.
Nous admirons tous les entreprises comme Google, Apple, Facebook ou Amazon, mais il ne faut pas être naïf. L’étude du FMI révèle que la puissance monopolistique accrue des entreprises superstars a floué les consommateurs et aggravé les inégalités, et qu’elle ralentit maintenant l’innovation. Il est impératif de corriger la tendance en réaffirmant le rôle central des autorités antimonopole dans la régulation de l’économie, et en offrant l’assurance aux contribuables que les entreprises internationales paient enfin leur juste part des impôts et taxes.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de juillet 2019 de L’actualité.
Le mot entreprise est du genre féminin.
C’est amusant de dénoncer les monopoles alors que le modèle québécois est construit sur ceux-ci: Hydro-Québec, SAQ et où toute de pointe de concurrence provenant d’entreprises privées dans le secteur public doit être bannie…
Vous citez de très mauvais exemples. La SAQ n’a pas le monopole sur la vente de la bière ni sur la vente du vin qu’on peut trouver en épiceries ou chez les dépanneurs. Hydro-Québec n’a pas de monopole puisqu’il existe des entreprises privées qui produisent de l’électricité soit au moyen de barrages, soit avec l’éolien ou par biomasse. Dans la distribution non plus, puisque des villes comme Sherbrooke possèdent leur propre réseau de distribution en plus de produire de l’électricité.
Dans le cas de la SAQ et d’hydro-québec, les clients que nous sommes sont aussi actionnaires, très différent d’un monopole classique, extracteur de rentes.
Si tu décide de tondre toi même le gazon chez toi, tu peux fixer le prix que tu vas te payer, donc techniquement tu te place en situation de monopole pour t’offrir ce service. Or ça n’a rien à voir avec un monopole extracteur de rentes…
Il est assez clair que dans un billet de blogue comme celui-ci, il n’est guère facile de définir tous les facteurs qui engendrent le prix d’un produit ou d’un service. Comme la valeur finalement perçue sur le marché. Depuis toujours certains produits ou services sont mieux margés que d’autres, cette marge est également liée à la demande ou à la vogue ou à la mode ou encore l’engouement pour le produit ou pour le service.
La concurrence s’installe usuellement là où se trouve un marché. Historiquement des joueurs veulent s’approprier constamment une plus grosse part du marché à fin de réduire la concurrence et accroitre autant que faire se peut leurs marges de profit. Mais finalement, le prix qu’il faut payer est presque toujours attaché à la capacité de paiement ou de financement des usagers.
Même les GAFAM savent la capacité maximum de payer de leur clientèle, en grande partie grâce au « big data » dont elles détiennent justement le quasi-monopole.
La question est donc de savoir comment restaurer la concurrence. Et je pense que bien peu de spécialistes savent définitivement comment faire.
Si l’étude faite par le FMI n’est pas indigne d’intérêt (comme toutes leurs études d’ailleurs). Il convient de noter que le nombre d’entreprises cotées en bourse est sur le déclin. De plus en plus d’entre elles choisissent d’autres sources de capitalisation. Aussi la concurrence est-elle protéiforme et non pas conditionnées par les seuls fluctuations des marchés. Il faudrait aller plus dans le détail pour pleinement comprendre ce qui détermine la valeur de toutes choses et intrinsèquement le prix.
Je pense qu’il faut faire la promotion des alternatives de toutes sortes. Soutenir l’économie sociale qui n’est pas prisonnière des profits, ce sont ces ressources alternatives qui selon moi ont le meilleur impact pour inciter les entreprises à offrir de meilleurs produits et de meilleurs services au plus juste prix. La restauration des équilibres conduit en général à une meilleure répartition des charges, une plus juste répartition des pertes, un flux et un rythme plus régulier des profits.
Cette régularité (ou cette récurrence) est le premier facteur de génération de la richesse, c’est probablement l’un des meilleurs régulateur de prix.
L’arme fiscale est une arme de destruction massive qui frappe le plus durement les plus vulnérables. C’est encore en cela que réside son moindre défaut….
Superbe article sur un nouveau type d’économistes, qui vendent leur services aux méga entreprise comme témoins experts pour contourner les lois anti monopoles.
https://www.propublica.org/article/these-professors-make-more-than-thousand-bucks-hour-peddling-mega-mergers