Parmi tous les phénomènes que nos diverses études de marché nous amènent à analyser, l’attrait pour les produits locaux est certainement l’un des plus intéressants. Il l’est sur le plan marketing — un consommateur sur quatre au pays représente une demande très importante, ainsi qu’une concurrence sérieuse pour les marques nationales de produits industriels. Mais la signification culturelle des produits locaux nous semble encore plus déterminante (au sens anthropologique du terme).
L’obsolescence programmée est devenue un thème abondant sur tous les fils de nouvelles touchant à la consommation (particulièrement depuis la crise des dernières mises à jour du système d’opération iOS d’Apple). Dans un tel contexte, on cherche le vrai, l’authentique. On tente de fuir le surindustrialisé dont la pérennité est de plus en plus remise en question. Un jugement de valeur non équivoque stimule l’intérêt pour les produits locaux.
Plus précisément, à l’affirmation « Je pense qu’il est primordial d’encourager les produits et marques de fabrication locale, même si l’on doit les payer un peu plus cher », 24 % des Canadiens — 23 % au Québec — se disent tout à fait d’accord.
* Pour une telle question, on a tendance à ne considérer que les gens « tout à fait en accord », parce que lorsque l’on demande aux gens s’ils « paieraient plus cher », on ne retient habituellement que les plus convaincus.
De plus, aucun groupe ou segment socioéconomique ou sociodémographique particulier ne s’est distingué de façon marquée relativement à cette question. L’intérêt pour les produits locaux n’est pas le fait de gens plus fortunés ou éduqués, de « milléniaux » urbains ou de qui que ce soit. Il s’agit essentiellement d’un phénomène de société qui transcende les catégories sociales traditionnelles. Cet attrait est motivé par un ensemble de valeurs personnelles. Il répond principalement à des motivations culturelles.
Une tendance à la hausse
Par ailleurs, la recherche des produits locaux semble se situer dans une mouvance motivationnelle en croissance dans la société. Cette quête d’authenticité, de « substance », s’accroît linéairement depuis 2014 (première année où nous avons mesuré ce phénomène). La croissance n’est pas énorme, de 2014 à 2017, on passe de 19 % à 23 %, mais la linéarité de cette croissance nous apparaît tout à fait significative (et il est hautement improbable que la variabilité statistique des échantillons erre dans la même direction trois ans de suite).
Une société en quête de mythes, un besoin de sens
Si les caractéristiques socioéconomiques et sociodémographiques n’expliquent en rien l’intérêt des aficionados pour les produits locaux, leurs valeurs et cordes sensibles sont la clé pour comprendre leurs motivations ! Les produits locaux exercent une fonction symbolique formidable pour eux. Ils sont l’incarnation du « sens » qu’ils recherchent dans la vie, dans la société qui les entoure.
Pour eux, les produits locaux ont une âme. Ils expriment la passion de ceux qui les ont créés. Ils ont des mythes fondateurs, une mythologie, des histoires de visionnaires de fond de garage ou de pâturage isolé d’où sont issues des propositions singulières, uniques, et parfaitement authentiques. Ils offrent un contraste séduisant avec les autres produits de consommation ainsi qu’une solution irrésistible à ce que beaucoup perçoivent comme la surindustrialisation de ces produits (sans oublier ces cas où l’on soupçonne l’obsolescence programmée). Ils représentent une « recherche de sens perdu » dans une pléthore d’articles jetables après usage.
Le concept du « local » prend aussi un sens très « ouvert ». Au départ, il désigne une production provenant de la région du consommateur. La proximité et le lien avec le terroir deviennent comme garants de la singularité et de l’authenticité de l’offre. Mais lorsque l’on analyse la structure de l’identité personnelle des aficionados de l’achat local, on se rend compte qu’ils ont des personnalités particulièrement multidimensionnelles !
Ils tirent leur identité de différentes sources. Elle est le fait de leur appartenance à leur réseau d’amis, leur communauté, leur localité, leur région, leur province, leur pays, et ils se disent même citoyens du monde ! Ils participent à un phénomène que l’on nomme habituellement le « glocal » : des identités qui vont du « global » (planétaire) au local. Ils s’inscrivent dans de grands courants progressistes planétaires, mais agissent au niveau local (en achetant des produits locaux, notamment).
Par contre, en étudiant attentivement le profil des valeurs de ces aficionados, on s’aperçoit que l’authenticité des produits, leur « âme », est encore plus importante pour eux que leur caractère local. Ils peuvent s’intéresser avec autant d’enthousiasme à des produits qui viennent d’ailleurs dans le monde, à condition qu’ils soient tout aussi authentiques, qu’ils aient une histoire à raconter, qu’ils s’appuient sur des mythes fondateurs.
Notons enfin que ces amateurs de produits « locaux » aspirent à une consommation et à des styles de vie durables. La passion et le soin du producteur local s’inscrivent dans une mouvance éthique où autant le producteur que sa clientèle s’engagent à adopter des comportements écologiquement et socialement responsables.
Un changement de société, comme une occasion commerciale
Ainsi, l’intérêt pour les produits locaux dépasse de loin celui envers l’offre commerciale standard ; le « local » constitue une offre unique. Il représente presque un choix de vie. Presque, parce que l’offre est quand même limitée par rapport à celle des produits industriels courants. Par contre, avec un tel support motivationnel et une telle pertinence culturelle, on peut aisément supposer que l’offre de produits locaux connaîtra une croissance considérable dans le marché au cours des années qui viennent.
En espérant que les distributeurs sauront laisser à ce type de produits la place qui leur revient !
L’élixir d’amour, de Gaetano Donizetti
Mon clin d’œil opératique de cette semaine porte sur L’élixir d’amour, de Donizetti. L’élixir en question se voulait un produit authentique du terroir permettant à son utilisateur de gagner le cœur de l’être aimé (dans les faits, il ne s’agissait que de vin de Bordeaux). L’amoureux finit par percevoir « une larme furtive » dans les yeux de sa bien-aimée, témoignant de son amour, alors qu’il s’apprête à partir avec la troupe de soldats dans laquelle il s’est enrôlé. On en vient à croire que la vinasse pseudo-pharmaceutique est pour quelque chose dans ce tournant amoureux !
L’extrait retenu constitue certainement un des plus beaux airs du répertoire — « Una furtiva lagrima » —, et ce, chanté par le plus illustre de ses interprètes : Luciano Pavarotti.
Gaetano Donizetti : L’Elisir d’amore, Luciano Pavarotti, Kathleen Battle, Juan Pons, Enzo Dara, The Metropolitan Opera Orchestra and Chorus, James Levine (Dir.), John Copley (Prod.), New York, 1992.
Alain Giguère est président de la maison de sondage CROP. Il signe toutes les deux semaines un texte sur le site de L’actualité, où il nous parle de tendances de société… et d’opéra.
Pour lire d’autres chroniques d’Alain Giguère sur des tendances de société et de marché, rendez-vous sur son blogue.
Moi je suis prêt à payer un PEUT plus cher ça aiderait certaine importation américaine qui veulent notre perte ou domination.
Pour ma part, je consens à payer plus cher pour un produit (fût-il local ou importé) si celui-ci est de qualité supérieure. Les produits de qualité ont une durée de vie supérieure, ce qui comporte d’avantageuses retombées sur mon portefeuille (pas besoin de racheter constamment ledit produit) et sur l’environnement (une quantité moindre de déchets, au bout du compte).
Si le rapport qualité/prix est présent, pas de problème, cependant, selon ma modeste expérience, ce n’est pas très souvent le cas…
C’est définitivement un choix de plus en plus prisé. L’intérêt porté en vers nos produits et l’achalandage dans notre Boutique en est la preuve. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles et sensibilisés envers les produits locaux.
SteGo
Cultivateur-En-Chef
Leschampsdail.com
Me voilà démasquée. On dirait qu’on m’a suivie dans les marchés publics de Nice, Barcelone et L’Assomption. Chez le cultivateur du coin, à l’épicerie, en train d’acheter de l’ail québécois ou de la mayo de Lanaudière, plutôt que la Hellman’s états-unienne…