Dès les premiers bombardements russes sur Kyiv il y a un an, une course aux sanctions économiques contre Moscou s’est enclenchée. Les pays occidentaux ont suspendu leurs relations commerciales avec la Russie les uns après les autres.
De grandes multinationales comme McDonald’s, Coca-Cola et Starbucks ont quitté peu à peu le Grand Ours. Les cartes Visa et Mastercard ne fonctionnaient plus, tandis que la plupart des banques russes, dont toutes les plus importantes, ont été exclues du système SWIFT, plateforme internationale qui gère électroniquement les transactions entre les banques dans le monde.
L’Europe, très dépendante du gaz et du pétrole russes, a redoublé d’efforts pour s’en affranchir. Sans oublier les sanctions contre les personnalités politiques et oligarques proches du régime, dont des centaines de milliards de dollars d’actifs ont été gelés un peu partout dans le monde.
L’objectif était d’affaiblir la capacité de la Russie de financer sa guerre. Pourtant, l’effondrement économique annoncé par plusieurs n’a pas eu lieu.
Si on se fie aux données fournies par la Russie elle-même, l’économie y a reculé de 2,2 % en 2022. Loin de la catastrophe prédite (voire espérée) par l’Occident, cette réduction du PIB est à peine moitié moins importante que celle essuyée par les États-Unis lors de la crise financière de 2007-2008. Elle s’apparente plutôt à la récession de 1981-1982. Le Fonds monétaire international prévoit même une modeste croissance de l’économie russe en 2023.
Est-ce le signe que les mesures ont échoué ? Pas exactement.
Outre la récession modérée de 2022, d’autres effets sont bien réels. Avant le début de la guerre, les hydrocarbures représentaient environ les deux tiers des exportations de la Russie, et le tiers de son PIB. Le pays a maintenu ses exportations d’hydrocarbures malgré les sanctions ; celles de gaz ont toutefois chuté de 25,1 % l’an dernier.
Les pays d’Europe ont considérablement réduit leurs achats de gaz russe — profitant d’un hiver particulièrement doux — et l’explosion du gazoduc Nord Stream 1 a eu un effet non négligeable. En revanche, la Chine a augmenté notablement ses achats.
Quant aux exportations de pétrole de la Russie, elles ont crû de 7,6 %, notamment grâce aux marchés asiatiques. L’Inde, par exemple, a acheté 33 fois plus de pétrole russe en 2022 qu’en 2021.
Sauf que le pétrole russe a été vendu au rabais, ce qui a réduit les recettes. En janvier, elles ont diminué de 46 %, a annoncé le ministère russe des Finances. Cela a contribué à une baisse de 35 % des revenus de l’État russe en janvier 2023 par rapport à ceux de janvier 2022. Le 5 février, l’Union européenne a étendu son embargo sur le pétrole russe aux produits raffinés, comme le diésel, ce qui risque d’avoir un effet supplémentaire important.
La banque centrale russe avait su éviter le pire dès le début de l’invasion en stabilisant le rouble, qui était en forte chute, ce qui avait empêché une inflation extrême, et en augmentant son taux directeur jusqu’à 25 %. Il s’est stabilisé depuis à 7,5 %.
Mais d’autres secteurs de l’économie sont en souffrance. Le nombre de touristes a fait une chute dramatique de 96,1 %, les liaisons aériennes entre la Russie et la quasi-totalité de l’Europe étant suspendues. Moscou enregistre par ailleurs des baisses de ses recettes fiscales et de ses ventes au détail.
Et qu’en est-il du gel de 350 milliards de dollars d’actifs des oligarques proches du régime de Vladimir Poutine ? La vice-première ministre, Chrystia Freeland, proposait de saisir cet argent pour reconstruire l’Ukraine, dont l’économie est bien plus profondément dévastée par la guerre. C’est aussi le vœu de l’Union européenne.
Sauf que ce n’est pas si simple. La plupart des autorités occidentales doivent avoir la preuve que ces actifs sont le produit d’activités criminelles, ce qui reste à démontrer.
L’Union européenne prépare une 10e série de sanctions économiques qui toucheront également l’Iran, puisque le pays fournit des armes à la Russie. L’objectif de ces sanctions demeure officiellement le même : réduire la capacité de la Russie de poursuivre la guerre.
Mais au printemps, l’Occident risque d’aller plus loin. La prochaine étape serait de viser les entreprises et les pays qui font toujours affaire avec la Russie. Ce qui pourrait ouvrir d’autres types de guerres commerciales entre pays.
Tout expert de géopolitique vous le dira : l’effet des sanctions économiques est long et exige de la patience. Rappelons-nous qu’il a fallu attendre cinq ans pour que l’embargo économique contre l’Afrique du Sud mène à la fin de l’apartheid.
Les sanctions ont aussi un effet mondial, soit la hausse marquée des cours des énergies fossiles. Pas surprenant que les géants pétroliers comme BP, Shell, ExxonMobil ou Total aient dévoilé des profits records.
L’effet le plus important de cette guerre et des sanctions est cependant peut-être le moins quantifiable : les répercussions de la mort de milliers de jeunes hommes russes sur le front, ainsi que l’exode de scientifiques, d’une élite intellectuelle et de cerveaux russes, qui aura des conséquences à long terme sur le développement du pays.
Et ça, il faudra des années pour le mesurer, tout comme la Russie mettra du temps à s’en relever.