Les technos sont des entreprises comme les autres

Ça licencie chez Google, Uber, Amazon et Netflix, notamment. Comme quoi, même qualifiée abusivement de « nouvelle », l’économie sur laquelle reposent ces entreprises répond aux mêmes impératifs du marché.

mathisworks / Getty Images / montage : L’actualité

Fin 2007, quand j’étais chroniqueur techno, Apple m’avait prêté un exemplaire de sa révolution pour le tester. L’iPhone n’était pas encore sorti au Canada, mais il dictait déjà l’avenir.

Ceux qui ont couvert ces années se souviennent d’une époque foisonnante. La technologie allait changer le monde, et on décrivait chaque innovation avec plus d’admiration que d’esprit critique. Notre vie tiendrait dans nos mains, tous nos objets seraient bientôt connectés.

Le transport serait aussi métamorphosé par ce progrès: un parc de véhicules autonomes presque entièrement partagés, une fluidité assurée par des feux de circulation intelligents qui suivraient véhicules et piétons en temps réel.

Et le milieu de travail créatif des entreprises technos, modèle de coolitude avec cafétéria, poufs et tables de baby-foot, allait faire tache d’huile dans tous les bureaux de l’Occident.

Le même enthousiasme est apparu à l’égard des réseaux sociaux, qui devaient retisser des liens entre les communautés. Nous avions tenu pour acquis que tout resterait gratuit — parce que nous sommes le produit, n’est-ce pas ! — tout en acceptant passivement (ou en ignorant) que nos comportements soient épiés à des fins mercantiles.

À quoi bon s’opposer au progrès ? Les technos n’avaient que le bien en tête pour un monde plus harmonieux. Elles n’allaient que faciliter nos modes de consommation.

La nouvelle économie promettait la prospérité à ceux qui s’y collaient. Les derniers mois sont un rappel brutal à la réalité. Qu’on pense aux compressions chez Meta (11 000 employés), Microsoft (10 000 postes), Google (12 000), Amazon (18 000), Disney (7 000), Warner Bros. (125), Netflix (300), Pinterest (150), Snap (1 300) ou Zoom (1 300).

On pourrait ajouter la moitié des employés licenciés chez Twitter, même si on plaidera un coup de sang du nouveau propriétaire, Elon Musk. Il reste que Twitter était déficitaire et que des compressions allaient survenir, Musk ou pas.

Quant à Apple, l’entreprise résiste, mais elle a mis fin au contrat de plusieurs sous-traitants. Ce retour à la réalité se vérifie aussi à petite échelle : Google a remercié les 30 massothérapeutes de l’entreprise et Facebook a fermé son service de buanderie.

Cette conversion des technos à l’austérité fait image. Même si, dans beaucoup de cas, les licenciements sont moins nombreux que les embauches pendant la pandémie, ce n’est pas terminé. Un certain pessimisme règne chez les technos, au lendemain d’une pandémie qui favorisait une consommation accrue des écrans et qui a poussé les profits des GAFAM en hausse de 55 % en 2021.

Ce devrait pourtant être une évidence : les technos sont des entreprises comme les autres. Cotées en Bourse pour la plupart, elles se battent pour leur pointe de tarte de consommateurs, et leurs actionnaires et investisseurs attendent des rendements.

Pourquoi ce retour aux bases du capitalisme ? Parce qu’il coïncide avec la hausse des taux d’intérêt. Pendant près de deux décennies, les technos dépensaient sans compter, soutenues par un énorme capital de risque — et beaucoup de spéculation. Les investisseurs lançaient l’argent à tout vent, même si l’entreprise accumulait les pertes.

C’était le mantra de la bulle : tant que l’entreprise était en croissance, les résultats financiers n’avaient aucune importance. Tant qu’elle écrasait ses concurrents, pourrait-on ajouter. Cette stratégie, appelée blitzscaling, consistait justement à devenir puissant très rapidement pour étouffer la naissance même d’une concurrence. Cela donnait des succès retentissants, comme Uber, ou des échecs patentés, comme WeWork.

Il reste qu’avec un capital plus cher à emprunter, les sources se tarissent. Si bien que les technos n’ont pas d’autre choix que d’augmenter leurs revenus, diminuer leurs coûts, voire baisser la qualité des produits. Le temps où elles dépensaient sans compter sur la promesse d’une révolution est loin.

Disney, par exemple, a injecté des sommes colossales dans les productions pour Disney+, tout en maintenant les abonnements à petit prix. Elle se retrouve avec des pertes de 1,1 milliard au dernier trimestre. L’entreprise a promis des profits à la fin de l’an prochain, ce qui se traduira inévitablement par d’autres licenciements, moins d’argent dans les productions, et une majoration attendue du prix des abonnements.

De son côté, Netflix a une dette de 14 milliards, et ferme le tuyau par lequel ses abonnés partageaient leur compte.

La baisse des revenus des publicités, pourtant plus présentes que jamais sur la plateforme, incite Facebook à tester, à l’instar de Twitter, un abonnement payant. Dans les derniers résultats de Meta, le mot « efficacité » revient six fois plus souvent dans la bouche de Zuckerberg que « métavers », qui devait être sa planche de salut. Ça en dit long.

La liste pourrait continuer chez Uber ou Amazon. Le constat est simple : les technos sont avant tout des entreprises qui répondent aux impératifs du marché. Même si elles ont grandi en s’affranchissant des modèles d’affaires traditionnels, ceux-ci les rattrapent. Et elles devront recommencer à innover si elles veulent retrouver du capital de risque prêt à les soutenir.

L’avertissement vaut également pour l’intelligence artificielle, nouvelle révolution proclamée. Là aussi, ce sont des investissements très coûteux pour des résultats incertains.

L’humain est encore très humain, et le marché est encore très cupide.

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