
Pendant que Bombardier fait encore la manchette, ce n’est pas une mauvaise idée de réfléchir de façon un peu plus large au problème de l’enrichissement des mieux nantis. Le 1 % le plus riche dans la société québécoise, ce sont les contribuables qui gagneront 200 000 dollars ou plus en 2017. Depuis 30 ans, inflation déduite, leur revenu brut avant impôt a augmenté de 67 %. Celui des 50 % les moins riches a baissé de 14 %.
La part du revenu total du Québec obtenue par le 1 % le plus riche était de 10 % en 2014. Cela nous place au milieu du peloton mondial. Cette part atteignait 20 % aux États-Unis, 13 % en Alberta, en Ontario et en Angleterre, 10 % au Japon, 9 % en France, en Italie, en Espagne, en Australie, en Suède et en Suisse, et 6 % aux Pays-Bas.
L’ascension du 1 % le plus riche ne peut s’expliquer par les changements technologiques et la mondialisation. Ces phénomènes sont communs à tous les pays. Ils ne peuvent rendre compte du fait que la part du 1 % est de 20 % aux États-Unis, à un extrême, et de 6 % aux Pays-Bas, à l’autre extrême. L’explication à retenir est qu’il est devenu facile pour des groupes dans certains pays — mais pas dans d’autres — d’obtenir plus, et parfois beaucoup plus, que ce que vaut vraiment leur contribution à la production de biens ou de services.
Parmi les très riches, les opérateurs financiers ont énormément bénéficié de la déréglementation de leur secteur. Le cataclysme financier de 2008 en a été une terrible conséquence. Au Canada, les dirigeants de l’industrie pétrolière ont touché le pactole quand le prix de la ressource a explosé. Aucune amélioration de leur performance en tant que gestionnaires ne leur a pourtant fait mériter cet avantage.
Quant aux hauts dirigeants d’entreprise, ils ont littéralement la possibilité d’établir eux-mêmes leur propre rémunération. Ils peuvent faire en sorte que cette dernière augmente quand les choses vont bien, sans nécessairement diminuer quand elles vont moins bien. La gouvernance en entreprise leur permet de jouer à saute-mouton. La tendance de chaque conseil d’administration à accorder aux dirigeants une rémunération juste un peu supérieure à la moyenne fait augmenter la moyenne elle-même sans limites ! C’est… mathématique. Les syndicats, affaiblis, ne jouent plus leur rôle de modérateurs d’autrefois. Le pouvoir des actionnaires reste limité.
Enfin, l’impôt sur le revenu des très riches a beaucoup diminué depuis 35 ans. On s’attendait à ce qu’un fardeau fiscal allégé pour les très riches encourage la croissance économique, mais cela ne s’est pas produit. Moins leurs derniers dollars de revenu ont été imposés, plus les très riches ont mis d’efforts pour obtenir un revenu accru, sans nécessairement avoir à travailler plus d’heures ni à fournir un meilleur rendement.
Le 1 % le plus riche accapare une part du revenu total plus faible au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord. Pourquoi ? Il est probable que cela dépend de notre rejet plus net des inégalités, de notre degré de syndicalisation plus étendu, de nos institutions financières et entreprises plus coopératives et de nos programmes de sécurité sociale plus avancés.
Comme le martèle l’un des brillants chercheurs contemporains sur le traitement fiscal des riches, le professeur Gabriel Zucman, de l’Université de Californie à Berkeley, « l’augmentation des inégalités n’est pas inéluctable, c’est un choix politique ». Si on veut corriger la situation, il faudra revenir à un impôt plus progressif en haut de l’échelle des revenus. Cela exigera cependant une coordination internationale qui s’attaquera en même temps au problème des paradis fiscaux et à la taxation des institutions financières. Une telle coordination progresse, mais elle est encore loin d’être pleinement réalisée.
Il faudra aussi viser une meilleure répartition du revenu avant impôt. Cesser de tolérer les petits et les grands monopoles, restaurer la réglementation du secteur financier, appuyer le pouvoir de surveillance des employés et des actionnaires, favoriser la rémunération participative du personnel, et réparer les défauts de la gouvernance en entreprise.
C’est d’abord une question morale. Mais aussi de prudence. Il faut agir sans délai si on ne veut pas risquer ici une révolte des classes laborieuses contre les élites, comme on a vu récemment se produire aux États-Unis, en Angleterre et en France.
Cet article a été publié dans le numéro de 15 juin 2017 de L’actualité.
Sauf erreur de ma part, l’un des principes fondamentaux des impôts dans les États démocratiques, c’est son caractère progressif. Cela me fait quand même toujours un peu rire de constater qu’en 2017, on souhaite revenir à un impôt plus progressif, notamment pour les plus hauts revenus.
Qu’est-ce qui peut bien expliquer ce dérapage au niveau de l’ensemble des prélèvements ?
Est-ce que la rémunération des plus hauts dirigeants nonobstant ne prend-elle pas en compte l’imposition ? Si les prélèvements fiscaux augmentent inconsidérément, la rémunération ne sera-t-elle pas révisée à la hausse ou bien ce sont les diverses composantes de la rémunération qui seront configurées de manière à minimiser l’impôt ?
Dans ce cas, c’est le principe même de progressivité qui s’est en partie fourvoyé, lorsque l’essentiel du revenu était (et est encore pour nombre de gens) basé sur le travail (taux horaire notamment), il était relativement simple d’être progressif.
Aujourd’hui ces notions sont devenues des abstractions. Il est plus difficile de fonder une imposition juste et équitable sur des notions purement conceptuelles de revenus et de rémunérations.
Plusieurs économistes se sont interrogés sur ce que devrait être en théorie une politique optimale d’imposition. Il faut penser notamment aux travaux de l’économiste britannique Antony Barnes Atkinson (récemment décédé cette année) ou à ceux de l’américain Joseph Stiglitz.
L’un des faits saillants est que c’est plus l’ensemble des composantes du revenu des gens qui devrait être taxé équitablement et non cibler les entreprises et le capital proprement dit en particulier. L’un des obstacles au développement économique, c’est la raréfaction (réelle ou artificielle) du capital en circulation. L’imposition du capital de diverses façons contribue à contracter encore sa circulation. Notamment de nations à nations. Incluant des compagnies transnationales, voire des investisseurs institutionnels dans toutes sortes de transactions.
Il y a dans une économie bien faite besoin d’avoir un accès suffisant aux capitaux, un accès pour tous à de bonnes conditions.
Ce qui importe, ce n’est pas tant de taxer les entreprises qui font de l’argent. C’est plutôt d’avoir des mécanismes ou des règlements qui font en sorte qu’il y ait bien redistribution des revenus de toute façon. Ce qu’écrit Pierre Fortin : « Il faudra aussi viser une meilleure répartition du revenu avant impôt (…) », dans ses conclusions.
La question étant de savoir : Qui devrait contribuer le plus par l’impôt ? — Ce sont précisément les contribuables… donc les citoyens qui devraient assumer la plus grande part du fardeau fiscal. Un travail efficace pour éliminer toutes formes d’inégalités ne peut que conduire l’ensemble des foyers fiscaux à pouvoir progressivement contribuer par l’impôt.
Ce qui est intolérable maintenant, c’est qu’il y ait encore des gens, des corporations, des entreprises ou des fondations (très en vogue actuellement) qui ne payent pas ou à peu près pas d’impôt. Certains parce qu’ils contournent le système, d’autres en nombre croissant parce qu’ils n’ont ou bien pas ou simplement plus les moyens de financer les services de cette façon.
Étrange constat de Pierre Fortin sachant qu’il a lui-même contribué à ce phénomène par ses prises de position dans l’espace public.
Pour moi, monsieur Fortin s’est fait hacké son compte d’Actualité pour écrire de telle chose. Ce n’est pas ses positions néo-libérale habituelles.
Il a vu la lumière au bout du tunnel ou quoi?!!
Pour quelqu’un de gauche, Pierre Fortin apparait comme un économiste de droite. Pourtant, il est plutot au centre. J’ai toujours remarqué comment il montrait les deux côtés de la médaille sans tomber dans le dogmatisme comme les membres du malheureux IEDM. Sur le modèle québécois, il a souvent dit qu’il fallait le réaligner et non l’abolir. Vous voulez quelqu’un de néo-liberal? Oubliez Fortin et pensez à Nathalie Elgrably. Comme aveugle de droite, on ne fait pas mieux. Pour elle, Fortin est sûrement un méchant communiste.
« [L’]augmentation des inégalités n’est pas inéluctable, c’est un choix politique »
Dans ce cas, espérons que le Premier ministre, ce grand humaniste, et l’équipe qu’il dirige ont capté le message, car ceux-ci, refusant tout intervention gouvernementale sur les hauts salariés, « considèrent que toute «ingérence» gouvernementale heurterait notre système démocratique basé sur les valeurs liées aux libertés individuelles. » (Le Soleil)
Évidemment, cette non-ingérence semble ne pas s’appliquer aux libertés collectives puisque ce gouvernement ne s’est pas gêné pour « s’ingérer » dans la rémunération des travailleurs de la construction, des juristes de l’État et probablement à ses ingénieurs. Sans oublier la complaisance qu’a ce gouvernement à maintenir la rémunération de ses fonctionnaires la plus faible possible.
Heureux voire même réconforté de lire dans la conclusion de monsieur Fortin que « C’est d’abord une question morale » Vaste monde s’il en est un que celui de la morale, de la moralité ! Vous êtes certes au fait qu’il existe de ces « affaires » légalement blindées qui sont, à la fois, immoralement blindées. Oui, des choses légales qui sont d’une telle malpropreté ! J’en témoigne. Morale et conscience ne font qu’un. Ne traversons-nous pas une époque où des consciences souffrent d’une telle élasticité ? Beaucoup à dire, à écrire sur la conscience. Un de mes ouvrages sur le sujet est d’ailleurs en attente, je dirais, de bénédictions éditoriales de la part de maison d’édition.
100 ans sans se plaindre
Pas inéluctable?… On pourrait le souhaiter mais je vais vous assurer qu’il existe une chose inéluctablement inéluctable; c’est la cupidité du genre humain. Donc, la réduction des écarts, oubliez ça! On peut se consoler (un peu) avec l’envers de la médaille, c’est à dire du fait que l’argent que dépensent les riches retomble en pluie génératrice d’emplois pour le bon peuple et qui par ailleurs devra par obligation financière contribuer à les enrichir advantage. Y’a pas de fin, voyez-vous?
Quelqu’un peu m’expliquer pourquoi l’impôt progressif selon ton revenue est supposé être plus équitable? Je trouve réellement injuste qu’un personne paie un plus gros pourcentage de son revenue brut en impôt qu’un autre. Ne somme nous pas tous égaux? Un personne n’utilise pas plus les services publique, financer par les impôts, parce que son revenue brut est plus élevé. Du moins, réviser les « tranche » d’imposition, la différence de train de vie entre 30k$ et 60k$ n’est pas si grande, alors pourquoi le pourcentage d’impôt n’est pas le même? Présentement, même si 60K est le double de 30k, après impôt, il reste moins de la moitié de ce qui reste à celui qui travaille 30K (je dis pas « gagne » parce que notre salaire, on le travail on le gagne pas). Je suis d’accord que celui qui fait 100 million$, même si tu lui enlève en impôt 80%, il lui restera quand même de quoi vivre très luxueusement. Mais en bas de 200k$ par année, je trouve qu’on devrait tous être égaux. Le pourcentage d’impôt devrait plutôt être fonction de la façon que les revenue sont gagné. Par exemple: un médecin qui fait 100k$ au urgence, à faire 50, ou 60 heures par semaine, des quart de nuit et autre devrait être moins imposé qu’un autre médecin qui fait le même 100k$ comme gestionnaire.
@ Alain,
— Vos propos, citation : « Je trouve réellement injuste qu’un personne paie un plus gros pourcentage de son revenue brut en impôt qu’un autre. »
Cela pourrait être injuste en effet si cela était vrai, si ce n’est qu’au Canada personne ne paie un plus gros pourcentage sur un revenu brut, puisque le calcul de l’impôt est calculé sur la base d’un revenu net avant impôt. Vous avez droit évidemment à toutes sortes de déductions et un certain nombre de crédits tout dépendant de votre situation.
L’impôt est considéré comme progressif dans la mesure où le taux d’imposition est variable en fonction de diverses tranches d’imposition. Ainsi pour reprendre votre exemple, un foyer fiscal dont le revenu net (et non pas brut) avant impôt serait de 30 000 $, serait astreint à un taux de base de 15% au fédéral.
Un foyer fiscal bénéficiant d’un revenu net avant impôt de 60 000 $ : 46 916 $ sera astreint à un prélèvement de 15% ; sur le solde (soit 13 084 $), le taux applicable passe à 20,5%. Cette mécanique s’applique de la même façon au niveau des impôts provinciaux.
Chaque année les tranches d’impositions sont ajustées en fonction notamment de l’inflation. Au fédéral, il y a actuellement 5 taux d’imposition. Il pourrait y en avoir moins, mais dans ce cas, chaque taux pourrait être revu sensiblement à la hausse en fonction des objectifs budgétaires du gouvernement.
Techniquement on pourrait aussi avoir plus de taux d’imposition, jusqu’à 14 comme le propose dans ses commentaires « Morenito », si ce n’est qu’un trop grand nombre de tranches accroit automatiquement le pourcentage d’erreurs de calcul, sans indiquer pour autant qu’on va accroitre nécessairement de façon très significative la progressivité pour tous.
Un taux d’imposition fixe pour tous — comme c’est le cas d’ailleurs pour les taxes de vente -, pourrait être considéré comme régressif. Puisque les taux fixes avantagent essentiellement ceux qui bénéficient d’un très fort pouvoir d’achat au détriment de ceux qui ont un pouvoir d’achat limité.
Une proposition intéressante avancée lors des dernières élections présidentielles françaises par le socialiste Benoit Hamon, c’était le : « revenu universel d’existence », ce qui constitue une sorte de « péréquation [avec des variables] » permettant de redistribuer un revenu minimum suffisant non imposable dont bénéficient ceux qui travaillent comme celles et ceux qui ne travaillent pas.
Dans ce cas, un tel dispositif n’affecte aucune tranche d’imposition quelle qu’elle soit.
VOICI LA SUGGESTION INTELLIGENTE D’UN LECTEUR ANONYME PUBLIÉE DANS LA PRESSE EN JANVIER 2013
Au Québec, on est trop cons : on a 4 paliers d’imposition, peu importe qu’on gagne 180 000$ ou 190 Millions. À quand une échelle d’imposition digne du 21e siècle et de ses 6 classes : très pauvre, pauvre, moyenne, riche, très riche, super riche ! Exemple :
1- 0% pour les revenus de moins de 15 000$/an
2- 5% pour la tranche de revenus entre 15 000$ et 25 000$
3- 10% pour la tranche de revenus entre 25 000$ et 35 000$
4- 15% pour la tranche de revenus entre 35 000$ et 50 000$
5- 20% pour la tranche de revenus entre 50 000$ et 75 000$
6- 25% pour la tranche de revenus entre 75 000$ et 125 000$
7- 30% pour la tranche de revenus entre 125 000$ et 250 000$
8- 35% pour la tranche de revenus entre 250 000$ et 500 000$
9- 40% pour la tranche de revenus entre 500 000$ et 1M.
10- 45% pour la tranche de revenus entre 1M. et 2,5M.
11- 50% pour la tranche de revenus entre 2,5M. et 10M.
12- 55% pour la tranche de revenus entre 10M. et 25M.
13- 60% pour la tranche de revenus entre 25M. et 100M.
14- 65% pour tous revenus supérieurs à 100M
Proposeur anonyme
Si je ne m’abuse, je crois que la France a testé quelque chose dans le genre et plusieurs de leurs hauts salariés ont foutu le camp…
Commencez par régler vos problèmes d’analphabétisme et de décrochage scolaire (le Québec étant la pire de toutes les grandes provinces Canadiennes) serait un bon point de départ. Un peu moins de philosophie sociale et politique et un peu plus de sens pratique vous aidera dans votre cheminement.
Pierre Fortin devrait prendre la plume plus souvent.
Il serait bon aussi de le voir plus souvent à la TV.
Mais je ne me fais pas d’illusions. Les inégalités vont demeurer
pour ne pas dire autre chose
On le voit de temps en temps temps. Mais il est trop posé et calme pour faire un bon show télé. Celle-ci a besoin de clowns et non d’experts.