La hausse du coût de la vie est actuellement la préoccupation économique la plus importante des Québécois. Nous avons tous été surpris — les économistes comme les autres — par l’explosion soudaine des prix à la consommation en 2021 et 2022, car nous avions été habitués à voir le taux d’inflation annuel fluctuer assez étroitement autour de 2 % pendant les 30 années précédentes.
Or, comme le montre le graphique 1, le taux d’inflation qui était de 1 % en 2020 au Canada a bondi à 5 % en 2021, puis à 12 % au premier semestre de 2022, avant de retomber à 3 % il y a un an. De sorte qu’en juin 2023, un panier de consommation représentatif qui coûtait 100 dollars en février 2020 valait désormais 114,40 dollars au Canada, et encore plus au Québec, soit 115,70 dollars.

Ainsi, de février 2020 à juin 2023, les prix à la consommation ont augmenté de 15,7 % au Québec.
Nous avons donc l’impression que l’inflation nous a « volé » notre pouvoir d’achat. Mais qu’en est-il en réalité ?
Les salaires aussi ont augmenté
Pour y voir clair, reportons-nous au graphique 2, qui trace l’évolution mensuelle du salaire hebdomadaire moyen au Canada et au Québec de février 2020 à juin 2023. Un employé qui gagnait 1 000 dollars en février 2020 a vu son salaire hebdomadaire s’élever en moyenne à 1 146 dollars au Canada et à 1 182 dollars au Québec en juin 2023. Le salaire hebdomadaire moyen a donc augmenté de 14,6 % au Canada et de 18,2 % au Québec durant cette période.

La hausse de 8 % du salaire moyen au cours des premiers mois de la pandémie — de février à mai 2020 — attire au départ l’attention sur le graphique 2. Comme l’a expliqué Statistique Canada, cette augmentation surprenante sur seulement trois mois a résulté en grande partie des importantes pertes d’emplois essuyées par les bas salariés pendant la récession provoquée par l’arrêt forcé de certaines activités au début de la pandémie. Les personnes mieux rémunérées se sont alors retrouvées à occuper une plus grande proportion des emplois, ce qui a fait soudainement et artificiellement augmenter la moyenne pondérée des salaires de février à mai 2020.
Cet effet de la récession sur la composition du marché du travail a été temporaire. Il a disparu peu à peu avec le retour des travailleurs à plus faible salaire lors de la reprise économique entre le milieu de 2020 et la fin de 2021, de sorte qu’on peut négliger son incidence sur la rémunération quand on compare le salaire moyen de 2022 ou de 2023 avec celui du début de 2020.
Au Québec, la hausse du salaire moyen a donc mieux que couvert la hausse du coût de la vie
Les deux ensembles de données sur le revenu d’emploi et les prix à la consommation nous amènent à ce constat irréfutable : la hausse des salaires a surpassé celle des prix dans les deux régions, mais encore plus au Québec. En juin 2023, dans l’ensemble du Canada et au Québec, les salariés disposaient en moyenne d’un pouvoir d’achat supérieur à celui dont ils avaient bénéficié en février 2020. Au Canada, entre les deux dates, le salaire moyen a augmenté de 14,6 %, tandis que les prix à la consommation ont connu une hausse de 14,4 %. Il y a donc eu un petit gain de pouvoir d’achat de 0,2 % (14,6 moins 14,4).
Au Québec, pendant ce temps, le salaire moyen a augmenté de 18,2 %, alors que les prix à la consommation ont monté de 15,7 %. Il y a eu un gain de pouvoir d’achat de 2,5 % (18,2 moins 15,7).
Ce gain net de 2,5 % du Québec en pouvoir d’achat a donc été supérieur à celui de 0,2 % du Canada, bien que les prix à la consommation aient augmenté un peu plus chez nous que dans l’ensemble du pays.
Et si l’inflation avait été plus modérée ?
Peut-on se demander de combien le pouvoir d’achat aurait augmenté dans une économie « normale », en l’absence de pandémie et d’inflation accélérée ? Le salaire moyen aurait-il abouti à un niveau inférieur ou supérieur à 1 164 dollars en juin 2023 ?
Il est impossible de répondre à cette question avec une précision absolue, mais une réponse approximative est possible et présentée par le graphique 3. Celui-ci reproduit d’abord l’évolution fluctuante du pouvoir d’achat du salaire hebdomadaire moyen de mars 2011 à février 2020 (ligne bleue), période qui va de la reprise amorcée après la récession de 2009 jusqu’au mois précédant la récession pandémique du printemps 2020. La tendance moyenne à la hausse du pouvoir d’achat pendant ces neuf années (ligne rouge) est de 1,0 % par année.

Le graphique suppose ensuite que la même tendance moyenne se serait poursuivie de février 2020 à juin 2023 si la pandémie de 2020-2021 et l’inflation accélérée de 2022-2023 n’avaient pas eu lieu. On peut voir que la projection basée sur cette hypothèse fait aboutir le salaire moyen à 1 167 dollars en juin 2023. Ce niveau est légèrement plus élevé que celui de 1 164 dollars réellement observé à cette date, mais la différence entre 1 167 et 1 164 est si faible qu’elle doit se trouver à l’intérieur de la marge d’erreur des estimations. Jusqu’ici, il n’y a donc pas de preuve que la pandémie et l’inflation qui a suivi ont empêché le pouvoir d’achat moyen des salariés du Québec de croître cumulativement au même rythme annuel que dans la période antérieure du début de 2011 au début de 2020.
La fiscalité a mieux soutenu le pouvoir d’achat au Québec qu’ailleurs
Les graphiques 1, 2 et 3 démontrent ainsi trois choses : que la rémunération a suivi l’inflation ; que le pouvoir d’achat s’est encore plus accru au Québec ; et, finalement, inflation déduite depuis février 2020, que le pouvoir d’achat du salaire moyen au Québec a augmenté cumulativement à peu près autant que s’il avait poursuivi la même tendance moyenne à la hausse (de 1,0 % par année) qu’au cours de la décennie antérieure, qui avait été exempte des maux de la pandémie et de l’inflation.
Tous ces résultats sous-estiment un autre phénomène non négligeable : l’amélioration du pouvoir d’achat moyen des salariés au Québec depuis février 2020 grâce aux interventions de l’État québécois, comme les sommes ponctuelles versées pour contrer la hausse du coût de la vie, la bonification du soutien aux aînés et l’allégement général de la fiscalité. Ces mesures compensatoires sont les plus importantes qui aient été appliquées par un gouvernement au Canada depuis 2021.
La situation est cependant plus ardue au bas de l’échelle
Il faut par contre nuancer l’évolution favorable du pouvoir d’achat des travailleurs québécois en soulignant qu’elle s’applique à la moyenne des salaires. Elle ne dit rien de la répartition de la hausse des salaires et des prix autour de cette moyenne. Certains Québécois ont en effet perdu du pouvoir d’achat.
De février 2020 à juin 2023, le salaire minimum du Québec est passé de 12,50 dollars à 15,25 dollars. Il s’agit d’une croissance de 22 %, soit 6,3 % de plus que les prix à la consommation, qui ont crû de 15,7 %. Cet écart a ainsi offert un certain soutien aux travailleurs plus faiblement rémunérés. Mais, comme je l’ai fait remarquer dans ma chronique de L’actualité de novembre 2022, il est plus difficile pour une famille pauvre que pour une famille riche d’absorber une forte hausse des prix à la consommation comme celle que nous connaissons depuis 2020.
La réaction habituelle devant une montée générale des prix consiste à modifier la répartition du budget familial en achetant en plus grande quantité les biens de consommation dont les prix augmentent le moins, et en moins grande quantité ceux dont les prix grimpent le plus. Pour une famille moins nantie, il devient toutefois compliqué de répartir autrement son budget, car celui-ci est déjà plus ou moins « gelé » en ce qui concerne les besoins incontournables, comme la nourriture, le logement et l’habillement. De plus, étant donné que son épargne accumulée est faible ou nulle, cette famille ne dispose pas, comme la famille riche, d’un coussin financier lui permettant de traverser aisément une période d’inflation accrue, même temporaire.
Pourquoi sommes-nous frustrés contre la hausse du coût de la vie ?
Malgré tout, vous et moi avons l’impression de nous être fait « voler » par l’inflation le pouvoir d’achat accru que nous ont procuré les hausses salariales.
Ce que nous ne percevons pas, cependant, c’est que la hausse de nos salaires résulte elle-même en partie de la hausse des prix. Et cet écart entre nos perceptions en tant que salariés et la réalité de l’interaction étroite entre salaires et prix dans l’économie est bien établi, ayant fait l’objet d’une étude révélatrice il y a quelques années par l’économiste Robert Shiller (Nobel 2013), de l’Université Yale, au Connecticut.
La tendance des salaires à augmenter par indexation (totale ou partielle) au coût de la vie est en effet bien connue. Par conséquent, si la hausse des prix à la consommation avait été plus faible, il est loin d’être certain que les salariés auraient bénéficié d’un meilleur pouvoir d’achat, puisque leurs hausses de salaire auraient elles aussi été plus faibles.
Mais que voulez-vous, c’est la vie.
Dans votre analyse il faudrait aussi considérer la situation des retraités qui ne possèdent pas de fond de pension indexés avec l’inflation. Eux ne reçoivent pas d’augmentation instantanée de leur revenus de placement lors d’une hausse subite du coût de la vie. Dans leur cas le pouvoir d’achat vient de prendre une plonge permanente
Je suis tellement d’accord avec vous !
Tout à fait d’accord. Nos revenu de retraite n’a pas augmenté de 18 ou 20% si l’on concidère le salaire moyen ou le salaire minnimum. Notre revenu de retraite de niveau gouvernemental a augmenté de quelque centime et nos autres revenus sont restés inférieur de beaucoup par rapport à l’inflation.
Monsieur Fortin devrait compléter sa pensée par un billet sur :
1, La hausse des profits des oligopoles canadiens (alimentation, médicaments et autres).
2, Il faut connaitre mv = pt pour saisir ce qui suit :
Comme l’inflation (hausse du niveau général des prix), qu’on ne doit pas confondre avec la hausse relative des prix (les uns par rapport aux autres), fut générée par le laxisme monétaire du gouvernement Trudeau pour lutter (à bon droit) contre la menace pandémique à la santé ainsi qu’à l’ordre public, quelle part de cette inflation volontaire et publique a enrichi les détenteurs de stocks de toutes sortes de produits, vendus plus chers quand ils avaient été achetés moins chers auparavant ?
3, S’il y a eu des faillites durant la pandémie, quelles entreprises au contraire ont connu une hausse d’activité et de profits ?
Ce ne sont pas tous les travailleurs qui ont vu leur salaire augmenter, bien au contraire…
Par sa définition même, si le salaire moyen a augmenté, c’est que le salaire de la plupart des travailleurs a augmenté! C’est mathématqiue.
@ B. Caron
Un gros salaire versé à une minorité de particuliers peut fausser la moyenne et donner l’impression d’une hausse globale des salaires chez l’ensemble des particuliers. Or, je ne compte plus le nombre de travailleurs que je croise et dont le salaire stagne : la cause du problème se situe là.
On est exactement ou ce que les économistes disaient qu’on allait être quand le Fédéral a fait son budget de 361 milliard de déficits en 2021 sans compté les autre budget déficitaires. Les économistes disaient attendez dans 1-2 ans l’inflation vas frappé très fort. La dernière fois que l’inflation était très élevé a été durant les année de Trudeau père quand son gouvernement dépensait sans pensé au lendemain. Juste en 1982 l’inflation était de 12% sans compté les autre année de son règne. Le monde avait oublié cela.
L’un des principaux facteurs de la hausse des prix – selon les données de la Banque du Canada – survient quand la demande de produits (et de services) dépasse pendant un certain temps la capacité de l’économie de répondre à la demande.
La hausse des taux d’intérêts permet (en théorie) de revenir à une position d’équilibre, ce qui signifie que l’offre et la demande s’équivalent. La demande baisse, l’offre s’ajuste à la demande.
Comme selon la Banque, ce déséquilibre est transitoire, limité dans le temps, il ne devrait pas être utile de relever les salaires au-dessus du taux d’inflation, car la hausse des salaires et de tous revenus au-dessus du taux a pour effet de nourrir l’inflation.
Les prix augmentent, la demande reste élevée et l’économie reste incapable ou ne veut pas répondre entièrement à cette demande accrue qui ne faiblit pas. Il suffit que les revenus augmentent plus que l’inflation pour la moyenne supérieure de la population pour maintenir forte la demande, au-delà de la capacité de l’économie de s’ajuster rapidement à fin de répondre à cette demande.
À noter que l’immigration qui est désormais hors de contrôle presque partout au Canada incluant le Québec, que cela contribue à nous écarter plus encore de la position d’équilibre recherchée.
Une telle situation est très avantageuse pour les entreprises qui offrent des produits et services en demande puisque elles peuvent réaliser d’excellents profits sans obligation d’accroître l’offre sur le marché. Ces entreprises ont intérêt à augmenter les salaires puisque la richesse accrue de plusieurs (ce qui correspond à un accroissement du pouvoir d’achat) permet d’alimenter et la demande forte et l’inflation.
La contrepartie est que les entreprises les plus faibles, même si elles répondent à la demande, se trouvent contraintes de fermer ou se doivent d’augmenter elles aussi leurs prix pour accroître leurs marges bénéficiaires. Si elles ne parviennent pas à consolider leur trésorerie, elles fermeront.
Ce que ne nous disent ni monsieur Fortin, ni la Banque du Canada, c’est que nous assistons à une mutation accélérée, une transformation forcée des paradigmes économiques, cette mutation précipitée et émancipée est un facteur important de crise qui pourrait mener les économies mondiales dans ce qu’on appelle en astronomie : un trou noir, rendant toutes formes de gouvernances impossibles puisque ce serait une descente inédite, totale vers l’inconnu.
Il ne s’agirait plus d’une tempête parfaite comme en 2008, ce serait plutôt l’apocalypse…. Tout cela pour dire à nos concitoyens et peut-être aussi à quelques économistes et politiciens qu’il est temps de revenir aux fondamentaux de l’économie ; de regarder autres choses que la croissance du pouvoir d’achat pour plutôt se concentrer sur la capacité de conjuguer harmonieusement la capacité de produire de la richesse par tous avec celle réelle de payer des gens.
Je me demande à quel point cette étude considère les coûts associés au logement dans le pouvoir d’achat. Parce si, mathématiquement tout fonctionne, la réalité peut être bien différente: Tous les ménages qu’ils soient propriétaires ou locataires (à l’exception peut-être des très riches) doivent maintenant allouer une proportion plus grande de leurs revenus au logement. La conséquence directe est qu’il y a moins d’argent pour les autres biens et services. Donc le pouvoir d’achat ne s’en trouve-t-il pas diminué par la bande?
De plus, étant donné qu’une moyenne tend à être influencée par les valeurs qui sont situées aux extrêmes de l’échantillon, j’aurais aimé comparer les résultats en utilisant le revenu médian… juste pour le plaisir de comparer.