Luc Bertrand : le retour de «Lucky Luc»

Sans lui, les Bourses de Toronto et de Londres prépareraient déjà leur voyage de noces… Au nom du « groupe de l’érable », l’ancien président de la Bourse de Montréal, Luc Bertrand, a présenté une spectaculaire contre-offre. Mais qui est donc ce Lucky Luc de la haute finance ?

Luc Bertrand : le retour de Lucky Luc
Photo : Ryan Remiorz / AP / PC

Au firmament de la finance canadienne, Luc Bertrand est une comète. Sa traînée lumineuse est éblouissante et son apparition annonce de grands bouleversements. Même ceux que les arcanes de la Bourse laissent de glace ne peuvent s’empêcher de suivre cet astre étonnant qui fait de nouveau les manchettes.

En mai 2011, alors que les Bourses de Toronto (Groupe TMX) et de Londres préparent leur fusion dans l’indifférence quasi générale du public, voilà que Luc Bertrand – vice-président du conseil de Banque Nationale Groupe financier depuis janvier 2011 – arrive avec une offre concurrente. Son but : placer la Bourse canadienne sur une nouvelle orbite.

La Maple Group Acquisition Corpora­tion, dont Bertrand est le porte-parole et le principal stratège, réunit 13 banques et caisses de retraite canadiennes, dont 4 au Québec (la Banque Nationale, le Mouvement Desjardins, la Caisse de dépôt et placement ainsi que le Fonds de solidarité). Ce con­sor­tium propose de racheter les actions du Groupe TMX pour 3,6 milliards de dollars, dont 70 % en argent comptant.

Puis, fin juin : coup de théâtre. Voyant qu’ils n’auront pas le soutien de 66 % des actionnaires, le Groupe TMX et Londres lancent la serviette à la veille du vote. Luc Bertrand vient de gagner la première manche !

L’offre du « groupe de l’érable » – on est symbolique ou on ne l’est pas ! – place l’ensemble des législateurs canadiens devant un nouveau problème : maintenant que la Bourse canadienne ne risque plus de devenir un simple satellite de Londres, faudra-t-il consacrer la naissance d’un monopole canadien en disant oui à Maple ? Car le projet de Luc Bertrand et ses alliés, s’il voit le jour, accaparera 80 % du volume des transactions boursières canadiennes !

« Un beau débat en perspective », dit Luc Bertrand, un Franco-Ontarien natif de Cornwall qui, à 57 ans, a fait beaucoup de chemin depuis ses études de philosophie !

 

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Illustration : Pishier

La partie est loin d’être gagnée pour lui. Maple devra d’abord convaincre les actionnaires du Groupe TMX, puis ce sera le tour du Bureau de la concurrence, des Commissions des valeurs mobilières de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, et de l’Autorité des marchés financiers du Québec.

On verra donc souvent la silhouette élancée et les cheveux de jais du financier, qui compte bien ne pas être qu’une étoile filante dans ce dossier !

Mais qui est donc Luc Bertrand, et quel est ce projet auquel il croit ?

Le personnage est apparu pour la première fois sur l’écran radar de la finance canadienne en 1999, lorsqu’il pilotait la réor­ganisation très controversée de la Bourse de Montréal, dont il prendra la présidence l’année suivante. En 2008, nouvelle polémique : il vend la Bourse de Montréal à très fort prix à sa concurrente torontoise, malgré les hauts cris du Québec inc.

« Luc a toujours eu le chic pour être le bon homme au bon endroit au bon moment », dit Murray Pollitt, PDG de la société de courtage Pollitt & Co., avec qui Luc Bertrand a été associé de 1985 à 1993. « Au bureau, nous l’appelions Lucky Luc ! »

Depuis 2009, l’ex-président de la Bourse de Montréal s’était fait discret. C’est à peine si on a su qu’il était candidat potentiel à la présidence de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Et rares sont ceux qui ont remarqué qu’il a conseillé la famille Molson dans le dossier du rachat du Club de hockey Canadien, dont il est aujourd’hui l’un des actionnaires.

Le hasard a voulu qu’il devienne dirigeant de la Banque Nationale moins d’un mois avant l’annonce de la fusion des Bourses de Londres et de Toronto, le 9 février 2011. Il a ainsi les coudées franches pour réagir à cette fusion, qu’il n’aime pas. D’abord parce qu’il juge l’offre de Londres peu alléchante : un simple échange d’actions entre les actionnaires des deux Bourses (Bertrand est le principal actionnaire privé de la Bourse de Toronto, ses actions du Groupe TMX valant 32 millions de dollars). Ensuite, parce qu’il considère que Toronto réserve un sort bien vague à la filiale montréalaise spécialisée dans les produits dérivés, le bébé qu’il avait su préserver lors de l’achat de la Bourse de Montréal par Toronto, en 2008.

Pour tout dire, Luc Bertrand en fait une affaire personnelle. En 2008, il avait été pressenti pour diriger le nouveau Groupe TMX. Lui qui entrevoyait toutes sortes de voies nouvelles pour cette Bourse était même le candidat favori. Mais les Torontois lui avaient finalement préféré un Américain, Thomas A. Kloet, dont les visées étaient plus traditionnelles.

Ce qui désole particulièrement Luc Bertrand dans cette fusion annoncée, c’est justement le manque de vision : rien n’est proposé pour contrer les Bourses de New York et de Chicago, qui livrent une concurrence meurtrière au TMX. Or, Luc Bertrand a une idée.

Sa stratégie d’affaires, dont le conseil d’administration du Groupe TMX n’avait pas voulu en 2008 : créer une Bourse d’un genre nouveau en Amérique. Celle-ci serait capable non seulement de traiter des millions de transactions quotidiennes (ce qu’elle fait déjà), mais aussi d’établir l’ardoise (qui doit combien à qui ?) à partir d’un seul logiciel. À ce jour, seules trois places boursières ont su unifier ces deux services : Hongkong, Sydney et Francfort !

À cette fin, l’offre d’achat du consortium Maple comporte deux volets : fusionner la Bourse de Toronto avec sa concurrente Alpha, propriété des banques canadiennes ; et surtout, la fusionner avec un autre consortium bancaire, CDS, dont le travail consiste à répartir quotidiennement les ardoises (voir « La vision de Luc Bertrand », ci-dessous).

Luc Bertrand est tout sourire depuis que Toronto et Londres ont renoncé à la fusion. Mais son projet est loin d’être conclu. La prise de contrôle d’une Bourse comme Toronto se heurte à toute une série d’obstacles réglementaires. Les audiences seront nombreuses devant les multiples comités d’examen.

Si la stratégie d’affaires du Groupe Maple est la sienne, Bertrand n’en est, officiellement, que le « porte-parole ». Il affirme qu’il n’a aucun intérêt pour la présidence du Groupe TMX, mais qu’il accepterait volontiers un siège au conseil. En attendant, c’est à lui qu’incombera la tâche de faire tenir cette coalition, de la défendre devant le public (en particulier devant les élus) et de lui trouver de nouveaux alliés.

Luc Bertrand est le personnage tout désigné pour mener à bien ce genre d’opération politico-financière. Réfléchi et sobre, c’est un diplomate talentueux et ferme. « S’il était au gouvernement, Luc serait ministre des Finances ou des Affaires étrangères », dit son vieil ami d’université Mauril Bélanger, député libéral d’Ottawa-Vanier. Ce dont convient son ex-associé Murray Pollitt. « Il est très fort en relations gouvernementales et en négociations, et c’est à la Bourse de Mont­réal qu’il a vraiment trouvé sa vocation », dit-il.

Lorsqu’il a accédé au comité des gouverneurs de la Bourse de Montréal, en 1992, Luc Bertrand n’était qu’un courtier parmi d’autres. Or, la plus ancienne Bourse canadienne (fondée en 1874) était mal en point. À peine 10 % des actions canadiennes y étaient négociées, dont 1 % des appels publics à l’épargne.

« La solution était simple », se rappelle Gérald Lacoste, président de la Bourse de 1994 à 2000. « Montréal devait abandonner à Toronto le prestigieux domaine de la vente d’actions pour se concentrer sur un créneau hyperspécialisé : les produits dérivés. » (Voir « Pas de repo pour les swaps », p. 25.)

La décision est prise en 1999, et Luc Bertrand, en qualité de président du comité des gouverneurs, mène ces négociations délicates. Il imposera ses vues non seulement au gouvernement du Québec, mais également à Toronto, qui fera d’importantes concessions.

« Tout le monde disait que Montréal s’était fait rouler, alors que, grâce à Luc, c’est plutôt Montréal qui a eu la haute main », dit Murray Pollitt.

Un rebondissement inattendu propulse à ce moment-là Luc Bertrand sur le devant de la scène : la démission-surprise du président, Gérald Lacoste, à la fin de 1999. La réorganisation boursière ayant provoqué scepticisme et résignation dans la communauté financière québécoise, « ça ne se bousculait pas au portillon pour me succéder », dit Gérald Lacoste. Luc Bertrand est l’un des rares à s’être porté volontaire.

Sa candidature est loin de faire l’unanimité. L’actuel maire de Montréal, Gérald Tremblay, qui siégeait à l’époque au comité des gouverneurs en tant que représentant du public, doutait de ses capacités. Bertrand, simple courtier en valeurs mobilières, n’avait pas le profil, selon lui ; sa femme, Donna Cameron, Ontarienne francophile et ancienne courtière, connaissait mieux les produits dérivés que lui ! Onze ans plus tard, Gérald Tremblay fait amende honorable. « Je dois admettre que j’avais mal évalué la situation », dit-il.

Bien peu de gens croyaient à l’avenir de la « Boubourse » de Montréal lorsque Luc Bertrand, une fois bien en selle, a entrepris de réinventer l’institution mont­réalaise. Au cœur de cette transformation : SOLA, un système informatique capable de traiter 100 000 ordres d’achat par seconde (y compris des dizaines d’échanges d’information pour chaque transaction). Ce n’est pas pour rien que plus de la moitié des employés de la Bourse de Montréal, toujours en exploitation à titre de filiale du Groupe TMX, sont des informaticiens et des mathématiciens bardés de diplômes. Et c’est ce même logiciel SOLA, dont Bertrand a très bien cerné le potentiel, qui sera au cœur de la réorganisation de la Bourse de Toronto à la manière Maple.

Le travail de Luc Bertrand à la Bourse de Montréal sera récompensé : en 2008, Toronto accepte de payer 1,1 milliard de dollars pour la Bourse de Montréal, soit 40 fois plus qu’elle n’en avait offert huit ans plus tôt ! Luc Bertrand, qui détient 5 % des actions, est un homme riche… Et il le sera encore davantage si le consortium Maple réussit son pari !

Celui qu’on surnommera plus tard « Lucky Luc » a maintes fois surpris depuis l’université. Son parcours aurait dû le destiner aux affaires. Son père, Bernard, a été un des pionniers de la câblodistribution ontarienne. Chez les Bertrand, on lisait le Financial Times et on réparait des boîtes de connexion de câble dans le sous-sol de la maison.

Mais voilà qu’à l’Université d’Ottawa, le jeune Luc, qui a 19 ans, trouve les cours de finance et de comptabilité « vides ». Alors, après un an, il passe à la philo ! Il convainc son père, diplômé de l’École polytechnique, que l’essentiel est de faire de bonnes études. « Ce devrait être le conseil de tous les parents : étudier, quelle que soit la discipline », explique Luc Bertrand, père de trois enfants.

Le député Mauril Bélanger était président de la Fédération des étudiants de l’Université d’Ottawa à l’époque où Luc Bertrand en était le vice-président. Il se rappelle quelques grandes conversations idéalistes, car Luc regardait plus à gauche qu’à droite.

« À 20 ans, si tu n’es pas socialiste, c’est que tu n’as pas de cœur ; à 40 ans, si tu es encore socialiste, c’est que tu n’as pas de tête », disait Luc Bertrand à La Presse peu après sa nomination à la Bourse, en 2000. Un aphorisme qu’il ne renie pas aujourd’hui.

Fraîchement diplômé en philo, Bertrand dégote ses premiers emplois aux bureaux des députés libéraux fédéraux Ed Lumley puis Donald Jamieson, dont il deviendra l’adjoint spécial à 23 ans. Lorsque Jamieson tentera de se faire élire premier ministre de Terre-Neuve, en 1979, Luc Bertrand le suivra.

Après la politique, nouvelle pirouette ! Bertrand devient analyste politique dans un bureau de courtage, avant de suivre un cours en valeurs mobilières. De 1985 à 1999, il occupera six postes dans autant de maisons de courtage, jusqu’à celui de vice-président de la Financière Banque Nationale. Il reviendra à la Banque Nationale 12 ans plus tard.

Luc Bertrand saura-t-il maintenant convaincre les législateurs et les diverses autorités réglementaires de faire con­fiance au consortium Maple et à sa Bourse 2.0 ? Et s’ils lui disent oui, saura-t-il convaincre le conseil d’administra­tion du Groupe TMX et ses dirigeants d’adhérer à son plan ?

Dans cette gigantesque partie de poker, il a plusieurs atouts. Son argument le plus fort est sans doute que le plan du Groupe Maple n’est pas seulement l’expres­sion d’un nationalisme « feuille d’érable » exacerbé. Il se veut aussi très payant. Les caisses de retraite et les banques d’affaires qui se sont jointes au consortium investiront quelques milliards dans le but d’obtenir un rendement élevé à long terme. Leur cible : tripler d’ici 5 ou 10 ans la valeur des actions de la Bourse de Toronto pour atteindre de 25 à 30 fois la valeur comptable (comme pour Hong­kong et Sydney)… Cela paraît beaucoup, mais c’est ce qu’a réussi Bertrand à la Bourse de Montréal.

L’enjeu personnel pour Luc Bertrand est d’ailleurs considérable. Si la stratégie du Groupe Maple réussit, la valeur de ses actions du Groupe TMX passerait de 32 à près de 100 millions de dollars !

Luc Bertrand a des alliés puissants. Outre les partenaires financiers du consortium, tous influents, il compte des alliés politiques. Le gouvernement ontarien n’est pas très chaud à l’idée de voir le contrôle de sa Bourse partir à Londres : son ministre des Finances, Dwight Duncan, souffle sur les braises de la contestation depuis janvier. Et le gouvernement québécois, qui a son mot à dire sur toute transaction qui touche plus de 10 % du capital du Groupe TMX, voit aussi la fusion de Toronto et Londres d’un mauvais œil.

Ce n’est pas pour rien que sur les 13 partenaires du consortium, 4 sont québécois : toute la stratégie de Luc Bertrand repose sur l’expertise informatique de la filiale montréalaise du Groupe TMX et assurerait un rôle accru pour Montréal.

En attendant que les actionnaires du Groupe TMX donnent leur avis sur la proposition de Maple et en prévision des premières audiences publiques, Bertrand prépare son argumentaire. Il fait valoir qu’on exagère l’idée du monopole canadien qu’implique sa proposition. « Nous subissons déjà une concurrence féroce des États-Unis. Regardez nos fleurons canadiens : 80 % des actions de PotashCorp (la potasse) et de Research in Motion (le BlackBerry) se négocient à New York plutôt qu’à Toronto ! Et pour Barrick Gold (l’or), c’est 65 %. La fusion avec Londres ne réglera pas ce problème. »

Un autre argument qu’il fera valoir : le Groupe TMX est déjà détenteur de 18 % des actions du consortium bancaire CDS. Pourquoi ne pas les unir complètement et rationaliser toutes les opérations dans un seul logiciel ?

En fin diplomate, il a accompagné son offre de charmantes attentions politiques. Par exemple, aucun actionnaire de la Bourse de Toronto 2.0 ne pourra détenir plus de 10 % des actions. De quoi rassu­rer le législateur, puisque aucune société ne pourra prendre le contrôle effectif du Groupe TMX. En outre, l’offre garantit le quart des sièges du conseil d’admi­nistration aux représentants de PME cana­diennes et un autre quart à des représentants québécois, tout en garantissant que l’Autorité des marchés financiers (québécoise) continuera d’avoir son mot à dire.

Cette garantie d’un véto québécois est loin de plaire à tout le monde. Surtout à Toronto, où l’on rêve de faire disparaître toutes les commissions des valeurs mobilières provinciales pour les unifier en une seule entité nationale. Et torontoise, bien sûr.

À ceux que cela mécontente, Luc Bertrand ne fait pas de concession : « C’est comme ça que c’est censé marcher, une confédération. »

 

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LA VISION DE LUC BERTRAND

La grande idée de Luc Bertrand n’est pas tant la fusion avec Alpha, la Bourse canadienne concurrente, mais la fusion avec le consortium CDS, qui conduirait la Bourse de Toronto dans un champ nouveau, celui de la compensation, soit la répartition quotidienne des sommes et titres échangés.

Par exemple, M. Beaubien achète 8 000 actions de Bombardier à M. Geoffrion, lequel achète 6 000 obligations du Canada à Mme Royale, qui à son tour vend 10 000 actions de Quebecor à Mme Nesbitt. Qui doit combien à qui ? Où vont les titres de propriété ? Si vous multipliez le tout par 900 000 transactions, vous avez un beau casse-tête : c’est là le volume de transactions que CDS doit gérer chaque jour !

La filiale montréalaise du Groupe TMX fait de la compensation pour les produits dérivés, mais pas la Bourse de Toronto, qui se spécialise dans les actions et les obligations. En incorporant CDS, Luc Bertrand et le Groupe Maple créeraient une formule unique que les Bourses concurrentes de New York, Chicago et Londres auraient du mal à imiter, vu leur taille, leurs traditions et le cadre réglementaire américain.

Or, les courtiers et les financiers adorent voir ces deux fonctions regroupées, car cela leur simplifie la vie. Et les investisseurs ne s’y trompent pas, puisque les deux Bourses dont les actions se cotent le plus cher, Hongkong et Sydney, sont précisément celles qui font ainsi.

 

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PAS DE REPO POUR LES SWAPS

La stratégie d’affaires de Luc Bertrand vise un autre créneau des marchés financiers : les repos et les swaps, des transactions réservées aux spécialistes et aux gros investisseurs institutionnels, qui représentent un volume phénoménal de transactions.

Un repo (pour repurchase agreement ou pension sur titres) est une convention par laquelle un investisseur peut temporairement vendre les obligations d’un État, l’acheteur s’engageant à les retourner au vendeur à une date et à un prix déterminés.

Un swap (échange) est analogue au « contrat à terme », bien connu des fermiers. De la même manière qu’un fermier peut vendre le produit de son champ avant la récolte tout en conservant son champ, un grand investisseur peut vendre le rendement mensuel, trimestriel, semestriel ou annuel d’une partie de son portefeuille tout en con­servant les titres.

Ces transactions, très techniques, voire ésotériques, représentent un marché colossal : 1,25 trillion de dollars par jour, soit presque autant que les fonds monétaires. Ce marché échappe aux Bourses traditionnelles – ou échappait, devrait-on dire.

Les spécialistes savent qu’une des causes de la crise financière de 2008 tenait à l’absence de mécanismes de compensation dans de grands pans de l’industrie de la finance, notamment pour les repos et les swaps. Parce que personne n’avait une idée claire de qui devait combien et à qui, il a suffi d’une ou deux faillites colossales pour provoquer un gigantesque effet domino, qu’il aurait pourtant été possible d’éviter.

Si bien que le G20 a convenu en 2009 que tous ceux qui négocient des repos ou des swaps devraient avoir recours à des mécanismes de compensation. Échéance : le 1er janvier 2013.

Déjà, les banques canadiennes ont décidé que Montréal agirait dès l’automne comme chambre de compensation pour les repos. Il reste les swaps, où rien n’est encore décidé.

L’argumentaire de Luc Bertrand est le suivant : compte tenu du nouvel environnement réglementaire, la Bourse de Toronto, grâce à sa filiale de Mont­réal et à sa compétence en matière de compensation, sera en meilleure posture pour saisir ce nouveau marché.

 

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QU’EST-CE QUE LES PRODUITS DÉRIVÉS ?

La Bourse de Montréal a été la première à introduire les options au Canada, en 1976. Ce produit dérivé est un titre de propriété d’une « tranche de risque », alors qu’une action est un titre de propriété d’une tranche de la valeur d’une entreprise et qu’une obligation est un titre de propriété d’une tranche de la dette d’une entreprise.

Les produits dérivés ne sont donc pas un gadget financier, puisqu’ils permettent à une société ou à une nation d’équilibrer le risque et de mettre une valeur sur un risque.

Depuis 50 ans, le nombre de produits dérivés est en croissance. Les options, par exemple, sont une promesse de vendre ou d’acheter une action à un prix déterminé à une date donnée : un investisseur l’utilise afin de réduire le risque de fluctuation d’une action. De nos jours, une entreprise qui traite à l’étranger peut se protéger contre les fluctuations des taux de change grâce à d’autres types de dérivés.

Il existe des produits dérivés sur les devises, les indices boursiers, les hypothèques, la météo et même la pollution (ce sont les Bourses du carbone) ! Les repos et les swaps sont d’autres types de produits dérivés, réservés aux spécialistes et aux très gros investisseurs.

Les produits dérivés font appel à des concepts avancés en statistique et même en mécanique quantique. Ils ne sont pas sans risque, puisque leur usage mal maîtrisé a provoqué la crise financière et la récession mondiale de 2008-2009.