On me pardonnera d’être d’avis que la plus grande réalisation du gouvernement Trudeau depuis novembre 2015 n’est pas la légalisation du cannabis, mais plutôt l’importante réduction du nombre d’enfants pauvres au Canada.
Il n’y a pas de définition universellement acceptée du niveau de revenu qui correspond au seuil de pauvreté. Le graphique ci-contre montre que, de 2015 à 2017, le nombre d’enfants pauvres canadiens a diminué de 197 000 ou de 278 000, soit de 20 % ou de 30 %, selon qu’on utilise l’un ou l’autre des deux seuils de pauvreté qui sont publiés par Statistique Canada.

Quelle que soit la définition employée, le graphique permet de constater que la pauvreté des enfants avait été plutôt stable au Canada avant 2015 et que la diminution de 2015 à 2017 a été la plus importante de la dernière décennie. Cette diminution n’a pas pu résulter d’une amélioration de la conjoncture économique, puisque le pouvoir d’achat des ménages canadiens par habitant n’était pas plus élevé en 2017 qu’en 2015. Le fait qu’elle ait été plus prononcée pour les enfants que pour les adultes ne permet pas de douter que la réforme des prestations fédérales pour enfants, pilotée par le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos, depuis quatre ans, a joué un rôle déterminant.
La réforme Duclos a consisté à transformer la macédoine de mesures qui existaient avant 2016 en une mesure unifiée, maintenant connue sous le nom d’Allocation canadienne pour enfants (ACE). Les mesures qui ont été abandonnées comprenaient l’ancienne prestation fiscale canadienne pour enfants, la prestation universelle pour la garde d’enfants, le fractionnement du revenu pour les familles avec enfants mineurs, ainsi que les deux crédits d’impôt pour la condition physique et pour les activités artistiques des enfants.
Cette année, en 2018-2019, la réforme doit coûter 25 milliards de dollars au fédéral, soit environ 5 milliards de plus que ce qu’aurait coûté l’ensemble des mesures éliminées. L’ACE est libre d’impôt et indexée au coût de la vie. La prestation maximale atteint 6 500 dollars par enfant de moins de 6 ans et 5 840 dollars par enfant de 6 à 17 ans. Elle favorise les familles à revenu faible ou moyen.
Le Canada compte aujourd’hui proportionnellement moins d’enfants pauvres que les États-Unis, le Japon, l’Espagne, la Grèce et le Portugal ; et le Québec, moins que la moyenne canadienne. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour que le Canada atteigne les taux de pauvreté nettement plus bas qui sont observés en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Scandinavie, en France et aux Pays-Bas.
Il faut aller plus loin. Si on veut mettre un terme à la transmission de la pauvreté d’une génération à la suivante, il faut non seulement la soulager financièrement par des allocations telles que l’ACE fédérale et l’Allocation famille provinciale, mais l’éradiquer à la source. Or, la littérature scientifique contemporaine est catégorique à ce sujet : les trois premières années de la vie ont une importance capitale pour le développement de l’enfant.
La neurologie a trouvé que les toutes premières années de la vie sont décisives pour mener à bien le développement cérébral (création des synapses, des cellules gliales, de l’enveloppe de myéline, etc.) et que les résultats sont permanents.
En psychologie, les travaux pionniers du professeur Richard Tremblay, de l’Université de Montréal, ont démontré que, sans soins précoces adéquats, la vulnérabilité cognitive et comportementale tend à persister jusque dans l’adolescence et l’âge adulte, et qu’il est difficile et coûteux d’y remédier.
En d’autres termes, la maternelle quatre ans, c’est bien, mais il faut commencer bien avant.
L’Américain James Heckman, lauréat du Nobel d’économie en 2000, a de son côté calculé que l’investissement dans les services de garde éducatifs à la petite enfance était le plus rentable de tous les investissements dans la chaîne éducative.
Les résultats de la neurologie, de la psychologie et de l’économie sont unanimes. Si le Canada veut réussir un jour à éliminer la pauvreté des enfants de façon permanente, le gouvernement fédéral doit maintenant passer à une nouvelle étape : accélérer son appui financier à la mise en place et au fonctionnement de systèmes provinciaux de services de garde éducatifs de qualité et à tarif modique, semblables au réseau qui existe au Québec depuis 20 ans. Et s’assurer que ces systèmes touchent effectivement le plus grand nombre possible d’enfants pauvres.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de juin 2019 de L’actualité.