Toutes les Bourses du monde terminent l’année avec un recul. Seule la Bourse américaine, stimulée par la baisse des impôts du président Donald Trump, enregistre une hausse annuelle (5 % au 1er décembre). Mais en octobre, une chute brutale de 17 %, son pire comportement mensuel depuis 2008, a fait clignoter furieusement les voyants rouges.
« Cette correction en a surpris beaucoup, car les investisseurs n’avaient pas connu de revers depuis des années », dit Christine Décarie, de Placements Mackenzie. Depuis, l’hésitation règne sur les marchés. Baisse, rebond, rechute. L’investisseur ne sait plus où donner de la tête.
Au Canada, l’indice phare de Toronto, le S&P/TSX, termine l’année avec un recul de 7 % (au 1er décembre), plombé par l’incertitude qui a perduré jusqu’au 30 septembre concernant l’accord de libre-échange avec les États-Unis. Malheureusement, la conclusion d’une entente n’a pas redonné de vigueur aux actions canadiennes.
Que nous réserve 2019, alors que les États-Unis et la Chine se livrent une guerre commerciale ? D’autant qu’une récession économique finira bien par s’installer. Est-ce le temps de retirer ses billes ou de rectifier son portefeuille ? L’actualité fait appel pour une septième année à quatre spécialistes des marchés financiers, qui proposent leur éclairage.
Des nuages à l’horizon
Après une 10e année d’expansion de l’économie, nous arrivons à la fin d’un cycle, période où les boursicoteurs doivent modérer leurs attentes. « Les rendements dans les deux chiffres ne seront plus la norme », prévient Christine Décarie, de Placements Mackenzie. Selon Philippe Pratte, de Pratte Gestion de portefeuilles, il sera même difficile de faire de l’argent sur les marchés dans les prochains mois.
En cette période de volatilité, nos experts ne paniquent pas. « Nos indicateurs n’annoncent pas une récession à court terme », explique Christine Décarie, en faisant notamment référence aux données du Conference Board et aux demandes d’assurance-emploi en Amérique du Nord.
Si les marchés risquent de connaître une croissance modeste, l’économie mondiale devrait continuer de croître en 2019, selon l’OCDE, qui prévoit une hausse de 3,5 %, contre 3,7 % en 2018. Au Canada, elle est estimée à 2,2 % (2,1 % en 2018), et aux États-Unis, à 2,7 % (2,9 %). Dans la zone euro, l’économie devrait croître de 1,8 % (1,9 %), et en Chine, de 6,3 % (6,6 %).
Les baisses d’impôts de Donald Trump continueront à alimenter le marché boursier américain. « Cette injection d’argent dans le système allongera probablement le cycle économique d’une année supplémentaire », soutient François Têtu, de RBC Gestion de patrimoine. Par contre, elles réduiront les munitions disponibles pour faire face au prochain coup de cafard de l’économie. Cet effet secondaire inquiète Stéphane Rochon, de BMO Nesbitt Burns, pour qui « une récession en 2020 devient plausible ». Un signe annonciateur à ses yeux : la baisse dans les intentions d’achat des entreprises américaines, observée en novembre d’après les indices de l’Institute for Supply Management (ISM).
Les taux grimpent
La Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine devraient continuer en 2019 à relever leurs taux d’intérêt jusqu’à environ 3,5 % — taux qu’elles avaient envoyés au plancher après la crise de 2008, pour donner un électrochoc à l’économie. Elles veulent aujourd’hui la ralentir et contenir la pression inflationniste, ennemie jurée des banques centrales. « Les répercussions de ces hausses se font sentir à retardement, en augmentant les coûts d’emprunt des entreprises, ce qui pourrait réduire leurs marges bénéficiaires », dit François Têtu. Conséquence : les investisseurs pourraient encaisser moins de dividendes.
Ce retour à des taux d’intérêt normaux présente des risques, croient Philippe Pratte et François Têtu. « On comprend que les banques centrales veulent se donner une marge de manœuvre pour la prochaine crise. Par contre, ce rehaussement, en voulant ralentir l’économie, risque de l’étouffer », estime Philippe Pratte. Car la hausse des taux ne frappe pas que les entreprises. Les consommateurs voient aussi leur coût d’emprunt augmenter, par exemple sur leur prêt hypothécaire. À long terme, ils auront moins d’argent dans leurs poches, ce qui ralentira la consommation.
Les gagnants sont…
Tout comme l’an dernier, nos experts privilégient les investissements sur le marché américain plutôt que canadien, où deux moteurs de l’économie tournent au ralenti : l’énergie, en raison de l’absence de débouchés pour écouler davantage de pétrole de l’Ouest canadien, ce qui réduit sa valeur sur les marchés ; le secteur des matériaux, qui subit le contrecoup du ralentissement chinois. Seule Christine Décarie ne rejette pas totalement l’idée de placer quelques billes à la Bourse canadienne en 2019 : « Le Canada a tellement sous-performé en 2018 qu’il pourrait y avoir un retour du balancier. »
En cette période volatile sur les marchés, nos experts délaissent les titres « de croissance » — comme Amazon et Facebook, des titres sur lesquels on mise pour leur potentiel, en espérant des gains en capital. Ils privilégient plutôt les titres « de valeur » — des entreprises qui possèdent un solide bilan financier. Autrement dit, on évacue les secteurs plus spéculatifs.
Dans cette catégorie, François Têtu apprécie les sociétés financières américaines (secteur où les entreprises font plus d’argent quand les taux d’intérêt grimpent). Le secteur de la santé, en bonne position en raison du vieillissement de la population, séduit également nos experts. Les entreprises où il y a d’importantes barrières à la concurrence, comme les ferroviaires CN et CP, sont aussi dans la ligne de mire de Stéphane Rochon en fin de cycle économique. « Personne ne peut les concurrencer du jour au lendemain. Il s’agit d’excellentes entreprises pour des investissements à long terme », affirme-t-il. Également dans sa mire, les entreprises ayant une faible dette, puisqu’elles souffrent moins de la hausse des taux d’intérêt.
Les GAFA sont-ils cuits ?
La coqueluche des dernières années, le secteur des technos (qu’on désigne aussi comme les GAFA, pour Google, Amazon, Facebook et Apple), n’a plus la cote chez nos experts. « Je pense m’en départir au cours de l’année pour me tourner vers des secteurs plus défensifs, comme les télécommunications, qui offrent plus de sécurité en période de ralentissement », dit Philippe Pratte. Même son de cloche de la part de Christine Décarie : « Des doutes sur leur modèle d’affaires, axé sur la croissance, ont émergé à la suite de la publication des derniers résultats de Facebook. L’ère des technos tire peut-être à sa fin. »
Ralentissement de la croissance oblige, on entre dans une période de réajustement. « Les industriels, comme Caterpillar, et les matières premières se font déjà malmener. La crainte : que le ralentissement de la Chine soit plus prononcé que prévu », note Stéphane Rochon. Par contre, il ne faut pas redouter un marché baissier prolongé, comme en 2008. « Car l’économie mondiale demeure solide », précise Philippe Pratte. Dans ce contexte, il faut être plus sélectif. « Puisque les comportements varieront fortement d’un secteur à l’autre, je déconseille l’achat de fonds indiciels, qui copient l’évolution d’un indice boursier », dit Stéphane Rochon. Il est plus payant de cibler des secteurs où l’on est plus sûr de gagner.
Ailleurs sur la planète
La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine pourrait entraîner d’importantes conséquences économiques. L’OCDE évoque une baisse de 0,5 % du PIB mondial si les États-Unis portent leurs droits de douane à 25 % sur tous les biens chinois et que la Chine réplique avec des mesures de rétorsion. L’incertitude créée par cet affrontement entraînerait aussi une baisse des investissements dans le monde. Toutefois, Philippe Pratte demeure positif : « À long terme, la conclusion d’un accord est plus que probable, les deux puissances ayant trop à perdre d’une guerre commerciale. »
En Europe, l’économie tourne toujours au ralenti, plombée par l’incertitude entourant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. « Il y a de bonnes aubaines sur les marchés européens, mais il ne faut pas craindre la volatilité », conclut Stéphane Rochon.

Cet article a été publié dans le numéro de février 2019 de L’actualité.