
Qui ne rêve pas de disposer d’une boule de cristal lorsque vient le temps de décider de ses placements ? Mais personne n’en a une. Pas même les experts. L’an dernier, ils craignaient un affaissement de l’immobilier en Chine, la fin de l’euro et la chute des Américains dans un précipice fiscal. Heureusement, rien de cela ne s’est produit. Reste que l’année qui commence recèlera forcément son lot d’obstacles pour l’épargnant à la recherche de sécurité et d’un rendement décent.
Un autre mur budgétaire risque de se dresser aux États-Unis, puisque les politiciens devront s’entendre pour relever une nouvelle fois le plafond de la dette ou encore éviter que des coupes automatiques de 110 milliards de dollars dans les dépenses ne prennent effet en mars. Par ailleurs, aussi en mars, un nouveau président, Xi Jinping, prendra la direction de la Chine. Et en Europe, les populations des pays frappés par les mesures d’austérité ne risquent pas de décolérer de sitôt.
L’actualité a consulté quatre spécialistes des marchés financiers, soit deux conseillers en placement, un gestionnaire d’une société de courtage et un économiste en chef d’une banque. Voici leurs prévisions.
Stephen Gauthier, gestionnaire principal et stratège, Fin-XO Valeurs mobilières.
Stéfane Marion, économiste en chef, Banque Nationale.
François Têtu, vice-président et conseiller en placement, Valeurs mobilières Desjardins.
Dominique Vincent, vice-présidente et gestionnaire de portefeuilles, MacDougall, MacDougall & MacTier.
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Que prévoyez-vous pour les marchés boursiers canadien et américain ?
« Le marché américain devrait faire environ 10 % de gain en 2013, tandis que la Bourse canadienne fera du surplace », dit Stephen Gauthier, gestionnaire principal et stratège chez Fin-XO, une société de courtage en valeurs mobilières de Montréal.
L’économie américaine est beaucoup plus diversifiée que celle du Canada, où dominent les ressources naturelles, comme les métaux et le pétrole – près de 45 % de la Bourse de Toronto est composée de titres de sociétés actives dans ces secteurs. Or, avec l’économie mondiale qui ne reprendra que très lentement, la demande dans ces domaines risque d’être timide. Les experts ne voient guère comment les sociétés minières et pétrolières canadiennes pourraient offrir de forts rendements dans un tel contexte.
L’économie des États-Unis s’améliorera grâce à leur révolution énergétique, croit Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale. L’abondance de gaz de schiste y maintient les prix de l’énergie relativement bas. « Les structures de coûts compétitives des entreprises des États-Unis sont un avantage pour le secteur manufacturier de ce pays », dit-il.
Les quatre spécialistes notent que l’immobilier américain, qui s’était effondré en 2008, est en voie de redressement, et le bilan financier des ménages aux États-Unis s’améliore. Au Canada, le contraire risque de se produire, avec la baisse attendue de la valeur des maisons.
Dominique Vincent, vice-présidente et gestionnaire de portefeuilles chez MacDougall, MacDougall & MacTier (3Macs), s’attend quant à elle à un rendement de 6 % à 9 % autant au Canada qu’aux États-Unis. La reprise états-unienne, même molle, et la croissance en Asie, même plus faible que ces dernières années, « c’est positif pour le pétrole et les matériaux », croit-elle.
À quoi s’attendre concernant les taux d’intérêt au Canada, et comment profiter de la situation ?
Même les plus audacieux des investisseurs ont dans leur portefeuille des obligations ou des certificats de placement garanti, soit des investissements dits « sûrs », mais dont les intérêts ne sont généralement pas très élevés. Or, les taux, particulièrement bas depuis la crise financière de 2008, ne remontent pas – un pied de nez à de nombreux experts, qui avaient prédit leur hausse ces deux dernières années ! « Nous sommes peut-être dans une année charnière », dit François Têtu, vice-président et conseiller en placement chez Valeurs mobilières Desjardins (VMD).
Si les taux prennent bel et bien une voie ascendante dans les deux ou trois prochaines années, mieux vaut avoir des obligations à très courte échéance (3 ans et moins) et d’autres à longue échéance (plus de 10 ans), suggère François Têtu. Les premières permettront, à leur renouvellement, de profiter de la remontée des taux. Et les secondes procureront, en attendant cette hausse, des rendements supérieurs à ceux des obligations à court terme.
Dominique Vincent privilégie elle aussi le court terme et suggère des obligations d’entreprises, qui rapportent un peu plus que celles émises par les États.
Quels secteurs faudra-t-il surveiller ?
Dominique Vincent et Stephen Gauthier suggèrent les titres liés à la consommation de base, soit aux fabricants de produits d’utilisation courante et aux réseaux de détaillants qui les vendent. Ces entreprises résistent mieux que les autres à l’incertitude économique.
« Prudence du côté des ressources naturelles, comme le pétrole et le secteur minier », dit Stephen Gauthier. Le rythme de la reprise mondiale sera faible et les prix des matières premières auront peine à augmenter de manière substantielle.
Dominique Vincent rappelle l’importance de la diversification d’un portefeuille. Celui-ci doit donc comporter des titres dans la plupart des grands secteurs, y compris les matières premières. La gestionnaire suggère de s’intéresser aux titres pétroliers. Leur valeur en Bourse n’a pas augmenté et a même reculé dans beaucoup de cas. « Si la croissance se poursuit en Asie, dit-elle, la demande redeviendra plus importante. »
Stéfane Marion a pour sa part un petit préjugé favorable pour les titres énergétiques canadiens, surtout si les gouvernements prennent les mesures requises pour aider au raffermissement des prix du pétrole de l’Ouest, c’est-à-dire s’ils autorisent les projets de construction ou d’inversion de pipelines, qui tardent à se concrétiser.
L’économiste craint par ailleurs que le ralentissement immobilier qui s’amorce au Canada ne nuise aux titres bancaires canadiens.
Quelles régions du monde seront les plus attrayantes ? Lesquelles faudra-t-il éviter ?
Les États-Unis offrent le meilleur rapport risque-rendement, estiment les spécialistes. « Et ils pourraient nous surprendre encore cette année en raison de la reprise du marché immobilier », dit Stephen Gauthier.
François Têtu croit aussi que les États-Unis offrent davantage de potentiel que le Canada. Mais, ajoute-t-il, il ne faut pas oublier l’Europe. Beaucoup d’entreprises y sont dévaluées à cause de la crise financière. Les « audacieux » devraient y placer quelques billes. « Les indices boursiers en Italie et en Espagne ont chuté. Même s’il y a eu un rebond depuis l’été, il faut au moins allouer une partie de nos placements à l’Europe. »
Dominique Vincent observe d’un œil plutôt favorable les pays émergents, comme la Chine, le Brésil, l’Inde et la Russie, qui comptent pour 44 % de la population mondiale. « Même si la Chine a vu son taux de croissance ralentir à 8 % par année, c’est quand même intéressant. » Toutefois, un ralentissement substantiel de la croissance dans ce pays pourrait avoir un effet domino sur l’économie mondiale.
Quels événements pourraient chambarder toutes ces prévisions ?
« Ce qui fait déraper les marchés, c’est toujours ce que l’on ne regarde pas », répond Stephen Gauthier. Trop d’analystes ne prêtent pas assez d’attention à la situation budgétaire du Japon, dit-il.
« Ce qui s’y passe est extrêmement inquiétant. La dette de l’État japonais équivaut à 220 % du pro-duit intérieur brut – la Grèce avait un ratio de 140 % ! Le Japon est la troisième économie du monde et personne n’écrit là-dessus. C’est de loin le pays où la situation financière est la plus désastreuse. C’est comme le Titanic qui se dirige vers un iceberg ! »
François Têtu s’inquiète du laxisme dont certains gouvernements font preuve concernant le redressement de la situation financière de leur pays. Aux États-Unis, la planche à billets de la banque centrale permet de sauvegarder le système financier, mais cela ne fait que pousser le problème vers l’avant. Même chose en Europe, où les efforts pour régler les problèmes de dette de certains pays se butent à de nombreuses embûches politiques et populaires.
Stéfane Marion s’inquiète d’éventuelles politi-ques protectionnistes dans les pays aux prises avec un taux de chômage élevé – des mesures pour favo-riser les industries locales aux dépens des échanges commerciaux mondiaux. « C’est une des choses qui pourraient provoquer un dérapage », dit-il. Non seu-lement en Europe, mais aussi au Japon et en Asie, où on assiste à une érosion de la base industrielle.
Évidemment, il pourrait aussi survenir un tsunami sur la côte chinoise, un tremblement de terre en Cali-fornie ou une guerre entre Israël et l’Iran, ce qui fer-merait les robinets du pétrole dans une large mesure. Mais comme personne n’a de boule de cristal…
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Les suggestions de placements
Stephen Gauthier, gestionnaire principal et stratège, Fin-XO Valeurs mobilières

Tim Hortons (THI, à Toronto) : modèle d’entreprise relativement simple, avec des revenus stables et un dividende en croissance.
Rogers Communications (RCI.B, à Toronto) : acteur majeur dans l’industrie du cellulaire au Canada (aussi propriétaire de L’actualité), verse un bon dividende.
iShares S&P 500 (XSP, à Toronto) : fonds négocié en Bourse qui permet de participer au marché américain tout en étant protégé contre la fluctuation des devises.
Stéfane Marion, économiste en chef, Banque Nationale

S&P Bank (KBE, à New York) : fonds négocié en Bourse du secteur bancaire américain, qui profitera de l’embellie du secteur immobilier.
iShares FTSE China 25 (FXI, à New York) : fonds négocié en Bourse qui permet de participer à la croissance de l’économie chinoise et dont la valorisation boursière est attrayante.
Monnaie royale canadienne (MNT, à Toronto) : le contexte est favorable au prix de l’or (taux d’intérêt négatifs, si on tient compte de l’inflation ; recherche de substituts aux devises ; processus visant à relancer un peu l’inflation dans plusieurs pays).
François Têtu, vice-président et conseiller en placement, Valeurs mobilières Desjardins

Apple (AAPL, à New York) : toujours une bonne entreprise, et le titre a corrigé à la baisse depuis son sommet de plus de 700 dollars.
Telefónica (TEF, à New York) : les actions ont baissé, mais cette entreprise de télécommunications espagnole demeure une bonne marque, très présente en Amérique du Sud.
Las Vegas Sands (LVS, à New York) : important acteur dans le secteur hôtelier et les casinos, qui profitera de la reprise mondiale.
Dominique Vincent, vice-présidente et gestionnaire de portefeuilles, MacDougall, MacDougall & MacTier

Phillips 66 (PSX, à New York) : les titres pétroliers ont beaucoup reculé ; la compagnie exploite 15 raffineries, et il y a une possibilité de hausse du dividende.
Apple (AAPL, à New York) : de bons produits, un dividende, pas de dette et un titre peu cher par rapport aux bénéfices.
General Electric (GE, à New York) : chef de file mondial dans plusieurs domaines, présent dans une centaine de pays.